17 août > Premier roman France

En 1988, à un an des deux cents ans de l’événement qui jeta les premiers jalons de l’édification de la République, Jean-Noël Jeanneney, président de la Mission du Bicentenaire de la Révolution française rattachée au ministère de la Culture, pense à Jean-Luc Godard pour un film. Il essaye de le joindre, en vain. Le ministre de la Culture en personne prend la plume : "Il ne s’agit pas, cher Jean-Luc, écrit Jack Lang, d’un film de commémoration, bien au contraire ; si nous vous avons choisi, c’est justement pour que vous donniez une vision moins convenue de l’événement, impertinente même."

Le cinéaste suisse y réfléchit, s’intéresse à la période. Mais à l’initial "Projet 89" sur le premier moment bourgeois de la Révolution de 1789 il substitue un projet de film sur le moment de la Terreur intitulé "Quatre-vingt-treize et demi", "93" comme 1793 et "demi" pour la part fantasmée. JLG a prolongé dans son scénario les existences de Robespierre, Danton et consorts. Thierry Froger, auteur d’un recueil de poésie remarqué, Retards légendaires de la photographie (Flammarion, 2013, prix Henri-Mondor de l’Académie française 2014), imagine ici une fiction sur les méandres de ce projet fictif. Sauve qui peut (la révolution) - clin d’œil à Sauve qui peut (la vie) de Godard - a pour sujet le processus de création même : la tension entre l’artiste toujours solitaire et l’œuvre toujours à partager, à savoir collective. Trois temporalités s’y entremêlent : la narration présente où Godard visite Jacques Pierre, son camarade de jeunesse maoïste et biographe de Danton, et sa fille de 20 ans Rose sur une île en pays de Loire ; le scénario in progress ; la vie rêvée de l’éloquent colosse de la Révolution.

Réflexion sur le tragique de l’histoire mais aussi sur le cinéma dont l’essence n’est pas de rejeter mais de projeter - faire en sorte que le spectateur regarde vers le haut (l’écran, le grand, à l’inverse du petit, qui n’est rien d’autre que le petit bout de la lorgnette -), ce premier roman aussi loufoque que profond est une belle surprise de la rentrée. S. J. R.

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