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Belgique : les premiers pas du prix unique

A la Foire du livre de Bruxelles, 2012. - Photo Olivier Dion

Belgique : les premiers pas du prix unique

La mise en œuvre du prix unique du livre depuis le 1er janvier est acueilli très positivement en Belgique francophone. Mais à la veille de la Foire du livre de Bruxelle, du 22 au 25 février, les libraires déplorent le décalage à 2019-2021 de la disparition de la tabelle.

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Par Clarisse Normand,
Créé le 16.02.2018 à 12h30

Le décret adopté par le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles le 18 octobre 2017 entraînera-t-il une redistribution des cartes sur le marché du livre de Belgique francophone ? Espérées depuis plus de trente ans par de nombreux professionnels, redoutées par d’autres, la mise en place du prix unique du livre au 1er janvier 2018 et la disparition progressive, de 2019 à 2021, de la tabelle - ce surcoût de 12 % à 15 % encore appliqué sur les livres diffusés-distribués par Dilibel (Hachette Livre) et Interforum Benelux (Editis) - suscitent de nombreuses interrogations. En faisant disparaître les possibilités de concurrence par les prix entre les différents circuits de vente en Belgique, mais aussi ceux situés en France, l’enjeu est de ramener les actes d’achat dans les librairies belges. Mais qu’en sera-t-il vraiment ? Quelle stratégie vont adopter Dilibel et Interforum Benelux face à la disparition d’une partie de leurs revenus ? Comment va évoluer leur niveau de services ? L’enjeu est de taille car le marché du livre de langue française en Belgique est nourri à plus de 70 % par la production étrangère, en particulier française. Et Dilibel et Interforum Benelux pèsent ensemble au moins 50 % du marché.

Frustration

Selon Raphaël Bonaert (Librairie du Midi, Bruxelles), "2018 s’annonce comme une année d’observation. En librairie, on n’ose pas faire de beaux rêves, mais l’espoir est là." Satisfaits, à l’instar de Régis Delcourt, président du Syndicat des librairies francophones de Belgique (SLFB) et cogérant de Point Virgule à Namur, par la concrétisation d’un projet de longue haleine, nombre de libraires reconnaissent toutefois une certaine frustration liée au calendrier prévu pour la fin de la tabelle. Le premier niveau de plafonnement, à 8 %, ne s’appliquera qu’au 1er janvier 2019, le second, à 4 %, un an plus tard, et la disparition ne sera totale qu’au 1er janvier 2021.

"On ne va pas se plaindre, mais il est dommage que la baisse de la tabelle n’ait pas commencé dès cette année, observe Yves Limauge (A Livre ouvert-Le Rat conteur, Bruxelles). Les clients ont entendu parler de prix unique et de baisse de prix, et ils ne comprennent pas que les livres soient toujours plus chers qu’en France." Dans les points de vente qui pratiquaient d’importants discounts sur les nouveautés, les tarifs ont même augmenté puisque les remises sont désormais, comme en France, limitées à 5 % pour une durée de deux ans, réduite à un an pour les BD. Dès lors, pour continuer à proposer un avantage, certaines enseignes, comme Carrefour, ont remplacé le discount par un système de points bonus accordés aux acheteurs de plusieurs livres.

Alors qu’à Bruxelles, territoire bilingue, le décret adopté par la Fédération Wallonie-Bruxelles doit encore faire l’objet d’un accord de coopération à l’échelon fédéral pour être effectif, une communication est prévue par l’interprofession en partenariat avec le ministère de la Culture pour expliquer la situation aux consommateurs.

"En attendant, c’est nous qui l’expliquons à nos clients et ils comprennent, note Régis Delcourt. On sent même un militantisme en notre faveur. Certaines personnes nous ont dit qu’avec la baisse des prix elles allaient revenir acheter chez nous plutôt que sur le site français Amazon." De même, les libraires belges espèrent récupérer des clients qui achetaient leurs livres en France en raison du différentiel de prix. Ce gain de clientèle espéré est d’autant plus important pour eux que, avec la baisse de la tabelle, leurs marges sur les livres venant de Dilibel et Interforum vont se réduire. Cependant, les attentes cachent parfois un certain scepticisme. "Je crains que toutes ces mesures n’arrivent trop tard, car des habitudes d’achat ont déjà été prises, notamment sur Internet", note Bernard Saintes (L’Ecrivain public, La Louvière).

Pour Olivier Verschueren (Livre aux trésors, Liège), "le grand intérêt du décret concerne les ventes aux collectivités avec le plafonnement des remises à 15 % qui jusqu’alors pouvaient atteindre 25 % et excluaient de nombreux libraires". "Déçu", Marc Filipson (Filigranes, Bruxelles) regrette que les remises des ventes aux collectivités et des ventes de manuels scolaires soient respectivement de 15 % et de 25 %, et non de 5 % elles aussi. "Avec 15 % de remise, je paie à peine mes frais fixes", lâche le libraire.

Un regain de compétitivité

Avec la fin de la tabelle, Raphaël Bonaert salue, lui, le regain de compétitivité des professionnels belges sur ces marchés. "Aujourd’hui, explique-t-il, nombre de collectivités belges achètent au prix français à des libraires français, dont le Furet du nord. Avec la disparition du différentiel de prix, cela pourrait changer." En attendant, le Furet du nord, jusqu’alors absent physiquement du territoire, a vu dans la nouvelle réglementation une opportunité d’ouvrir des magasins. Il vient de racheter les librairies Libris-Agora de Namur et de Louvain, qui appartenaient encore à Actissia. "Un premier pas en Wallonie", lâche Pierre Coursières, P-DG de l’enseigne française, qui justifie son arrivée par "la nouvelle maîtrise qu’offre le prix unique sur la rentabilité du métier et par une volonté de parer à une éventuelle perte de clientèle dans ses magasins français frontaliers".

"Machine à cash"

Mais pour l’heure, les regards des professionnels sont surtout tournés vers Dilibel et Interforum Benelux, qui, avec la disparition de la tabelle, vont enregistrer des pertes de revenus se chiffrant en millions d’euros. Pour Dilibel, il s’agirait de près de 5 millions d’euros. Les dirigeants d’Interforum Benelux, eux, n’hésitaient pas, avant l’adoption du décret, à envisager un retrait du marché en cas de disparition de la tabelle. Créée dans les années 1970 pour les livres importés de France afin de faire face aux variations de change entre franc français et franc belge, la tabelle permettait aussi de financer les coûts des structures des sociétés importatrices. Selon les libraires, à commencer par Philippe Goffe (ex-gérant de Graffiti, à Waterloo, fortement impliqué dans le projet de décret), c’était surtout, depuis l’arrivée de l’euro, une "machine à cash" pour les maisons mères françaises.

Dilibel et Interforum Benelux se maintiendront-ils en adaptant leur organisation ou partiront-ils, assurant la diffusion-distribution de leurs catalogues directement depuis Paris ? La question se pose surtout pour la partie distribution. Patrick Moller, P-DG de Dilibel, assure "vouloir se battre pour maintenir une structure qui assure un bon service aux libraires et, par suite, leur pérennité. Car celle-ci passe aussi par leur capacité à être performants et à pouvoir répondre aux demandes avec un délai maximum à J + 2." Chez Interforum, personne n’a souhaité s’exprimer mais, en Belgique, les rumeurs vont bon train sur la fragile santé de l’entreprise qui n’aurait pas renouvelé, pour l’instant, son bail pour ses entrepôts à Louvain.

Parmi les libraires, "personne ne souhaite la disparition ni de Dilibel ni d’Interforum Benelux, assure Brigitte de Meeûs (Tropismes, Bruxelles). A l’exception des titres qu’ils n’ont pas en stock et qu’ils doivent faire venir de France, ils assurent un très bon service de proximité. Qu’en sera-t-il s’ils disparaissent et que nous sommes traités directement depuis la France ?" Plus inquiétant encore, les petits points de vente de presse, qui vendent quelques best-sellers, continueront-ils à proposer cette offre s’ils perdent leur opérateur local ? Autant de questions dont les réponses viendront de Paris.

Le marché dans l’espoir d’un nouveau souffle

 

Les distributeurs, les libraires et les éditeurs espèrent renverser la tendance constante à l’érosion du marché du livre belge.

 

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

"Notre marché a suivi l’an dernier à peu près les mêmes évolutions qu’en France", estime Patrick Moller, P-DG du principal distributeur, Dilibel, filiale d’Hachette Livre. Fortement dépendant de la production française, il a notamment pâti de la faiblesse de cette offre au premier semestre et afficherait, selon Patrick Moller, un recul de 1 % à 2 %. "Chez Dilibel, en revanche, les locomotives du second semestre (Astérix, Dan Brown, etc.) nous ont permis de terminer l’année avec une hausse de 7 %."

Chez MDS Benelux (Média-Participations), très présent en bande dessinée et en jeunesse, Michel Delaye, manager des relations éditeurs et du service clientèle, enregistre aussi une progression, se félicitant de l’arrivée récente à son catalogue de l’éditeur belge jeunesse Mijade et du français Anne Carrière. Côté éditeurs, Simon Casterman, directeur financier de Casterman, revendique une bonne année 2017 pour la BD. En littérature, Luce Wilquin, qui dirige la maison qui porte son nom, sent une certaine morosité, même si elle se veut sereine.

En librairie, les échos sont plus contrastés. Avec 11 points de vente répartis sur le territoire (3 à Bruxelles et 8 en Wallonie), l’enseigne Slumberland BD World se montre "satisfaite de 2017 après un exercice 2016 catastrophique", indique Cédric De Waele, responsable marketing et communication. A Bruxelles, Brigitte de Meeûs (Tropismes) se réjouit elle aussi, après la fréquentation très faible enregistrée en 2016 à la suite des attentats, d’un retour des touristes et d’une reprise d’activité, tandis que Marc Filipson (Filigranes) ne parle que de très légère hausse, voire de stabilité. A La Louvière, Bernard Saintes (L’Ecrivain public) ne cache pas avoir connu "en 2017 sa plus mauvaise année d’activité depuis trente-trois ans" et dénonce la concurrence d’Amazon.fr, avantagé par le différentiel de prix.

Disparitions et créations

A côté des transmissions des librairies Graffiti à Waterloo (1) et UOPC à Bruxelles, l’année a aussi été marquée par des disparitions, en particulier celles de Page après page à Spa et de Libris Agora à Liège. En revanche, quelques magasins ont vu le jour, surtout à l’initiative des enseignes. La Fnac a ouvert à Charleroi, portant à 11 le nombre de ses points de vente en Belgique. Club a créé deux établissements, à Charleroi et à Liège, et en annonce un autre pour avril 2018 à Ath. Avec 45 magasins et un chiffre d’affaires 2017 de 60 millions d’euros, la chaîne wallonne, reprise en 2014 par le flamand Standaard Boekhandel, réaffirme sa volonté de se développer dans les zones de trafic (gares, aéroports…).

S’il est encore trop tôt pour que l’entrée en application du prix unique, début janvier, ait eu quelque incidence, les libraires se veulent optimistes. Au-delà des hausses mécaniques que certains pourront enregistrer avec la disparition des discounts, le début d’année est jugé plutôt encourageant. En outre, le groupement de 49 libraires qui a remporté l’an dernier l’appel d’offres de la Communauté française de Belgique (2) voit revenir un certain nombre de collectivités et peut les servir "dans des bonnes conditions puisque les remises ont été plafonnées, dans cet appel d’offres, à 12,5 %", se félicite Olivier Verschueren (Livre aux trésors, Liège). Prévu sur trois ans, ce marché continuera donc à faire sentir ses effets en 2018 et 2019.

(1) LH 1141 du 15.9.2017, p. 34.

(2) LH 1119 du 3.3.2017, p. 24.

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