26 avril > Essai France > Christian Morel

La volonté de tout réglementer au nom du bien commun conduit quelquefois à des stupidités, voire à des catastrophes lorsqu’il s’agit des transports. Dans ce troisième volet des Décisions absurdes, Christian Morel s’intéresse beaucoup aux protocoles dans l’aviation civile. Il explique qu’il a fallu attendre trois années et sept accidents mortels pour que la procédure de récupération d’un avion qui décroche change. La manœuvre conforme aux principes de l’aérodynamique veut que l’on dirige l’avion vers le sol pour lui faire reprendre de la vitesse. Or, jusqu’en 2010, les règles conseillaient aux pilotes de minimiser la perte d’altitude, de cabrer l’appareil et de pousser les moteurs.

Mais dans cet essai alerte, aussi instructif qu’inquiétant, Christian Morel mentionne aussi les 20 000 pages de procédure du porte-avions Charles de Gaulle ou le règlement des visites au Louvre qui stipule "qu’il est interdit de regarder les œuvres avec une loupe et de visiter les salles en maillot de bain". Bref, ces règles finissent par dérégler le bon sens. Ajoutons à ce piège celui de la vie des groupes, qu’il s’agisse d’un service d’urgence, d’un équipage ou d’une cordée en montagne. Le fait que les gens ne se comprennent pas a conduit au naufrage du Costa Concordia en 2012, bien plus, selon le rapport d’enquête, que la frivolité du capitaine: 38 nationalités pour l’équipage, 26 pays représentés pour les passagers, l’utilisation de l’anglais pour les exercices et de l’italien comme langue de travail officielle… Une vraie tour de Babel.

En 2016, le magazine Challenges classait Les décisions absurdes parmi les "10 livres cultes du XXIe siècle", à côté du Capital au XXIe siècle (Seuil) de Thomas Piketty ou Economie du bien commun (Puf) de Jean Tirole. Anthropologique, le travail de Christian Morel touche aussi à la philosophie, car il renvoie à l’idée qu’il faudrait tout prévoir pour éviter le pire, avec la volonté de diminuer la part du libre arbitre de chacun en pensant qu’elle est dangereuse. Mais l’erreur fait aussi partie du processus. Ce sociologue, ex-DRH d’une division de Renault, montre que ces décisions absurdes relèvent moins de la méprise ou de l’illusion que du défaut de réflexion. L’erreur n’est plus ce qui compromet le vrai. Elle en est en quelque sorte l’histoire. Laurent Lemire

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