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Ce qui change sur le marché chinois

La librairie Sanlian, dans le centre de Pékin, désormais ouverte 24 heures sur 24. - Photo F. Piault/LH

Ce qui change sur le marché chinois

Principale acheteuse de droits français depuis 2012, l’édition chinoise poursuit sa modernisation mais doit faire face aux conséquences de la domination croissante des librairies en ligne.

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Par Fabrice Piault,
Créé le 17.09.2014 à 15h37

Contrôle étatique oblige, l’édition chinoise qui s’exposait du 27 au 31 août à Pékin pour la 21e Foire internationale du livre (BIBF) y semblait telle qu’elle se présentait un an plus tôt dans le même centre de foire de la lointaine périphérie de la capitale chinoise. La manifestation, qui reste fermée aux "ateliers privés" d’édition, continue de se structurer autour des stands des groupes publics des régions ou des administrations. Sur ces stands pourtant, l’atmosphère se révèle bien plus professionnelle, et un nombre croissant d’éditeurs parle anglais. On assiste à "un gros rajeunissement des équipes éditoriales, se réjouit l’agente spécialisée jeunesse, Juan Wu. Nous avons même de plus en plus d’interlocuteurs francophones."

Le champ éditorial s’ouvre

Les responsables des droits français, dont la Chine est devenue depuis 2012, en nombre de contrats, le principal client, sont les premiers à s’en rendre compte : "Les progrès sont très rapides dans tous les domaines", observe Anne Risaliti (Hatier/Didier), qui en est à son cinquième voyage depuis 2005. En jeunesse, l’édition est "de plus en plus multimédia" selon le directeur éditorial de Jieli, Bai Bing, qui souligne que le secteur pèse aujourd’hui 16 % de l’activité de l’édition, contre 6 % en 2001. Les albums se sophistiquent et les prix de vente peuvent atteindre 20 à 30 yuans (2,40 à 3,60 euros), soit 10 de plus qu’il y a cinq ans. "Les parents sont prêts à payer pour leurs enfants", explique l’agente Solène Demigneux (Dakai). L’autorisation donnée le 1er janvier aux couples dont les deux partenaires sont nés après 1979 de faire un deuxième enfant constitue un accélérateur de croissance pour les éditeurs. Au-delà, "nous cherchons de nouveaux matériaux et de nouvelles formes pour nos livres", indique Bai Bing. Caroline Gaucher (éditions de Saxe) perçoit de son côté l’émergence d’un petit secteur en loisirs créatifs. Carole Saudejaud (Fayard) constate "une vraie appétence pour les sciences humaines". Florence Giry (Flammarion) note même "une ouverture vers la fiction, même si elle reste incertaine".

Les groupes se structurent

Répondant à la volonté de l’Etat chinois, depuis la fin des années 2000, de mieux structurer le secteur et de faire émerger plusieurs géants mondiaux, une grosse demi-douzaine de groupes sont désormais en Bourse. C’est le cas de Phoenix (basé à Nankin, dans le Jiangsu), associé avec Hachette dans une joint-venture privée, China South (Hunan), Chinese Universe (Jiangxi), Time (Anhui), Central China (Henan) ou encore Changjiang (Hubei). Phoenix, par exemple est numéro deux dans le scolaire derrière China Education, et l’un des leaders en littérature (avec sa filiale Yilin), en jeunesse ou en STM. Plutôt que de libéraliser la distribution des numéros ISBN, comme il l’avait envisagé à la fin des années 2000, le gouvernement a finalement plutôt cherché, jusqu’à présent, à revitaliser les grands groupes publics.

Le privé est sur la défensive

"En allant en Bourse, les groupes d’Etat ont eu plus de moyens pour acheter des droits et ont asphyxié les éditeurs privés, qui se sont affaiblis ou ont été rachetés", observe le P-DG du site d’information professionnelle en ligne Bookdao.com, Cheng Sanguo. Parmi d’autres, Booky a été repris par le Zhongnan Publishing Group. Chez Phoenix, le directeur international, Liu Feng, confirme : "Nous sommes les premiers acheteurs d’ateliers culturels privés." Toujours confrontés à l’obligation d’accords avec des groupes publics pour obtenir des numéros ISBN, les plus gros éditeurs privés résistent pourtant. Shanghai 99 a renforcé sa diffusion nationale avec maintenant une équipe de six commerciaux, précise l’éditrice Patrizia van Daalen, qui admet que la maison "est souvent en concurrence pour les achats de droits avec Yilin et Shanghai Translation [groupe Century, NDLR], très agressifs sur les avances". Thinkingdom a bâti il y a cinq ans un modèle original fondé sur une joint-venture avec un éditeur public du Liaoning pour le travail éditorial, tandis que tous les services commerciaux et de distribution demeurent à 100 % privés. Imaginist (ex-Beijing BBT) a retrouvé l’an dernier, dix ans après son intégration dans Guangxi University Press, un propriétaire privé qui investit dans son développement. "Contrairement aux sociétés privées qui ont une approche capitalistique et financière, la nôtre a un vrai intérêt pour l’édition elle-même", revendique son responsable des droits, Jie Zhiyong. "De petites structures privées continuent aussi à prendre des risques dans l’illustré", estime par ailleurs Solène Demigneux. Mais les privés sont aussi victimes depuis l’an dernier d’un renforcement (provisoire ou durable ?) de la censure, constaté par de nombreux éditeurs de maisons publiques comme d’ateliers privés.

Internet fait la loi

Si le livre numérique payant reste, au contraire du gratuit qui connaît un beau succès, marginal au point que leurs interlocuteurs chinois demandent rarement aux éditeurs français de leur céder des droits numériques, la vente en ligne continue de connaître un développement exponentiel. A eux trois, selon le directeur de Dargaud China David Pechoux, le leader Dangdang, Amazon, qui vient d’obtenir l’autorisation d’installer une vaste plateforme à Shanghai, et Jingdong assureraient 35 % à 40 % des ventes de livres, contre 25 à 30 % il y a seulement deux ans. Leur poids est tel qu’il pèse même sur certaines décisions éditoriales. "Un éditeur chinois a failli annuler une partie de ses achats de droits sur l’un de nos personnages au motif que Dangdang ne voulait pas commander les livres, raconte le directeur des droits de Casterman, Jérôme Baron. Nous avons dû monter au créneau directement auprès de Dangdang pour les convaincre." La concurrence que se livrent les trois géants de la vente en ligne fait aussi pression sur les remises des éditeurs et sur les prix publics, fragilisant les libraires.

Du coup, d’après Cheng Sanguo, de Bookdao.com, le gouvernement chinois a injecté 100 millions de yuans (près de 12 millions d’euros) dans l’aide à la librairie en 2013, et le double cette année. Surtout depuis l’an dernier, le livre est exempté de taxes (13 % auparavant), ce qui a suscité une vague d’ouvertures et de transformations de librairies, dont une bonne vingtaine sont même ouvertes 24 heures sur 24 telle, dans le centre de Pékin, la librairie Sanlian. D’après certains éditeurs chinois, qui ne tarissent pas d’éloges sur la loi Lang, le GAPP (administration gouvernementale pour la presse et l’édition) aurait même commandé des études sur l’hypothèse d’une régulation des prix des livres dans l’esprit du système français. A suivre.

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