Antoine Gallimard : "Espérons que la rigueur ne pèsera pas trop sur la politique culturelle"

"Ce sera à nous d'apporter la preuve à la Commission européenne que la loi sur le prix du livre numérique est utile. Ne pas utiliser la loi, ce serait laisser croire qu'on peut s'en passer, ce qui est très dangereux." ANTOINE GALLIMARD - Photo OLIVIER DION

Antoine Gallimard : "Espérons que la rigueur ne pèsera pas trop sur la politique culturelle"

Tout en s'inquiétant des répercussions de la rigueur budgétaire sur le secteur du livre qui vit des heures difficiles, le président du Syndicat national de l'édition se réjouit de l'extension au numérique des règles qui le régissent.

J’achète l’article 1.5 €

Par Hervé Hugueny,
avec Créé le 15.04.2015 à 19h12 ,
Mis à jour le 23.04.2015 à 10h06

Livres Hebdo - Le gouvernement a annoncé son intention d'appliquer une TVA à 7 % sur le livre. Les éditeurs vont-ils la répercuter entièrement ou réduire en partie leur marge ?

Antoine Gallimard - Le SNE ne fera pas de recommandation, il doit être parfaitement neutre en matière de tarification. Chaque éditeur agira en fonction des prix de marché et de la concurrence. Chez Gallimard, il est très probable que nous augmenterons un peu nos tarifs, en fonction des particularités de chaque segment de marché, au cas par cas, et pas systématiquement. Mais ce n'est pas une hausse considérable, le prix du livre ne s'en trouvera pas trop renchéri.

Pensez-vous que dans ce contexte de rigueur la baisse de la TVA sur le livre numérique pourra entrer en vigueur au 1er janvier prochain  ?

Le ministre de la Culture nous a assuré que nous pourrions appliquer le taux réduit sur le livre numérique et que, si jamais il y avait une condamnation de la Commission européenne, elle ne serait pas répercutée sur les éditeurs par l'Etat. J'ai été un des artisans de cette baisse, au nom de la réduction de distorsion de la fiscalité entre le livre papier et le numérique qui est aussi un bien culturel, et non un service contrairement à ce qu'affirme l'orthodoxie de la Commission européenne.

Cette baisse sera-t-elle répercutée intégralement par les éditeurs ?

Une TVA ajustée nous permettra d'arriver à des prix pour le numérique qui devraient être inférieurs de 30 à 35 % à ceux du papier, en respectant les différents acteurs de la chaîne de valeur, notamment les auteurs et les éditeurs. Le SNE recommandera de répercuter cette baisse, mais chaque éditeur sera libre d'en choisir les modalités. Chez Gallimard, nous l'appliquerons.

La loi sur le prix du livre numérique entrera en vigueur dans les prochains jours, quel sera son principal apport ?

Elle va sécuriser les relations entre éditeurs et vendeurs, et notamment avec les plus grands qui imposent des rapports de force. En Grande-Bretagne, Amazon fait un dumping terrible, il écrase tout sur son passage, y compris les plus grandes chaînes de distribution. La Fnac et les distributeurs spécialisés l'ont bien compris, et défendent aussi cette loi qui garantira un accès équitable de tous les revendeurs au livre numérique. Même les représentants de Google nous ont déclaré qu'ils sont pour ce texte ! D'autre part, l'absence de réglementation sur le numérique pourrait à terme remettre en cause celle du livre physique.

Etes-vous prêt à remplacer le contrat de mandat que vous venez de signer avec Amazon et Apple par des conditions générales de vente, comme dans le papier ?

C'est une clause que nous avons prévue, chez Gallimard. Nos conditions générales de vente ne sont pas encore prêtes, mais nous y travaillons de façon à pouvoir les appliquer en janvier prochain, en même temps que la TVA réduite. Et le remplacement du contrat de mandat aura aussi le mérite de clarifier les choses : actuellement pour les livres numériques Amazon indique qu'il applique un "prix éditeur", en laissant entendre que ce n'est pas le bon tarif, qui devrait être le sien.

Quel sera l'avantage des conditions générales de vente par rapport au contrat de mandat ?

Elles seront plus souples et plus ouvertes, et elles nous permettront de bien valoriser les critères qualitatifs, puisque tout le monde disposera des mêmes prix et de la même offre. Ces critères seront à préciser entre éditeurs et revendeurs, dans la commission des usages commerciaux. D'autre part, le contrat de mandat est fragilisé en raison de l'enquête de la Commission européenne - même si je ne vois pas en quoi il pourrait favoriser une quelconque entente sur les prix.

Mais la Commission européenne conteste aussi cette loi, que certains éditeurs trouvent de fait incertaine...

Il semble finalement qu'elle laissera au moins passer une période d'observation, en nous donnant le temps d'en montrer l'efficacité et l'utilité. Nous avons d'ailleurs été consultés dans ce sens par la Commission, au cours de l'été. Ce sera donc à nous d'apporter cette preuve. Ne pas utiliser la loi, ce serait laisser croire qu'on peut s'en passer, ce qui est très dangereux.

Avec l'arrivée de nouveaux entrants, l'évolution des ventes permet-elle de laisser supposer que le numérique sera un atout face à la chute du pouvoir d'achat ?

C'est encore bien trop tôt pour le savoir. Pour le moment, un grand succès, c'est entre 1 000 et 2 000 ventes... Et, aux Etats-Unis, on voit qu'il n'y a pas vraiment de création d'un nouveau marché, mais plutôt une substitution, notamment aux dépens du livre de poche. D'autre part, il faudra bien résoudre les problèmes de compatibilité de format et de facilité d'accès, c'est un souci que l'on partage avec les libraires.

La nouvelle branche éditoriale d'Amazon aux Etats-Unis a publié 122 nouveautés ; cette arrivée du marchand en ligne dans l'édition n'est-elle pas un risque pour le monde du livre ?

C'est dangereux pour l'équilibre du marché, et cela pose un problème d'égalité dans la présentation de l'offre : je ne vois pas comment Amazon pourrait présenter ses titres de façon neutre, à côté de ceux des éditeurs qu'il revend. Et c'est mal comprendre notre métier, nous sommes comme des galeristes, des artisans, notre spécificité, c'est la découverte d'auteurs. Ce genre d'initiatives ne peut que déboucher sur une production formatée, dans le pratique, le sentimental, les best-sellers. Le premier lecteur d'un auteur, c'est l'éditeur, qui pourra l'accompagner dans ses années d'improductivité. Gallimard a signé le contrat pour Belle du Seigneur avec Albert Cohen en 1922, et le roman a été publié en 1968. Je ne crois pas que M. Bezos aurait la même constance que Gaston Gallimard...

Le plan de rigueur gouvernemental et ses répercussions sur le pouvoir d'achat ne vont-ils pas fragiliser davantage le livre ?

Il faut espérer que cette rigueur ne pèsera pas trop sur la politique culturelle, le soutien à la création et à la librairie via le CNL. Mais un amendement de la loi de finances nous apparaît inquiétant : il plafonne les recettes de la taxe éditeur affectées au CNL, dont le surplus sera reversé au budget général.

La proposition de loi préparant le programme de numérisation des livres indisponibles du XXe siècle est déposée ; où en est le projet côté éditeurs, dans le cadre des investissements d'avenir ?

Il faudra choisir la société de gestion collective chargée de gérer les droits de ces oeuvres indisponibles, entre la Sofia et le CFC, toutes deux candidates. Il faudra créer aussi la société de projet, pour conduire la numérisation des titres, et leur commercialisation, en commençant par une première tranche pour éprouver la solution de ce programme. Mais ce ne sera pas forcément une structure ad hoc, il ne s'agit pas de lancer une grosse machine de guerre : c'est un emprunt, qu'il faudra rembourser, il est donc difficile pour les éditeurs de s'engager sans mesurer ce marché.

15.04 2015

Les dernières
actualités