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Bibliogames

Le centre de ressources de la Gaîté lyrique à Paris propose un espace jeux vidéo. - Photo VÉRONIQUE HEURTEMATTE

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Longtemps mal considéré, le jeu vidéo trouve aujourd'hui sa légitimité et s'installe progressivement dans les établissements qui y voient un outil de choix pour moderniser leur image, attirer le public jeune et créer la convivialité propre à l'esprit "troisième lieu".

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Par Véronique Heurtematte,
avec Créé le 03.10.2014 à 14h05

Depuis le 1er mars 2011, il existe à Paris un petit paradis pour le "gamer" : l'espace jeux vidéo de la Gaîté lyrique. Dans ce vénérable bâtiment datant de 1862, aujourd'hui dédié par la volonté municipale aux cultures numériques, cet espace offre 6 jours sur 7 (du mardi au dimanche) et de 14 h à 20 h un accès gratuit, sans formalités et sans limitation de durée, à 5 postes équipés chacun d'un grand écran, 15 consoles et 6 consoles portables. Mais il ne s'agit pas là d'une simple salle de jeu. Ce lieu, de même que le centre de ressources auquel il est adossé, participe activement à la diffusion autour de la création numérique et des nouvelles technologies. Si la majorité du public est constituée par des enfants qui viennent à la sortie de l'école et de jeunes adultes, des animations organisées régulièrement, comme le "Game older" qui propose une initiation pour le public senior, visent à élargir l'audience. En cet après-midi du début de mai, dans l'espace jeux vidéo, un père dispute une partie avec ses deux fils. A côté d'eux, des adolescents se sont installés devant une console. "Nous ne voulions pas faire une simple mise à disposition. Nous proposons une sélection thématique renouvelée chaque semaine en lien avec les expositions », explique Oscar Barda, responsable du centre de ressources, qui accueille aujourd'hui une classe de collégiens auxquels il fait découvrir toutes les étapes de la création d'un jeu vidéo. Son expertise, ce jeune trentenaire la partage aussi assidûment avec les professionnels des bibliothèques, de plus en plus nombreux à observer avec attention l'expérience du centre de ressources de la Gaîté lyrique.

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Une lente conquête

Si pendant longtemps le jeu vidéo n'a pas été considéré comme légitime par nombre de bibliothécaires, il s'impose aujourd'hui lentement mais sûrement. Sa progression doit beaucoup à l'idée de la bibliothèque conçue comme un "troisième lieu" entre le domicile et le travail : espace de socialisation et de rencontre accueillant et convivial, où le public est invité à séjourner pour pratiquer des activités, et non plus à passer rapidement, juste le temps d'emprunter quelques documents. Le jeu apparaît également comme un bon moyen d'attirer le public des adolescents, toujours difficile à capter, de même qu'il permet aux établissements de donner un sacré coup de jeune à leur image. "C'est très positif en termes d'image et de renouvellement des publics, pour un investissement qui reste modeste », confirme Anne-Gaëlle Gaudion, directrice de la médiathèque de Chassieu et membre actif du groupe de travail "bibliothèques hybrides" de l'Association des bibliothécaires de France (ABF). Le succès rencontré par les premières bibliothèques à avoir expérimenté une offre est également très incitatif. A Saint-Raphaël, l'animation créée à partir de 2007 autour du jeu MMORPG Dofus a fait monter en flèche les inscriptions des adolescents à la bibliothèque. Il a également fidélisé ce public. "Les jeunes pourraient jouer de chez eux, mais ils préfèrent venir à la bibliothèque », témoignait Franck Queyraud, responsable du département multimédia de la médiathèque lors d'une intervention au Salon du livre en 2010. Le réseau des bibliothèques municipales de Montpellier, qui fait également partie des pionniers en ayant constitué une offre dès 2007, tire un bilan très positif de son expérience. Implanté à l'origine dans deux établissements qui disposent d'un espace, le jeu vidéo est aujourd'hui présent dans les 14 bibliothèques du réseau. Comme à Saint-Raphaël, le jeu compose un élément fort d'attractivité : le nombre de participants aux animations autour du jeu vidéo est passé de 14 500 en 2010 à 17 000 en 2011. Les équipes se sont aperçues que non seulement le jeu vidéo avait fait revenir le public adolescent, mais aussi qu'il attirait un public de plus en plus large : seniors, public féminin, parents venant jouer avec leurs enfants comme on vient pour lire une histoire ou regarder un DVD. Signe que le jeu vidéo est en train de conquérir une place à part entière dans les bibliothèques ? C'est l'avis de Gilles Gudin de Vallerin, directeur du réseau des bibliothèques municipales de Montpellier : "Le jeu vidéo ne fait pas partie d'une stratégie pour attirer le public vers d'autres activités qui seraient considérées comme plus légitimes. C'est un vecteur de partage et de convivialité, de même que d'apprentissage de la vie en société. Il a toute sa pertinence dans nos collections et fait aujourd'hui partie de notre offre de base. »

Selon la liste répertoriée par un bibliothécaire blogueur (1), seule une bonne centaine de bibliothèques en France propose aujourd'hui des jeux vidéo. Mais la situation évolue rapidement et la plupart des projets de bibliothèques intègrent désormais cette dimension.

A Brest, la bibliothèque Neptune ouvrira à la fin de 2012 un espace jeu vidéo qui s'inscrit dans le prolongement de l'offre de jeux en ligne lancée en septembre dernier et qui s'est attiré un franc succès. L'objectif était multiple : faire découvrir l'espace multimédia aux adolescents et aux jeunes adultes, familiariser les publics avec l'univers du jeu vidéo, rassurer notamment les parents parfois prévenus contre ce type de supports. "Le jeu suscite des échanges entre les usagers de tous âges et crée de la convivialité, note Marie-France Moal, responsable de la bibliothèque Neptune. C'est aussi un bon moyen pour les enfants de s'initier à la manipulation d'un ordinateur." De plus, cela servira de test pour l'espace "gaming" prévu dans la future grande médiathèque des Capucins qui ouvrira en 2015.

Un flou juridique

La médiathèque de l'Astrolabe, à Melun, a également décidé de constituer à partir de septembre une offre importante qui sera présentée dans les différents espaces de la bibliothèque (cyberlab, sections jeunesse, adulte). "C'est un média populaire auprès de tous les public et qui est digne d'entrer à part entière dans nos collections », défend Philippe Diaz, responsable du cyberlab de l'Astrolabe. La bibliothèque souhaite aussi offrir une collection pour le prêt, une option encore assez rare, en raison du flou juridique qui entoure la mise à disposition et plus encore le prêt de ce type de documents. La bibliothèque municipale de Chartres est l'une des premières à avoir fait ce choix audacieux en février 2011. "Nous souhaitions proposer le jeu vidéo comme n'importe quel autre support, partant du constat que tous les publics l'utilisent, pas seulement les adolescents », explique Catherine Jollier, directrice de l'établissement. Concernant l'épineuse question juridique qui fait reculer la plupart des autres bibliothèques, Catherine Jollier adopte une attitude pragmatique, confortée par le point de vue d'un juriste intervenu lors d'une journée professionnelle. "Nous sommes dans le même flou juridique que pour le CD, que l'on prête pourtant depuis trente ans sans problème, indique Catherine Jollier. Si la législation évolue, nous nous mettrons immédiatement en conformité avec elle. »

Quoi qu'il en soit, le jeu vidéo va poursuivre sa percée dans les établissements. Preuve de son importance croissante : il occupera une place de choix sur le stand des bibliothèques hybrides au prochain congrès de l'ABF à Montreuil-sous-Bois du 7 au 9 juin prochain.

(1) www.jvbib.com/blog/

03.10 2014

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