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Alexandre Bompard : « Amazon devra partager avec la Fnac"

Alexandre Bompard : « Amazon devra partager avec la Fnac"

En annonçant un plan de 500 licenciements, la Fnac a ravivé les inquiétudes sur son avenir. Dans un entretien à Livres Hebdo, son P-DG, Alexandre Bompard, explique en quoi des changements de modèles sont nécessaires pour son groupe et insiste sur l'importance du livre dans son combat contre les pure-players en général, et Amazon en particulier.

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avec Créé le 04.02.2015 à 16h04

Enarque passé par l'inspection des finances, avant de devenir conseiller technique de François Fillon alors ministre des Affaires sociales, Alexandre Bompard a rejoint le secteur privé en 2004 au sein de Canal +, puis d'Europe 1, dont il a été le P-DG de 2008 à 2010.- Photo DENIS ALLARD/REA/

Où va la Fnac ? La question n'est pas nouvelle puisque, depuis plusieurs années déjà, cette filiale de PPR voit son concept évoluer dans la perspective notamment de sa mise en vente. Elle revient toutefois sur le devant de la scène, motivée par l'annonce, à la mi-janvier, d'un plan d'économies de 80 millions d'euros prévoyant 500 licenciements, dont 310 en France, et par la diversification de l'offre prônée par le projet d'entreprise Fnac 2015. Dans le secteur du livre, ces évolutions inquiètent car elles touchent le premier vendeur en France avec, selon nos estimations, un chiffre d'affaires annuel d'environ 550 millions d'euros.

Message

RÉPARTITION DE L'ACTIVITÉ DE LA FNAC

A l'occasion du Salon du livre de Paris, Alexandre Bompard, P-DG de la Fnac depuis un an, tient donc à faire passer un message clair. "La place du livre au sein de l'enseigne n'a pas vocation à diminuer », martèle-t-il, rappelant qu'aucune des suppressions de postes annoncées ne touche les libraires. "L'an passé nous avons même regagné des parts de marché, après en avoir perdu en 2009-2010 », annonce le dirigeant, qui évalue à 16 % la part actuelle de la Fnac sur le marché du livre. Pour autant, l'heure n'est pas au triomphalisme. "Je suis très préoccupé par la baisse du secteur, qui décroche encore de plus de 7 % depuis le début de l'année. Dans un tel contexte, la Fnac n'a pas d'autre choix que de renforcer son leadership », estime le jeune patron. Face aux éditeurs, de petite ou de moyenne taille, qui ont le sentiment de ne plus avoir leur place au sein de l'enseigne, il est formel : "La largeur et la profondeur de l'offre demeurent à un niveau exceptionnellement important. En témoignent les 10 millions de livres que nous avons en réserve." Et pour l'avenir, assure-t-il, l'intégration de nouvelles familles de produits et le développement d'univers thématiques ne se feront pas au détriment du livre... même dans les magasins. "Nous trouverons les espaces nécessaires au déploiement des nouveaux univers en rationalisant l'organisation des lieux de vente et en réduisant la place des produits en déclin, qu'ils soient éditoriaux comme la musique qui occupe encore un vaste espace dans nos magasins, ou techniques, comme le GPS." Estimant en outre que le livre est un univers en soi, Alexandre Bompard affirme qu'il ne sera pas éclaté dans les espaces thématiques. "Seuls les ouvrages pour les 0-13 ans rejoindront l'univers jeunesse. Les autres resteront dans le pôle librairie."

Mais l'entreprise va plus loin dans ses réformes et opère, comme d'autres grandes surfaces spécialisées, dont Virgin, un profond changement de modèle. "Nous sommes à une période charnière qui nécessite des évolutions, assure Alexandre Bompard. La Fnac doit sortir de ses dogmes selon lesquels elle doit tout faire elle-même, avec des magasins exploités en interne, offrant exclusivement des produits éditoriaux et technologiques sur des surfaces d'au moins 2 000 m2. » Résultat, après avoir conclu des partenariats avec SFR pour son offre de téléphonie, avec Kobo pour la commercialisation d'une liseuse et avec Lagardère Service pour installer des points de vente dans des lieux de transport, l'enseigne s'apprête à développer un système de franchise pour s'implanter dans des villes de moyenne importance avec des magasins d'une surface de 300 à 400 m2. Une formule de développement à la fois rapide et économique qui lui permettra de compléter son maillage du territoire. "Nous avons une marque puissante avec un concept qui devrait intéresser des acteurs locaux. Le propriétaire d'une grande surface généraliste peut souhaiter ouvrir un magasin culturel, un libraire indépendant peut vouloir élargir son offre dès lors que sa surface le lui permet... Pourquoi ne pas transformer une grande librairie en Fnac ? Il faut arrêter de penser qu'il y a des barrières infranchissables entre les indépendants et la Fnac. » Désireuse d'ouvrir les premiers établissements franchisés à la fin de l'année, la direction travaille actuellement à l'élaboration d'un cahier des charges et affirme que le livre y aura une place forte.

Offensif

Avec l'ouverture, en 2012, d'au moins 7 points de vente en France et à l'international, sans compter les franchises et les installations dans les lieux de transport, Alexandre Bompard affiche donc un programme offensif. A l'en croire, il s'agit moins d'habiller la mariée pour séduire un repreneur que de contrer la montée en puissance des pure-players. Il est vrai que François-Henri Pinault, P-DG de PPR, nous a récemment déclaré qu'une vente de la Fnac n'était pas d'actualité : "Nous devons au préalable finaliser la cession de notre filiale Redcats. » En attendant, donc, Alexandre Bompard entend donner à la Fnac les moyens d'assumer ses responsabilités de leader sur un marché "fragilisé ». Rappelant qu'il était monté au créneau pour défendre une loi sur le prix unique du livre numérique valable pour tous les opérateurs quels que soient leur nationalité et leur lieu d'implantation, il se dit aujourd'hui particulièrement préoccupé par le développement d'Amazon. "Il faut absolument éviter qu'un pure-player pour qui le livre n'est qu'un produit d'appel ne devienne un acteur hégémonique sur le marché. » Estimant que toutes les conditions sont réunies pour que le marché du numérique démarre en France, il veut donc que là aussi "la Fnac joue son rôle de premier libraire de France ». D'où le lancement avec Kobo d'une liseuse performante, vendue à ce jour à 60 000 unités. "Si on a pu penser pendant un certain temps que le Kindle représenterait 80 % du marché en France, ce n'est plus le cas. On sait désormais qu'Amazon devra partager avec la Fnac. » Mais Alexandre Bompard entend aussi convaincre la chaîne du livre de la nécessité de s'unir pour contrer la percée des pure-players. "Venant d'autres univers, je suis frappé par l'absence de dialogue au sein de la filière livre. Mais le moment est venu de mettre tout le monde autour d'une table pour trouver des solutions. Il faut repenser notre modèle collectif, rediscuter des prix, des marges, du portage des stocks, de leur financement... Le livre sera la prochaine industrie culturelle à devoir évoluer. Ce devrait même être l'un des chantiers prioritaires du prochain ministre de la Culture. »

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