7 septembre > Essai France

N’en déplaise aux fossoyeurs des humanités classiques, aux "pédagogistes" qui font les programmes scolaires et que Jean-Michel Delacomptée fustige sévèrement dans son livre, on ne dira jamais assez l’effet bénéfique des grands textes sur les jeunes esprits en formation. C’est d’ailleurs à 20 ans, méchamment plaqué par son premier amour, une blonde, que le futur essayiste a lu Montaigne et ses Essais pour la première fois. Il s’en est trouvé si bien qu’ils ne se sont plus quittés depuis. Celui-là consacrant à celui-ci, à son époque, le XVIe siècle, et à ses contemporains, comme Ambroise Paré, plusieurs ouvrages remarqués, dont Et qu’un seul soit l’ami, La Boétie (Gallimard, 1995). Montaigne précurseur du feel-good, pourquoi pas ?

Jean-Michel Delacomptée revient aujourd’hui à son auteur de dilection en lui consacrant un essai fort personnel, où le je est très présent et où il exprime sans ambages ses opinions et ses critiques sur notre propre siècle, à travers un portrait tout en empathie, sensible, de l’homme à travers son œuvre. Il se situe ainsi dans le droit-fil de sa pensée, lui qui écrivait, dans sa préface aux Essais de 1580 : "Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre." Montaigne, inventeur de l’autofiction, pourquoi pas non plus ? C’est dire s’il est moderne. L’essai de Delacomptée aurait pu s’appeler Bonjour Montaigne, plutôt qu’Adieu. Mais l’auteur part du postulat que les Essais ne sont plus guère lus ni enseignés de nos jours, que le nom même de Montaigne est en train de s’effacer, pour, à la fin de son propre livre, plaider au contraire pour des retrouvailles nécessaires. Montaigne, depuis ses "pénates célestes", continuant de veiller sur nous.

L’idée est séduisante, nourrie d’une lecture minutieuse mais jamais pédante - même si Delacomptée s’irrite contre les "conversions" en français moderne de la langue des Essais, une création si particulière, si proche encore du latin, et surtout familière. On y découvre un Montaigne débarrassé des clichés qui lui collent aux chausses : ni conservateur, ni moralisateur, ni bigot, même s’il fut un tenant de l’ordre, loyal envers la monarchie et le catholicisme, mais sans aucun des excès de ses contemporains - il conseilla un temps Henri IV, le roi qui a donné l’édit de Nantes à la France -, ni misogyne, même si les femmes occupent peu de place dans ses Essais : enfant mal-aimé par sa mère, Antoinette de Louppes, alors qu’il vénérait son père, Pierre Eyquem, puis mari de Françoise de La Chassaigne, sans passion mais fidèle, il les y mentionne à peine. Ce qui ne l’empêchait pas d’apprécier le "beau sexe".

"Un honnête homme, c’est un homme mêlé", disait Montaigne, qui préférait la nature à la civilisation, le passé au présent, et la liberté individuelle à tout embrigadement. Il se voulait "seigneur philosophe" et non "maître de vie". On le prendrait pourtant bien comme gourou.

Jean-Claude Perrier

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