16 août > Roman République du Congo > Alain Mabanckou

Sans faire pour autant de concessions à aucun "exotisme", Alain Mabanckou, bien qu’il vive et enseigne aux Etats-Unis, n’est pas le genre d’écrivain à renier ses racines africaines. Il est né en 1966, à Pointe-Noire, la grande ville du sud du Congo qu’on nommait alors Brazzaville, pour le différencier de l’autre, dit Congo-Kinshasa. Soit peu de temps après l’indépendance du pays, et le règne éphémère de son premier président, Fulbert Youlou, qu’il appelle "l’abbé polygame". L’ecclésiastique autoritaire et contesté fut renversé par une révolution populaire, chassée elle-même par un coup d’Etat militaire, qui porta au pouvoir le capitaine Marien N’Gouabi, camarade-président marxiste et chef du Parti Congolais du Travail. Rien que de très banal, hélas, un peu partout en Afrique, depuis les indépendances.

Peu après que s’ouvre le roman de Mabanckou, on apprend que N’Gouabi vient d’être assassiné, à Brazzaville, le 18 mars 1977. Même si Pointe-Noire se situe à plus de 500 kilomètres de la capitale, la vie des habitants va bien sûr s’en trouver perturbée, du moins un certain temps, surtout chez le jeune Michel, le narrateur, dont on subodore qu’il ressemble comme deux gouttes d’eau à un certain Alain. Le roman, d’ailleurs, est dédié aux membres de sa famille les plus proches, mère, père, oncles, sous leur vrai nom. Quant aux énigmatiques cigognes du titre, elles proviennent d’une chanson socialiste russe, célébrant la mémoire des soldats soviétiques morts au combat, qu’on faisait apprendre aux enfants dans les écoles, en ce temps-là où le Congo se situait résolument dans l’orbite communiste.

Parmi les victimes du nouveau coup d’Etat, à Brazzaville, figure le capitaine Luc, un oncle de Michel, l’un des propres frères de sa mère, Maman Pauline, grossiste en bananes, femme de caractère respectée par toute la ville, surtout au Grand Marché. En signe de deuil, elle se rase la tête, attirant ainsi l’attention des nouvelles autorités et des Comités qui traquent les supposés partisans de l’ancien régime. Maman Pauline, décidée à venger la mort de son frère sur n’importe quel "Nordiste" jugé responsable, va déclencher une véritable tempête, que son mari, Papa Roger, réceptionniste au Victory Palace, un autre de ses frères, René, membre du Parti, et Michel lui-même, le gamin rêveur, ne seront pas trop de trois pour désactiver.

Même si le contexte politique est présent tout au long des trois jours que dure le roman, et qu’Alain Mabanckou en profite pour rappeler certains épisodes de l’histoire chaotique de son pays, les vrais héros de ce livre, ce sont la ville de Pointe-Noire et ses habitants, les Ponténégrins, avec leur formidable énergie vitale, plus forte que toutes les difficultés, que toutes les dictatures. L’écrivain en parle sur un ton familier, pittoresque sans excès, avec tendresse et surtout nostalgie. Voici l’un de ses livres les plus personnels, les plus réussis. Jean-Claude Perrier

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