4 mai > Roman Etats-Unis > Lionel Shriver

Avec Lionel Shriver, on le sait depuis Il faut qu’on parle de Kevin (Belfond, 2006), on doit s’attendre à du corrosif et a du dérangeant. Et quand l’acerbe romancière américaine s’essaie à l’anticipation politique comme dans ce sixième roman traduit en français, cela donne un genre d’economic fiction au scénario implacable et d’un réalisme frappant. Il décrit dans un futur très proche la faillite générale des Etats-Unis à la suite d’un krach financier et ses conséquences sur les membres d’une famille blanche aisée, les Mandible, dont on suit les représentants de quatre générations. Quand le roman débute, à New York, en 2029, le récit se centre sur le foyer de Florence, 40 ans et des poussières. Un peu considérée comme la looseuse de la famille, elle vit dans une maison dont elle est néanmoins propriétaire dans un quartier gentrifié de Brooklyn avec son fils de 14 ans et son compagnon d’origine mexicaine, guide de trekking. Elle travaille dans un centre d’hébergement pour sans-abri, après avoir occupé différents boulots, tous disparus et sans rapport avec les études en politique de l’environnement qu’elle avait autrefois suivies. Alors que le pays s’est relevé d’une précédente crise due à une panne généralisée d’Internet cinq ans plus tôt, l’introduction d’une nouvelle devise, "le bancor", décidée par les Russes et les Chinois, et remplaçant le dollar dans les échanges internationaux, précipite le pays dans la dépression. Refus d’honorer la dette extérieure et intérieure du président latino, réquisition par l’Etat fédéral de l’or sous toutes ses formes, inflation galopante, ruine de l’épargne - un coup dur pour cette famille qui attend depuis longtemps d’hériter de la fortune de l’arrière-grand-père, industriel dans les moteurs Diesel -… : dans le premier tiers du roman, Lionel Shriver glisse ainsi avec pédagogie au cœur de la fiction, dans les conversations amicales ou familiales, doctrines et mécanismes économiques.

Tandis que le système s’écroule à grande vitesse - l’eau déjà intermittente est rationnée, la pénurie de produits de première nécessité se généralise - s’organise chez Florence Mandible la survie dans la cohabitation. Dans la maison new-yorkaise du seul membre de la famille à toucher encore un salaire se regroupent une tante écrivaine de retour au pays après des années d’expatriation en France, qui s’installe au grenier tandis que le sous-sol accueille sa sœur cadette, son mari - un prof d’économie viré du jour au lendemain de la prestigieuse université de Georgetown - et leurs trois enfants adolescents, la famille, incapable de rembourser son prêt immobilier, ayant dû vendre sa maison cossue de Washington.

Dans ce roman spéculatif profondément sombre, matière à discussions idéologiques de fond, Lionel Shriver, qui met en avant le salut dans les solidarités familiales et le plein exercice de la liberté individuelle, observe avec la férocité et l’humour noir qu’on lui connaît les effets les plus concrets d’une crise financière générale, pour interroger, en renversant souvent les perspectives, les liens si troubles entre l’argent et la morale. Véronique Rossignol

 

07.04 2017

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