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Commerces : le défi du centre-ville

Le centre-ville de Mulhouse, où l’hémorragie de magasins a été stoppée et la tendance inversée. - Photo Ville de Mulhouse/Serge Nied

Commerces : le défi du centre-ville

Au programme d’une séance plénière des RNL, l’avenir du commerce en centre-ville constitue un enjeu majeur pour la librairie, au cœur des stratégies de reconquête des municipalités.

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Par Clarisse Normand,
Créé le 23.06.2017 à 12h04

"A Montélimar, c’est catastrophique, lance François Veyrié, gérant de la Nouvelle librairie Baume, située en plein cœur de ville. Créée il y a vingt-cinq ans, la zone commerciale au sud de la ville est devenue énorme et capte l’essentiel de l’activité au détriment du centre-ville. Les commerces de textile ont été les premiers touchés, mais les commerces de bouche le sont de plus en plus. Dans le centre, il n’y a plus que deux boulangeries ! Une dévitalisation qui fait boule de neige et porte à 20 % le taux de vacance commerciale. Or le maire veut créer une autre zone commerciale, au nord cette fois !" L’exemple de Montélimar est symptomatique de ce qui se passe dans nombre de petites et moyennes agglomérations françaises. Vitrines vides, logements vacants, appauvrissement des habitants intra-muros, le centre-ville n’attire plus et les commerces qui y demeurent sont à la peine.

Les vacances commerciales en centre-ville en 2016- Photo PROCOS 2016

Touchés comme les autres, les libraires ne sont pas les derniers à pointer une dévitalisation de leur ville liée à des problèmes de stationnement, à la délocalisation de pôles entiers d’activités ou de services, sans parler des nouveaux modes de consommation sur Internet. Certains ont même tiré le rideau. Une situation qui a de quoi inquiéter l’ensemble de la filière livre, sachant que plus de 90 % des librairies indépendantes sont installées en centre-ville.

Dans une publication récente, l’Institut pour la ville et le commerce (IVC) annonce, pour la période 2001-2016, un quasi-doublement, de 6,2 % à 11,3 %, du taux moyen de vacance commerciale dans les agglomérations de plus de 25 000 habitants (données Codata retraitées par Procos). Alors que 10 % des centres-villes présentaient, il y a seize ans, une situation très défavorable (taux de vacance supérieure à 10 %), ils sont aujourd’hui près de 60 %, avec une surreprésentation des agglomérations de moins de 100 000 habitants où le taux de vacance a atteint 12,1 % en 2016, contre 6,9 % dans les grandes métropoles de plus de 500 000 habitants.

Logiques financières

Si la vitalité commerciale des centres-villes renvoie à la taille et au niveau socio-économique du marché local ainsi qu’à l’attractivité du centre-ville lui-même, elle relève surtout de la concurrence avec le commerce de périphérie dont le développement est porté par des logiques financières déconnectées de la réalité économique. On comprend mieux l’explosion des centres commerciaux quand on sait que l’immobilier commercial en France est l’un des placements les plus intéressants d’Europe, avec une rentabilité atteinte au bout de six ans seulement.

La situation n’est pas irréversible. "Certains centres commerciaux marquent des signes de fragilisation, observe Mathilde Sill, directrice d’études chez Bérénice. De même, le modèle de l’hypermarché s’essouffle alors que celui du supermarché se porte bien." En témoigne le retour en centre-ville des groupes de grande distribution, avec des formats de magasins plus réduits.

Manager de centre-ville

Mais pour redynamiser les centres-villes, il en faut davantage. Depuis les années 1980, nombre de municipalités se sont efforcées de rendre plus attractif leur cœur de ville avec des rénovations de bâtiments ou la piétonisation de certaines rues. Un premier acte qui en appelle d’autres, comme l’ont compris certaines collectivités qui ont développé de vraies stratégies de reconquête commerciale. Les plus volontaristes ont fait appel à un manager de centre-ville pour développer des animations mais aussi fluidifier le marché de l’immobilier commercial et faciliter les projets d’implantation. Avec succès si l’on prend le cas de Mulhouse, où l’hémorragie de magasins a été stoppée et la tendance inversée avec, depuis 2011, 400 ouvertures contre 200 fermetures.

"La revitalisation de Mulhouse, explique Frédéric Marquet, manager de ce centre-ville, relève d’une politique reposant sur quatre leviers : l’habitat via un programme immobilier destiné à faire revenir des personnes à fort pouvoir d’achat ; l’espace public avec la création de trottoirs élargis et de rues piétonnes ; le déplacement avec le développement de tramways et de parkings peu chers pour faciliter l’accès au centre-ville ; et bien sûr le commerce. Total : 36 millions d’euros investis sur six ans." Dans cet ensemble, la réhabilitation d’une zone moribonde en îlot d’habitations et de commerces, baptisé Maison Engelmann, a permis l’implantation d’une nouvelle librairie : 47 ° Nord. A la tête de cette dernière, Frédéric Versolato reconnaît "avoir bénéficié de locaux remis à neuf et d’un loyer progressif sur quatre ans adapté à l’évolution de l’activité".

La municipalité de Parthenay (Deux-Sèvres, 11 000 habitants) a également engagé la reconquête de son centre-ville avec, entre autres, la volonté de le redoter d’une librairie, considérant qu’il s’agit d’un commerce clé pour la vie culturelle du territoire. Aidés par un manager, Stéphane Charrier et Annaïg Le Dû ont créé L’Antidote en 2013. "L’ouverture de la librairie, expliquent ces derniers, fait suite à un appel d’offres de la mairie et au fait d’avoir pu bénéficier, durant la réalisation du projet, de l’accompagnement d’un manager de commerce qui nous a aidés à trouver le local et les soutiens nécessaires."

Outils fonciers

Au-delà du travail du manager de centre-ville pour créer des liens entre collectivités, commerçants et propriétaires, les municipalités disposent aussi d’outils fonciers et immobiliers, qu’elles peuvent faire jouer en direct ou par l’intermédiaire de sociétés d’économie mixte pour racheter des locaux ou des baux commerciaux, mis ensuite sur le marché à des conditions adaptées à l’économie des magasins souhaités. Enfin, de manière plus coercitive, elles peuvent aussi appliquer une taxe sur les friches commerciales, comme à Nevers, Alençon ou Calais.

"La librairie n’est pas un commerce comme un autre"

L’attractivité des centres-villes relève aussi de la responsabilité des commerçants. Collectivement, via leurs associations, ils peuvent développer des politiques d’animation concertées ou encore, si besoin, alerter l’opinion sur les déséquilibres commerciaux entre centre et périphérie.

Enfin, individuellement, chaque magasin, par son offre, ses services ou son accueil, peut devenir un lieu de destination. A ce titre, "la librairie n’est pas un commerce comme un autre, assure François Veyrié. C’est une chance pour le libraire mais aussi une responsabilité". Une approche que partage Wilfried Séjeau, gérant du Cyprès et de Gens de la lune, à Nevers, et élu municipal : "Si l’on considère que l’avenir du centre-ville passe par le développement d’un commerce qualitatif que l’on ne trouve pas ailleurs,la librairie a indéniablement un vrai rôle à jouer." A Parthenay, confirme Stéphane Charrier, "certains clients nous ont avoué avoir retrouvé, avec L’Antidote, une raison de revenir en ville".

A Dreux, où le contexte est autrement difficile et où une politique de revitalisation vient d’être engagée, Frédérique Massot n’en a pas moins redonné une nouvelle jeunesse à La Rose des vents depuis sa reprise en 2008. Mais selon elle, "une dynamique ne pourra s’enclencher que si tout le monde fait des efforts, à commencer par les commerçants". De fait, les démarches collaboratives associant habitants, professionnels et acteurs publics apparaissent comme un nouveau levier possible. Selon le journaliste Olivier Razemon, auteur de Comment la France a tué ses villes (Rue de l’échiquier, 2016), il en va de l’avenir des sociétés car "c’est là [dans les centres-villes] que se manifeste le dialogue. On apprend, mieux qu’ailleurs, à connaître l’autre, à le fréquenter, à ne pas en avoir peur."

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