Portrait

Adrien Bosc, un jeune homme pressé

Olivier Dion

Adrien Bosc, un jeune homme pressé

A tout juste 30 ans, Adrien Bosc a déjà lancé des revues avec succès, créé une maison d’édition, revendu ladite maison, publié un premier roman multiprimé et écoulé à 100 000 exemplaires, et il est aujourd’hui directeur adjoint de l’édition au Seuil. Portrait.

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Par Daniel Garcia,
Créé le 18.03.2016 à 13h00

Adrien Bosc s’intéresse au sport. Il lui a même dédié une revue, Desports. Sa discipline à lui, c’est la montée des marches. Pas celles du Festival de Cannes, enfin, pas encore ! Mais les marches de l’édition. Il a commencé dans les sous-sols des éditions Allia, le voici propulsé aux étages supérieurs du Seuil, avec le titre de directeur-adjoint de l’édition. Une ascension éclair, pour ce jeune homme né en janvier 1986. On le devine pétri d’ambition. Il assure, modestement, avoir trouvé au Seuil "le meilleur endroit pour s’épanouir et travailler". En réalité, "il a un tempérament de battant et il ne va pas s’arrêter là, pronostique Gérard Berréby, le patron et fondateur d’Allia. C’est un garçon brillant, plein de promesses. Il veut aller vite, mais ça semble lui réussir." Dans l’entretien qu’il a récemment accordé à Livres Hebdo, Olivier Bétourné, le P-DG du Seuil, ne dit pas autre chose : "Adrien est doué, intelligent, rapide. La passion de l’édition coule dans ses veines, il a certainement un bel avenir devant lui" (1).

Grimpeur express

A pile 30 ans, Adrien Bosc peut déjà se targuer d’un beau passé. Non content d’être une figure montante de l’édition, son incursion en littérature lui a réussi : son premier roman, Constellation (Stock, 2014), balayage biographique des quarante-huit passagers et membres d’équipage de l’avion dans lequel périrent notamment, en octobre 1949, le boxeur Marcel Cerdan, a remporté le grand prix du Roman de l’Académie française et le prix littéraire de la Vocation.

Notre grimpeur express est originaire d’Avignon : il a une sœur, cinq frères dont l’un, David, est aussi dans les livres - il travaille aujourd’hui chez Noir sur blanc -, et un père architecte qui dessine des villas pour clients fortunés. Après des premières études au lycée Mistral, à Avignon, Adrien poursuit sa scolarité à Paris, au lycée Condorcet, prépare Normale sup, échoue, et se tourne vers l’édition : "Ni la recherche ni l’enseignement ne m’intéressaient, je ne me sentais pas la vocation de transmettre, mais je voulais un métier en lien avec les textes, l’édition m’a paru une évidence." Il s’inscrit alors au master d’édition de Paris-4. Sa déception - "Honnêtement, ça ne m’a rien appris, à Villetaneuse ils ont un peu plus les mains dans le cambouis" - est contrebalancée par le stage qu’il décroche chez Allia grâce à son frère David, auteur maison (il y a publié deux romans et traduit la Correspondance de Swift) : "C’est une excellente école. Gérard vous fait passer par tous les postes, ce qui vous donne une vision globale du métier. Au bout de quelques jours, nous sommes passés du principe de stagiaire à discuter littérature.""Il me bombardait de questions", précise Gérard Berréby.

Les deux hommes partagent un même amour pour la narrative non fiction et les livres ciselés : "Gérard est un jusqu’auboutiste de la finition, mais toujours dans le sens de l’attention au lecteur. S’il choisit un papier ivoiré, c’est parce qu’il repose l’œil, c’est exactement la voie dans laquelle je souhaitais m’inscrire. A la dématérialisation grandissante correspond son exact opposé, on ne pourra plus faire des livres vite faits et mal faits. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si toutes les jeunes maisons qui ont percé récemment, Monsieur Toussaint Louverture, Nouvel Attila, Galaade, Finitude…, partagent ce même souci du contenu - faire revivre des textes oubliés, par exemple - et de son enveloppe."

Très vite, le stage vire à la collaboration interne. Gérard Berréby offre son sous-sol à Adrien Bosc pour qu’il y crée, en mars 2011, les éditions… du Sous-sol. Quelques bonnes fées (dont Pierre Bergé, un ami de son père) se penchent sur le berceau. En septembre 2011, sort le premier numéro de la revue Feuilleton. Un succès. Puis c’est Desports, en 2013. En novembre 2014, le Seuil rachète les éditions du Sous-sol. On connaît la suite.

A son nouveau poste, Adrien Bosc a changé d’échelle, mais assure s’y retrouver : "J’ai affaire à des gens qui cultivent de grandes singularités, qui sont experts dans leur domaine et qui suivent de manière artisanale les livres. Le Seuil, c’est un archipel de singularités, voire de laboratoires, mais tous raisonnés au sein d’un programme général. Ce n’est quand même pas une maison qui donne l’image d’une violente cavalerie, non ?" Non, en effet. Mais Adrien Bosc a raison de se montrer diplomate : "Là où il arrive, si jeune et en si peu de temps, il ne peut que susciter des jalousies, estime Gérard Berréby. Heureusement, s’il est ambitieux et entêté, il a l’intelligence de savoir écouter. Et de ne pas se braquer. Ce qui pouvait éventuellement lui déplaire chez moi, il s’est assis dessus. Il apprend vite !"

 

L’économie du livre

Et puis, au Seuil, Adrien Bosc peut maintenant côtoyer l’une de ses figures tutélaires après Jean-Jacques Pauvert, Christian Bourgois ou François Maspero : Anne-Marie Métailié. "C’est sans doute l’éditrice contemporaine pour qui j’ai le plus d’admiration. Dans ce métier, des bonnes âmes passent leur temps à nous seriner "Ne faites pas de livres hors-sol". Anne-Marie, pourtant, ne fait que cela. Elle se réinvente constamment. Crée de nouveaux univers. Mais parce que sa capacité d’émerveillement est intacte, elle réussit toujours à convaincre ses interlocuteurs. Sans jamais perdre de vue son ancrage économique." L’économie : un mot qui revient souvent dans sa bouche. "Je n’ai pas le mythe de l’art pour l’art, explique-t-il. Prétendre ignorer l’économie du livre relève, au mieux, de la tartufferie." L’époque, du reste, l’interdit : "Puisque la presse n’occupe plus le même rôle qu’hier, nous apprenons à composer. Un livre, aujourd’hui, se défend grâce à une accumulation de prescripteurs. Au premier rang desquels les libraires. L’attaché(e) de librairie, rôle que remplit par exemple Virginie Migeotte, en extérieur, pour les éditions du Sous-sol, est d’ailleurs l’un de ces nouveaux métiers symptomatiques de notre époque."

Adrien Bosc, lui, n’a pas besoin d’attaché de librairie : Constellation s’est écoulé à 100 000 exemplaires. L’heureux auteur vient tout juste de rendre son deuxième manuscrit à Manuel Carcassonne, le P-DG de Stock. Encore une bonne rentrée en perspective ?

(1) LH 1074, du 26.2.2016, p. 30-31.

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