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Architecture : vers la bibliothèque flexible

Montpellier Méditerranée Métropole : Médiathèque Emile-Zola - Photo Montpellier Méditerranée Métropole

Architecture : vers la bibliothèque flexible

L’architecte Luigi Failla décrypte pour Livres Hebdo les concepts de cinq établissements significatifs de la vision actuelle, évolutive et inclusive, des bibliothèques.

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Par Véronique Heurtematte,
Créé le 24.02.2017 à 00h32 ,
Mis à jour le 24.02.2017 à 09h39

Dans la thèse qu’il lui a consacrée en 2015 (1), l’architecte Luigi Failla passe au crible l’évolution de l’architecture des bibliothèques depuis les années 1980. Pour lui, le numérique, les usages en mobilité et les nouvelles pratiques culturelles qui en découlent, ont modifié en profondeur la conception des bâtiments de lecture publique. "Le numérique a modifié l’information et les modalités pour y accéder qui sont devenues discontinues, nomades et participatives", explique Luigi Failla, aujourd’hui chercheur associé au laboratoire Architecture, culture et société de l’Ecole nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais.

La prise de conscience de la nécessité d’intégrer de nouveaux services, pas forcément culturels, consacrant les bibliothèques comme des lieux de vie sociale incontournables au sein de la cité, constitue l’autre grand facteur d’évolution architecturale. Les programmes, de plus en plus liés aux problématiques d’un territoire donné, s’élaborent désormais autour des services aux usagers plutôt qu’autour des collections. Les bibliothèques sont conçues comme des espaces urbains à échelle réduite, où coexistent des populations et des activités très diverses. On passe progressivement d’une conception fonctionnaliste, où des zones correspondent à des publics précis, dont l’archétype pour Luigi Failla est le modèle allemand à trois niveaux des années 1980, à la conception de lieux flexibles, polyvalents, décloisonnés, connectés.

"Comme dans la ville, où les urbanistes essaient de prévoir les activités humaines mais y parviennent finalement très peu, les concepteurs de bibliothèques prennent conscience qu’un certain nombre de choix ne dépendent plus d’eux mais des utilisateurs", explique le jeune architecte. Le bâtiment acquiert souvent une force symbolique, tandis que le recours à des façades vitrées permet de connecter visuellement la bibliothèque à la ville. L’analyse de l’architecture des établissements de Montpellier, Oloron, Saint-Denis, Colomiers ou Clermont-Ferrand permet d’expliquer ces mutations et la vision actuelle d’un service de lecture publique.

(1) "Le devenir de la bibliothèque publique et le rôle de l’architecture : stratégies de conception pour le XXIe siècle", Université Paris-Est, 2015.

Montpellier Méditerranée Métropole : l’ouverture aux services

Photo LUIGI FAILLA

"Cet équipement incarne une version à la française du modèle allemand, explique Luigi Failla. Le concepteur se rend compte que la bibliothèque doit intégrer de nouveaux services et activités comme le forum de l’actualité, le café, l’auditorium, qui sont tous concentrés au rez-de-chaussée. La partie centrale abrite les collections et les salles de lecture, et le dernier étage l’espace de recherche avec le fonds patrimonial. On sent une certaine hiérarchie dans les différents niveaux, qui se reflète dans la conception de la façade, transparente au rez-de-chaussée et qui devient plus opaque au fur et à mesure qu’on monte dans les étages. On commence à voir apparaître du mobilier sur roulettes mais seulement au rez-de-chaussée. Il s’agit d’une bibliothèque centrale, avec des fonds anciens, qui doit donc avoir des magasins, des réserves et un certain nombre de missions transversales."

Oloron-Sainte-Marie : un espace modulable

Photo PASCALE GUÉDOT

"Dans cette bibliothèque, il n’existe plus de hiérarchisation des contenus, observe Luigi Failla. C’est la même idée qu’à Saint-Denis mais poussée encore plus loin : un lieu très ouvert où l’organisation de l’espace ne dépend plus seulement des concepteurs mais des utilisateurs, qui peuvent suggérer des usages et qui font le quotidien de la bibliothèque. Il s’agit également d’une conception évolutive qui permet de changer facilement l’organisation. Cela répond à une préoccupation des bibliothécaires qui veulent un lieu capable de s’adapter à l’évolution des pratiques et des besoins, mais cela correspond aussi à une réalité très actuelle : aujourd’hui, tous les espaces d’une bibliothèque ne sont pas utilisés en permanence et de la même manière toute la journée mais différemment selon les moments. A l’extérieur, on voit qu’un volume prime sur l’autre : l’accueil est dans la partie haute, par laquelle on entre, l’espace jeunesse dans la partie basse, et les collections dispersées dans tout le bâtiment. L’architecture donne une identité à cette portion de ville. Très peu d’éléments indiquent qu’il s’agit d’une bibliothèque."

Photo PASCALE GUÉDOT

Saint-Denis : un rez-de-chaussée dans la ville

Photo JACQUES HESTERS

"Ici, la bibliothèque n’est pas divisée en plusieurs missions différentes. Toute la bibliothèque constitue un espace social. Il n’y a pas de hiérarchie entre les activités liées au livre et les autres. Dans ce type d’établissement, on commence à permettre des usages totalement libres, dans un lieu où l’on n’est pas jugé pour ce qu’on y fait - parler, faire un peu de bruit, utiliser un ordinateur, adopter une posture décontractée. C’est ce qui fait la force de ce modèle. Du point de vue formel, le bâtiment est conçu comme un rez-de-chaussée dans la ville, joyeux et coloré. C’est la traduction esthétique et architecturale du message disant que la bibliothèque n’est pas un lieu austère, mais un espace accueillant et convivial."

Photo JACQUES HESTERS

Colomiers : une ville en miniature

Photo RUDY RICCIOTTI

"C’est une bibliothèque "ville". L’intérieur est conçu comme un forum urbain, véritable lieu de vie permettant aux habitants de se retrouver. Le vide central permet, comme dans un centre commercial, de percevoir ce qui se passe aux différents étages et la variété des activités qu’il s’y pratique - prendre un livre, voir une exposition, assister à un concert -, à la différence d’une bibliothèque traditionnelle où chaque espace est lié à une activité. Tout est très ouvert mais les différents usages coexistent sans se gêner les uns les autres. On éprouve ici le même charme que lorsque l’on va travailler dans un café et que l’on sent la vie autour. Il y a ici quelque chose de l’ordre de l’univers domestique. Le bâtiment crée un repère dans la ville. On peut juste s’y donner rendez-vous."

Photo LUIGI FAILLA

Clermont Communauté : ancrée dans le territoire

Photo G+ ARCHITECTES

"L’architecture de la bibliothèque traduit à la fois la modernité mais aussi l’ancrage dans une communauté rurale. Dans cette organisation sur deux niveaux, les espaces de convivialité sont séparés des activités plus classiques, mais avec une certaine fluidité entre les deux. Au rez-de-chaussée, très ouvert sur l’extérieur, on trouve la musique, les films, l’espace jeunesse et, à côté, une sélection de documents pour les adultes qui est comme une introduction à la bibliothèque. Cette offre favorise les usages de mobilité - on entre juste pour prendre un document -, mais aussi des pratiques mixtes : les parents peuvent s’y installer pendant que leurs enfants lisent. Le premier étage est dédié aux activités de bibliothèque plus traditionnelles. L’architecture extérieure fait apparaître une suprématie du premier étage sur le rez-de-chaussée. L’architecture en bois renvoie à la tradition rurale et à la nature environnante, très présente."

Photo LUIGI FAILLA

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