2 mars > Premier roman France > Léa Simone Allegria

L’amour transforme : il a métamorphosé Zeus en taureau ou en cygne. L’amour déforme : il rend malheureux. C’est que l’amour, pour le plus grand malheur de chacun, continue après qu’il est mort. Adrienne, la narratrice du premier roman de Léa Simone Allegria, Loin du corps, a quitté Sandro mais le cadavre de sa passion pour le beau jeune homme bouge encore. Adrienne ne mange plus, ne dort plus, se blesse l’intérieur des cuisses avec des ciseaux.

Sandro voulait épouser Adrienne et Adrienne a dit non : "Vous ne pouvez pas dire "j’aime Sandro" et déplorer votre quotidien monotone avec Sandro. Vous ne pouvez pas briser le cœur d’un homme sans en subir les conséquences. Vous déplorez un cadre, une maison, un double masculin. Sandro n’est qu’une image, tyrannique et nécessaire." Sandro, ça a été le Pygmalion d’Adrienne. Hyper parisien, il a appris à la jeune fille de banlieue tous les codes de la branchitude. Adrienne Moulin vient de Vernon, "après Mantes-la-Jolie". Sa mère travaille comme gardienne à la maison de Monet et son père est conducteur de trains, mais elle est cultivée, étudie à l’Ecole du Louvre. Entre elle et Sandro, des points en commun, le désir surtout, et des différences aussi : quand, en week-end à Deauville, ils regardent en DVD le film Troie, péplum spécialement écrit pour Brad Pitt, explique Sandro. Et la jeune fille lettrée de s’enquérir de la version d’Homère. Homère qui ?, demande Sandro.

Adrienne est belle, très belle, et se sent laide - mal dans son corps, parfait. Du moins, qui correspond aux exigences de minceur contemporaines. Adrienne devient : "Adi Malone : 178 cm, 83-60-89", son pseudo plus ses mensurations. Repérée dans la rue par un scout d’agence de mannequins, elle a rejoint le troupeau des filles jetées en pâture aux objectifs des photographes et dressées à défiler sur les podiums de mode. Au deuil de la rupture s’ajoutent des scènes particulièrement piquantes du milieu de la fashion, et la quête désespérée d’Adrienne pour retrouver son jumeau, Adrien, qui a disparu : le père a chassé son fils "pédé" de la maison. Et Léa Simone Allegria nous entraîne dans le tourbillon, on va à New York, on rencontre un singulier Japonais.

Loin du corps, sous le vernis du parisianisme, une sociologie des marques irrésistiblement croquée, est une réflexion haletante sur la réalité douloureuse au-delà de la surface. Comme lorsqu’on s’est arraché la peau et qu’on y découvre une chair à vif. Sean J. Rose

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