Avant- portrait

Unis pour la littérature et pour le pire. Le pire, en l’occurrence, ce sont les fautes de français. Celles qu’ils corrigent quotidiennement chez leurs élèves de classes prépa, mais aussi celles qu’ils ont traquées chez les grands écrivains pour en tirer la matière de leur dernier livre. Leur chasse a été bonne : désaccord du participe passé chez Balzac, pluriel aléatoire chez Stendhal, traumatisme de l’adjectif chez Baudelaire ou relecture partielle chez Dumas dans Le collier de la reine : "Ah ! dit Don Manoël en portugais." Même Proust est gentiment épinglé pour sa discordance des temps. Autant de pathologies réjouissantes que ce couple, à la ville comme à la scène, traite avec indulgence. "Notre but est de transmettre une émotion, un émerveillement, une passion pour l’écriture, pas de donner des leçons."

Professeurs facétieux

Des leçons, ils en donnent pourtant depuis quelques années à des étudiants plutôt chanceux d’avoir des maîtres aussi enthousiastes. Etienne Kern et Anne Boquel se sont rencontrés rue d’Ulm. Après leur agrégation et un passage par la Sorbonne, ils sont partis enseigner les lettres à Lyon, lui en khâgne, elle en math spé. "Nous trouvons nos sujets en travaillant auprès de nos élèves. Pour leur parler de l’œuvre de Nerval, nous racontons les derniers jours de sa vie. C’est notre façon de montrer qu’il y a de la chair derrière les œuvres. C’est la même chose pour les fautes de français. Elles révèlent l’inquiétude de l’homme ou de la femme qui lutte contre la langue. C’est le cœur qui bat derrière la plume."

A l’unisson dans leur enthousiasme comme dans leur écriture, ils ont bâti une œuvre originale qui prend la littérature par ce qu’elle a de plus fragile. C’est cette complicité qui leur a permis de comprendre les haines qui animent les écrivains ou les vicissitudes de leurs parcours familiaux. Jusqu’à ce qui les fait trébucher sur cette langue magnifique et compliquée. "C’est pourquoi la faute n’est pas toujours la faute. L’écrivain travaille avec les mots pour se forger un style. En proposant la visite de son atelier, nous dédramatisons le faux pas et nous aiguisons notre grammaire", expliquent les auteurs. Avec érudition et tendresse, ces professeurs facétieux ont examiné à la loupe les grands auteurs francophones du XIXe siècle à nos jours, "ceux du corpus scolaire que l’on connaît tous", pour composer un Grevisse espiègle dont ils ont toutes les raisons d’êtres fiers. C’est le plus bel hommage que l’on puisse rendre à ces forçats de l’écriture qui luttent chaque jour contre ces bévues que Balzac appelait "des chagrins de poète". Pour eux, en tout cas, c’est un sans-faute.

Laurent Lemire

Anne Boquel et Etienne Kern, Les plus jolies fautes de français de nos grands écrivains, Payot, Prix : 12 euros ; 170 p., Sortie : 28 octobre, ISBN : 978-2-228-91403-1

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