Librairie

Comment les libraires de Bayonne attendent Cultura

clarisse Normand

Comment les libraires de Bayonne attendent Cultura

Cultura, qui ouvre le 27 octobre un magasin de 1 600 m2 en périphérie de Bayonne, arrive sur un territoire pourvu de nombreuses librairies petites et moyennes. A la veille d’un durcissement concurrentiel, celles-ci misent sur leur singularité et sur le travail en réseau.

J’achète l’article 1.5 €

Par Clarisse Normand,
Créé le 21.10.2016 à 01h30 ,
Mis à jour le 21.10.2016 à 08h56

Cultura cherchait depuis de nombreuses années à s’implanter à Bayonne. La chaîne de grandes surfaces culturelles ouvrira le 27 octobre un magasin de 1 600 m2 dans le tout nouveau centre commercial Ametzondo shopping, en périphérie sud-est de la ville, à l’intersection des autoroutes A63 (Bayonne-Espagne) et A64 (Bayonne-Toulouse). Inauguré il y a un an avec un magasin Ikéa, ce nouveau pôle commercial va accueillir un hypermarché Carrefour et une galerie marchande de 30 000 m2 dotée de 80 boutiques et 10 restaurants. Il a vocation à rayonner sur l’ensemble du territoire basque et à attirer 8 millions de visiteurs par an, inquiétant les commerçants de Bayonne, dont les libraires, qui se situent quasiment tous dans le centre historique de la ville.

Bénédicte Gelly, à la tête de L’Alinéa.- Photo CLARISSE NORMAND

Cogérante de la librairie historique rebaptisée Darrieumerlou depuis sa reprise en 1996, Corinne Darrieumerlou se dit "d’autant plus préoccupée par la venue de Cultura que, depuis avril, le centre de Bayonne accueille aussi une nouvelle librairie, Hirigoyen". Avec quelque 45 000 habitants, Bayonne ne compte pas moins de six librairies généralistes. On trouve donc Hirigoyen qui occupe 50 m2 dans une rue très commerçante et Darrieumerlou qui se déploie sur 100 m2 avec un entrepôt de 350 m2, et réalise 1,2 million d’euros de chiffre d’affaires dont plus de 60 % avec les collectivités, notamment scolaires. De son côté, la librairie de La Rue en pente génère 400 000 euros de CA sur 100 m2, Elkar 1,1 million d’euros sur 300 m2, avec une offre importante en universitaire et surtout en langue basque ou sur la thématique basque, L’Alinéa 220 000 euros sur 50 m2, tandis que Jakin occupe 100 m2 hors du centre historique. S’ajoutent des librairies spécialisées : Gribouille en BD, Nombre d’or en bien-être et ésotérisme, Pradier en religion. La ville accueille aussi un magasin France Loisirs, et une Fnac qui a ouvert en 2007 en périphérie ouest, sur la route allant vers Biarritz.

Marie Hirigoyen (à droite) et Lionel Duroy.- Photo DR

"On est trop nombreux", estime Agnès Caralp qui, à la barre de Jakin, librairie à l’ancienne avec un assortiment important et pointu, évoque aussi la concurrence d’un espace culturel Leclerc à Anglet et des rayons livres d’hypermarchés, dont celui de Carrefour. L’arrivée de Cultura survient alors que, depuis la disparition de Virgin en 2013, les librairies indépendantes semblaient avoir trouvé entre elles un certain équilibre. Jeanne Felices, qui succédera l’an prochain à ses parents, Gérard et Maria Felices, à la tête de La Rue en pente, mise, pour résister, sur le fait que "le centre historique de Bayonne connaît un regain de vitalité depuis quelques années avec sa piétonnisation". La jeune femme travaille depuis six ans dans la librairie fondée en 1980 par ses parents et réputée pour ses rayons littérature et histoire. "Nous n’avons jamais aussi bien travaillé que cet été", remarque-t-elle. Classée ville d’art et d’histoire depuis 2011, Bayonne attire une clientèle touristique intéressée par la culture. Surtout elle bénéficie, comme sa voisine Anglet, d’une croissance démographique et d’une zone de chalandise de 130 000 personnes avec une population militante, attachée aux commerces indépendants.

Peio d’Uhalt, directeur d’Elkar.- Photo DR

Selon Peio d’Uhalt, directeur d’Elkar, librairie qui appartient au groupe espagnol éponyme, "le centre de Bayonne fait preuve de résistance face aux grandes enseignes avec près de 90 % de commerces encore indépendants". Cela n’empêche pas l’équilibre de la librairie de rester précaire. Elkar qui, à côté des livres, propose une sélection de CD, DVD, jeux et papeterie, a dû procéder en 2013 à une réduction de moitié de sa surface de vente, pour la ramener à 300 m2. Propriétaire des 700 m2 initiaux, la librairie loue la surface libérée à une supérette U Express, ce qui lui amène un revenu supplémentaire avec les loyers mais aussi du trafic.

Un positionnement différent

Bénédicte Gelly, seule à la tête de L’Alinéa qu’elle a créée à la suite de la fermeture de la grande librairie Celhay en 2004, se veut également confiante. "Avec Cultura, nous n’avons pas la même clientèle. La bataille risque plutôt de concerner la Fnac, qui est rattachée à l’autre grand centre commercial Bab2, de l’autre côté de la ville." Marie Hirigoyen, qui a créé la librairie du même nom, le confirme. "Quand j’ai pris la décision de venir, je connaissais le projet de Cultura, mais son implantation n’est pas en centre-ville et nous ne proposons pas la même chose", explique la libraire, riche d’une expérience de vingt-quatre ans dans le métier (La Nuit bleu marine, à Morlaix, et Le Jardin des lettres, à Craponne). Saluant "la qualité du lectorat bayonnais", elle entend se distinguer de ses confrères par ses nombreuses animations et rencontres.

Une belle solidarité

Les librairies locales se caractérisent aussi par une belle solidarité. Cinq d’entre elles (La Rue en pente, L’Alinéa, Elkar, Darrieumerlou et Hirigoyen) ont rejoint l’association Librairies atlantiques. Elles saluent la possibilité qui leur est ainsi offerte de travailler en réseau en ayant accès aux stocks des uns et des autres. "Cela nous permet de nous renvoyer des clients entre libraires de Bayonne, mais aussi de Biarritz voire de Saint-Jean-de-Luz", argumente Jeanne Felices.

Sur l’agglomération côte basque-Adour (Bayonne-Biarritz), qui fait sens d’un point de vue commercial, la profession compte plusieurs autres librairies indépendantes. A Biarritz existent Bookstore, reprise en 2011 par deux de ses salariés, Inès Lavigne et Kristel Bourg, qui ont renoué avec les grandes heures de cette très belle librairie de 100 m2, et aussi la grande maison de presse Darrigade, située juste au-dessus de la Grande Plage et du casino, qui réalise 70 % de son activité avec les livres. Il y a encore Le Festin nu, qui a déménagé en février et s’est agrandie sur 100 m2, et Hugo’shop (ex-Victor Hugo), qui a refondu son espace et intégré un grand salon de thé. Enfin, la librairie Eki constitue un lieu d’échanges et de culture basque à Biarritz. Dans ce paysage fourni mais dépourvu de mastodonte, chacun devrait pouvoir continuer à creuser son sillon malgré le durcissement concurrentiel, estime Peio d’Uhalt. Il appelle désormais la municipalité à enclencher une dynamique autour du livre et à créer un salon littéraire.

Les dernières
actualités