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Cher futur président…

Visite d’un homme politique au Salon du livre 2015. Saurez-vous l’identifier ? - Photo Olivier Dion

Cher futur président…

Alors que les candidats à l’élection présidentielle s’apprêtent, à un mois du premier tour, le 23 avril, à faire campagne au salon Livre Paris, Livres Hebdo a demandé à huit professionnels du livre d’expliquer sur quoi ils les interpelleraient s’ils les croisaient dans les allées.

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Par Daniel Garcia,
Créé le 24.03.2017 à 00h32 ,
Mis à jour le 24.03.2017 à 07h21

Au mois de février, Gérard Berréby, le fondateur et directeur des éditions Allia, a publié deux ouvrages, vendus 3,20 euros chacun, qui signent en quelque sorte son manifeste électoral pour ce printemps : La grève des électeurs d’Octave Mirbeau, initialement paru dans Le Figaro en 1888, et Note sur la suppression générale des partis politiques de Simone Weil. La lassitude, sinon le dégoût, d’une partie des électeurs vis-à-vis du "système", tant décrié ces derniers temps, ne date donc pas d’hier. Mais les Français, peuple grognon par excellence, n’en continuent pas moins de se passionner pour la politique : à preuve, le succès d’audience du débat télévisé de lundi dernier.

C’est pourquoi, à quatre semaines du premier tour de l’élection présidentielle, le 23 avril, Livres Hebdo a demandé à plusieurs éditeurs, libraires et bibliothécaires sur quelles questions ils interpelleraient les candidats s’ils les croisaient alors que, simples mortels cherchant les faveurs des citoyens lettrés, ils arpenteront ce week-end les allées de Livre Paris.

Le prix unique, toujours

Si leurs réponses sont très diverses, elles s’appuient toutes sur un présupposé rappelé avec force par les éditeurs et les libraires : le maintien de la loi Lang sur le prix unique du livre, même si certains suggèrent de lui apporter quelques aménagements. Comme le résume Béatrice Duval, directrice des éditions Denoël, "la loi Lang a plus de 35 ans et a été pensée à une époque où Internet n’existait pas. N’est-il pas temps de réunir les différents intervenants autour d’une table, et de repenser cette loi, de façon à garantir au libraire "physique" son rôle d’acteur culturel de premier plan ?" La question est maintenant dans le camp des politiques.

Ambition, innovation, rémunération

Dominique Deschamps- Photo OLIVIER DION‚

Dominique Deschamps, réseau des médiathèques de Plaine Commune. "S’il y a un message que j’aimerais faire passer au futur président de la République, c’est qu’il faut de l’audace et de l’ambition pour les bibliothèques. J’aimerais que l’Etat s’engage résolument pour soutenir l’évolution des médiathèques en des lieux hybrides et partagés, sociaux et créatifs, pivots et portes d’entrée vers l’émancipation, la citoyenneté et tous les pans de la culture.

J’aimerais qu’une politique des bibliothèques dépasse le modèle du "temple du savoir" pour promouvoir une conception ouverte de la bibliothèque, de surcroît construite en commun avec les habitants qu’elle sert. Pour cela, je voudrais des dispositifs pérennes, afin d’inscrire les politiques dans la durée et leur laisser le temps de se déployer, ainsi que des soutiens financiers aux collectivités qui s’engagent dans l’innovation et l’expérimentation, qui promeuvent et instaurent la gratuité.

J’attendrais aussi des engagements conséquents pour la formation des personnels à de nouvelles pratiques professionnelles, décloisonnées, ouvertes, imaginatives - des formations initiales comme permanentes, en phase avec l’évolution de la société et de nos métiers.

Enfin, je demanderais la fin d’une discrimination qui touche les filières culturelles, en termes de rémunération comme de déroulement de carrière : qu’elles soient alignées au moins sur la filière administrative, qu’il n’y ait pas de différence entre les corps d’Etat et ceux des collectivités. Cela ne serait que justice et reconnaissance, et au passage contribuerait un peu à l’égalité entre les hommes et les femmes, dans une profession fortement féminisée !"

Supprimer les 5 %

Wilfrid Séjeau, librairie Le Cyprès, Nevers. "Je crois qu’il serait bon de supprimer le principe du rabais de 5 % autorisé par la loi sur le prix unique, car il apporte de la confusion en librairie. Dès que l’on expose à des clients que le livre est au même prix partout, ils nous répondent que ce n’est pas vrai, puisqu’ils ont vu tel livre moins cher ailleurs. Il faut alors leur expliquer que nous pratiquons la même ristourne dans nos magasins, mais avec un système de carte de fidélité. Or, dans des commerces comme les nôtres à l’économie fragile, cette ristourne, en fin d’année, finit par représenter des montants significatifs. La suppression de ce rabais permettrait donc, à la fois de clarifier le message sur le prix unique du livre et de faire gagner un peu de rentabilité aux petites librairies indépendantes."

Floquer les maillots de l’OM

Michel Paolasso, Librairie lorguaise, Lorgues. "J’ai trop souvent le sentiment que la publicité pour le livre s’adresse toujours à des gens déjà convaincus par la lecture. Comme si on oubliait, ou si l’on renonçait à le promouvoir dans des zones qui nous paraissent a priori étrangères. Depuis le 1er mars, en vertu de la loi Santé, les médecins peuvent désormais prescrire du sport sur ordonnance. Mais la lecture est aussi importante que le sport ! Sans aller jusqu’à des "ordonnances lecture", pourquoi ne pas imaginer que les pouvoirs publics, par le biais de toutes sortes d’incitations à la lecture, puissent donner le même élan, déployer la même énergie pour la culture et le livre que pour le sport ? Moi, dans mes fantasmes les plus fous, je me représente des noms d’auteurs ou des titres de livres sur le flocage des maillots de l’OM !"

Réguler l’occasion et parier sur la francophonie

Jean Arcache- Photo OLIVIER DION

Jean Arcache, Place des éditeurs. "Les e-commerçants n’étant pas autorisés à pratiquer le rabais de 5 % prévu par la loi Lang sur le prix unique, ils se sont mis, de manière plutôt maligne - Amazon, Price Minister… mais Chapitre.com y vient également -, à développer le marché de l’occasion. Un circuit économique d’intermédiation entre particuliers s’est ainsi créé par le biais d’Internet. Ce circuit, jusqu’à présent, était d’autant plus absent des statistiques que les sites concernés se gardaient de donner des informations précises sur le sujet. Mais il apparaît désormais, notamment dans le panel déclaratif GFK, et on s’aperçoit qu’il est loin d’être anecdotique, puisqu’il représenterait 10 % du volume des ventes. Doit-on laisser se développer librement ce nouveau marché, ou le réguler ? L’Etat n’est pas lésé puisqu’il se ressert en TVA. De son strict point de vue, il ne voit donc pas d’inconvénient à ce que ce marché se développe. Mais, un président qui connaîtrait un peu l’économie et s’intéresserait vraiment à la culture verrait que, dans le cas de l’occasion, contrairement au prêt en bibliothèque, la valeur de revente des livres échappe autant aux éditeurs qu’aux auteurs. Lesquels se retrouvent lésés.

Sur un tout autre plan, le développement de la francophonie en Afrique est impressionnant. Avec l’essor des cours par Internet, ce continent comptera bientôt 100 millions de francophones en âge de lire et avec un niveau d’éducation, ce qui représentera des millions de nouveaux lecteurs potentiels. Mais, pour eux, l’accès aux livres passera évidemment par une nouvelle façon de mailler le territoire, plus ample que le réseau de librairies existant. Il revient aux pouvoirs publics de soutenir cette expansion et de profiter de ce que, pour l’instant, Amazon est peu présent en Afrique, pour imaginer les ressorts d’une aide à la connexion avec ces nouveaux lecteurs francophones."

Davantage de reconnaissance

Sophie Perrusson, action culturelle de Levallois-Perret. "Je souhaite que la culture soit une priorité pour le nouveau président de la République, au même titre que l’économie, l’éducation ou la santé. Il lui reviendra de mettre en œuvre une politique de la lecture ambitieuse, de promotion et de soutien aux bibliothèques, lieux d’accès à la connaissance. J’aimerais aussi davantage de reconnaissance pour ces équipements et les bibliothécaires - médiateurs par excellence - qui les animent. Enfin, j’attends des campagnes publicitaires engagées, des aides logistiques, juridiques et financières maintenues et adaptées pour promouvoir des projets innovants en accompagnement de la transformation de la société. Ce sera le bien modeste prix à payer pour que, sur l’ensemble du territoire, tout citoyen ait un égal accès aux savoirs car "il n’y a pas de liberté pour l’ignorant" (Condorcet).

Supprimer la taxe professionnelle-CET

Erik Fitoussi- Photo DR

Erik Fitoussi, librairie Passages, Lyon. "Dans la mesure où les librairies sont le commerce culturel le moins rentable, toute aide, toute incitation économique à notre activité, est la bienvenue. Certaines collectivités territoriales ont décidé d’exonérer de la taxe professionnelle - rebaptisée contribution économique territoriale (CET) depuis 2010 -, les librairies jouissant du label Librairie indépendante de référence (Lir). C’est le cas à Lyon depuis 2011 et je constate, à l’aune de mon magasin, que le résultat n’est pas négligeable, tant l’économie de nos librairies est fragile. Voilà pourquoi il serait bon que les pouvoirs publics généralisent une telle mesure à l’échelon national."

Une télé consacrée au livre

Olivier Frébourg, Les Equateurs. "Si l’on veut remettre le livre au cœur de la cité, trois points me semblent indispensables. D’abord, peser sur le cahier des charges des médias de service public, pour que le livre y soit vraiment présent. C’est le cas des radios, où le travail est fait très correctement (à l’inverse des stations périphériques de type RTL et Europe 1, pour lesquelles le livre est devenu marginal), mais c’est de moins en moins le cas des chaînes de télévision où, hors "La grande librairie", la présence du livre se dégrade alors qu’il existe pourtant 36 000 façons de parler du livre à la télévision. Voilà une mesure qui ne coûte pas d’argent mais qui ne dépend que d’une volonté politique.

Ensuite, créer une télévision consacrée au livre et à la lecture via Internet. Il s’agirait d’une chaîne francophone, à diffusion mondiale, qui traiterait du livre dans son ensemble (y compris de sa mémoire : les archives de l’Ina sont considérables), avec une véritable réflexion sur la créativité de ses émissions. Cette chaîne permettrait notamment de toucher l’Afrique, dont le développement, dans les vingt prochaines années, sera prodigieux.

Enfin, il faut qu’il y ait, dans l’enseignement du livre, une part ludique. Du primaire au secondaire, le livre n’est trop souvent vécu que comme un instrument d’apprentissage, coercitif. Il est urgent de montrer son attractivité face à la concurrence du numérique (l’ordinateur, les tablettes), car le décrochage intervient à partir du collège."

Familiariser les jeunes avec les auteurs et les libraires

Alice Déon, La Table ronde. "Le principal enjeu, à mes yeux, se situe d’abord du côté de l’éducation. Je ne suis pas sûre d’avoir la compétence pour suggérer quoi que ce soit au prochain gouvernement, mais les échos que j’ai pu recueillir d’auteurs invités dans des classes de collèges ou de lycées se ressemblent beaucoup - élèves pour qui le livre est un devoir, la lecture une obligation, et qui méconnaissent totalement le monde de l’édition.

C’est pourquoi il serait sans doute utile de leur faire rencontrer plus souvent des auteurs, mais aussi des libraires, éventuellement des éditeurs, et de leur fournir quelques clés qui leur permettraient de moins se sentir perdus le jour où ils franchiront la porte d’une librairie. Cela impliquerait de donner aux écoles, avec une volonté politique venue d’en haut, le moyen de recevoir des auteurs, de participer à des prix littéraires, etc. Ce serait la meilleure façon de fabriquer les lecteurs de demain." D. G.

Edition : le SNE pose 10 questions

Le Syndicat national de l’édition (SNE) a interpellé les candidats à l’élection présidentielle dans un questionnaire envoyé dès le 17 février. Il tient notamment à savoir si les candidats s’engagent à "garantir le maintien de la loi sur le prix unique du livre, papier et numérique", "maintenir un même taux de TVA réduit pour le livre (papier et numérique)" et "préserver le droit d’auteur". Il soulève également les problématiques d’une politique culturelle ambitieuse en faveur du livre et de la lecture, de la place du livre dans la diplomatie culturelle française à l’étranger, du bon équilibre entre édition publique et édition privée, de la défense des formats de publication ouverts, de l’offre de ressources pédagogiques à chaque élève, de l’équilibre économique de l’édition scientifique française et des mesures, notamment financières, accordées aux bibliothèques.

Les réponses des candidats doivent être rendues publiques lors de Livre Paris. L’intégralité des questions est disponible dans le document "Les 10 questions du SNE aux candidats", publié sur Livreshebdo.fr le 16 février.

Cécilia Lacour

Librairie : le SLF fait 11 propositions

Le Syndicat de la librairie française (SLF) formule onze propositions aux candidats à l’élection présidentielle :

défendre les piliers de la politique du livre : prix unique, droit d’auteur, TVA réduite, dispositif d’aide, médiateur, libre fixation des délais de paiement ;

• adopter des mesures pour améliorer la rentabilité des librairies : remise minimale, suppression de la possibilité de rabais aux particuliers… ;

réduire le niveau des rabais aux bibliothèques et mieux encadrer les marchés publics pour éviter l’éviction des librairies ;

limiter le niveau des rabais sur les manuels scolaires et généraliser la dotation aux familles pour leur achat ;

rendre automatique l’exonération de CET pour les librairies Lir ;

conforter les moyens d’intervention du CNL ;

• instituer un dispositif pour contenir les loyers des librairies et faciliter l’intervention des collectivités locales ;

• défendre l’interopérabilité du livre numérique ;

• consentir aux libraires un tarif adapté pour l’expédition de livres aux particuliers ;

• défendre la redynamisation commerciale des centres-villes ;

• renforcer les actions pour inciter les jeunes à la lecture.

Clarisse Normand

Bibliothèques : les 4 questions de l’ABF et de BSF

Dans une lettre ouverte, l’Association des bibliothécaires de France et l’ONG Bibliothèques sans frontières interpellent les candidats à la présidentielle sur quatre questions : les garanties concrètes qu’ils proposeront pour préserver l’action citoyenne des bibliothèques ; le maintien ou pas des aides de l’Etat aux collectivités territoriales et aux universités pour compléter le maillage du territoire en bibliothèques ; les moyens prévus pour faciliter l’action des bibliothèques dans le domaine de l’accès au numérique ; les propositions pour soutenir l’émergence, en matière d’horaires d’ouverture, de projets adaptés à leur territoire. Véronique Heurtematte

www.abf.asso.fr

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