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La Monnaie de Paris, installée face au Pont des Arts vient de faire l’objet d‘une polémique car une bâche de chantier a été ornée, comme c’est hélas le cas de la plupart des monuments en cours de rénovation -, d’une affiche publicitaire en faveur de la bière Heineken.

Le Code du patrimoine a été bel et bien respecté (les autorisations relatives notamment à la surface de la bâche ont été obtenues)… Ce n’est pas aussi clair et simple pour ce qui est de la « loi Evin ».

Des lieux de culture ont été confrontés à cette problématique ces dernières années.

De multiples exemples témoignent d’une interprétation caricaturale du champ d’application de la loi du 10 janvier 1991.

Ainsi, la Poste a édité en 1996, dans le cadre de l’hommage rendu par la France à André Malraux, un timbre à l’effigie du grand écrivain et homme de culture. Cependant, il a été observé que la reproduction de la célèbre photographie de la portraitiste de renom, Gisèle Freund, avait subi une réelle mutilation, la cigarette d’André Malraux ne figurant plus entre ses lèvres. La Poste a alors expliqué cette décision par la volonté de ne pas promouvoir la cigarette, estimant ainsi respecter les objectifs de la loi du 10 janvier de 1991.

De la même manière, en 2005, sur le catalogue de l'exposition de la Bibliothèque Nationale de France, consacré à Jean-Paul Sartre à l'occasion du centenaire de sa naissance, il a été possible de constater un vide entre ses deux doigts. Sa célèbre cigarette avait en effet été gommée par les graphistes ayant œuvré pour la Bibliothèque Nationale de France.

Cette dérive dans l’application de la loi du 10 janvier 1991 est allée encore plus loin en 2009, notamment au sein de l’espace d’affichage de la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP). En effet, sur l’affiche de l’exposition consacrée à Jacques Tati, à la Cinémathèque française, ce dernier y avait perdu sa pipe au profit d’un ridicule moulin-à-vent. À cet égard, Métrobus, la régie publicitaire de la RATP, a justifié ce subterfuge par la volonté d’interdire toute publicité indirecte pour le tabac, considérant cette approche conforme aux objectifs de la loi du 10 janvier 1991.

Enfin, cette interprétation extensive de la loi du 10 janvier 1991 s’est également manifestée dans la déformation de certaines affiches d’œuvres cinématographiques. Par exemple, en 2009, Métrobus a mis en cause la présence de fumée de cigarettes sur l’affiche du film  Gainsbourg, vie héroïque de Joann Sfar. De même, la représentation de Coco Chanel avec sa cigarette sur l’affiche du film d’Anne Fontaine Coco avant Chanel, a été refusée par la régie publicitaire de la RATP, celle-ci se prévalant encore une fois du respect de la loi du 10 janvier 1991.

Et chacun sait que Lucky Luke, s’il était plus jeune, aurait troqué son brin d’herbe contre une vapoteuse.

Rappelons en particulier que la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac, sont interdites par la loi n°91-32 du 10 janvier 1991, dite « loi Évin ». Celles-ci sont strictement encadrées pour des motifs de santé publique et justifiées par une politique de lutte contre le tabagisme en France.

Aux termes de l’article L. 3511-3 du Code de la santé publique, tel que modifié par l’Ordonnance n°2006-596 du 23 mai 2006, à propos des services de communication en ligne :

« La propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac, des produits du tabac ou des ingrédients définis au deuxième alinéa de l'article L. 3511-1 ainsi que toute distribution gratuite ou vente d'un produit du tabac à un prix de nature promotionnelle contraire aux objectifs de santé publique sont interdites.
Ces dispositions ne s'appliquent pas aux enseignes des débits de tabac, ni aux affichettes disposées à l'intérieur de ces établissements, non visibles de l'extérieur, à condition que ces enseignes ou ces affichettes soient conformes à des caractéristiques définies par arrêté interministériel.
Elles ne s'appliquent pas non plus :
1° Aux publications et services de communication en ligne édités par les organisations professionnelles de producteurs, fabricants et distributeurs des produits du tabac, réservés à leurs adhérents, ni aux publications professionnelles spécialisées dont la liste est établie par arrêté ministériel signé par les ministres chargés de la santé et de la communication ; ni aux services de communication en ligne édités à titre professionnel qui ne sont accessibles qu'aux professionnels de la production, de la fabrication et de la distribution des produits du tabac ;
2° Aux publications imprimées et éditées et aux services de communication en ligne mis à disposition du public par des personnes établies dans un pays n'appartenant pas à l'Union européenne ou à l'Espace économique européen, lorsque ces publications et services de communication en ligne ne sont pas principalement destinés au marché communautaire.
Toute opération de parrainage est interdite lorsqu'elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, des produits du tabac ou des ingrédients définis au deuxième alinéa de l'article L. 3511-1. »

Ainsi, la loi du 10 janvier 1991 interdit la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac, ainsi que toute distribution gratuite ou promotionnelle, ou toute opération de parrainage liée au tabac.

À cet égard, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a validé le dispositif de la loi du 10 janvier 1991 à travers deux arrêts en date du 5 mars 2009. Elle a ainsi admis la possible restriction à la liberté d’expression dans le cadre d’opérations publicitaires en faveur du tabac, aux fins de faire prévaloir les objectifs de santé publique.

L’intention du législateur semblait donc légitime en 1991, dans la mesure où elle tendait à protéger les objectifs de santé publique, en interdisant notamment l’incitation à la consommation du tabac.

La justification résidait alors dans l’éviction de toute forme de publicité ou de propagande financée, directement ou indirectement, par les industriels du tabac.

En conséquence, certains évènements sportifs promotionnels comme le Camel Trophy n’ont plus été couverts par les médias, tant ils étaient associés aux cigarettiers.

Cependant, la loi du 10 janvier 1991 a été interprétée ensuite de manière extensive, et au-delà de la publicité, ce sont les œuvres culturelles qui ont été remises en cause. En effet, nombreuses sont les œuvres culturelles qui ont fait l’objet de retouches, reflétant une primauté contestable des intérêts de la loi du 10 janvier 1991 sur les exigences du principe de la liberté d’expression.

Une telle application de la loi du 10 janvier 1991 aux œuvres culturelles a conduit à une véritable auto-censure de la part des services juridiques et de communication des entités concernées, illustrant la crainte injustifiée de poursuites judiciaires qui seraient motivées par les dispositions en cause.

Cette dérive conduit à la suppression d’éléments importants de l’histoire culturelle, l’illustration du tabac n’ayant pas vocation ici à inciter le citoyen à sa consommation mais faisant partie intégrante de l’œuvre culturelle.

Les falsifications de l’histoire, la censure des œuvres de l’esprit, la dénégation du réel avec en particulier la retouche photographique, doivent rester la marque infamante des régimes totalitaires.

Aucune cause ne peut justifier que les démocraties empruntent le même chemin. Le goût prononcé des sociétés occidentales pour un hygiénisme normatif de plus en plus coercitif ne doit pas servir de caution à de telles dérives. Ce qui ne justifie pas non plus l’emprise publicitaires sur les monuments, du Palais de justice de Paris à la Monnaie.

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