Dominique Lepori, Gibert Joseph Lyon et Vaulx-en-Velin- Photo OLIVIER DION

Les gens ont une calculatrice dans la tête, observe Dominique Lepori, directrice des magasins Gibert Joseph à Lyon et à Vaulx-en-Velin, dernier-né de l'enseigne ouvert en 2009 en centre commercial. Comme elle, les libraires ressentent nettement dans leurs magasins l'impact de la baisse du pouvoir d'achat. « A Vaulx-en-Velin, poursuit-elle, nous sentons que leurs dépenses sont maîtrisées. D'ailleurs, aujourd'hui, nos clients n'hésitent plus à offrir des livres d'occasion. C'est tout à fait nouveau. Autre phénomène récent : ils paient de plus en plus avec des chèques-cadeaux... mais c'est sans doute lié à notre clientèle composée principalementde jeunes couples avec enfants. Pourtant, nos résultats sont plus que satisfaisants, et chaque semaine des gens nous remercient d'avoir apporté une offre culturelle dans une zone qui en était dépourvue.  »

"LES GENS REGARDENT LES PRIX. »

Olivier L'Hostis, L'Esperluète, Chartres- Photo OLIVIER DION

Pour Olivier L'Hostis, patron de L'Esperluète, située dans le centre de Chartres, "il n'y a pas de désaffection pour la lecture, en revanche les gens achètent des livres moins chers. En témoigne l'écart enregistré l'an passé entre l'évolution de nos ventes en volume (+ 4 %) et en valeur (+ 2,5 %). D'ailleurs, nous-mêmes, en proposant de plus en plus de coups de coeur en poche, nous contribuons peut-être au phénomène... ». Chez Formatlivre, à Libourne, Jean-Marie Martin constate lui aussi que ses clients sont plus attentifs aux prix : "Même si notre panier moyen n'a pas baissé, on voit de plus en plus de gens retourner les livres, non pas pour lire la quatrième de couverture, mais pour regarder les prix. On sent qu'ils comparent et qu'ils essayent de savoir s'ils en auront pour leur argent. Ils nous demandent aussi davantage si le livre qui les intéresse existe en format poche. »

Selon Jean-Marie Ozanne (Folies d'encre, à Montreuil), c'est aussi la faiblesse du pouvoir d'achat qui explique la baisse de fréquentation enregistrée par de nombreux libraires. "Les gens viennent moins dans les magasins pour ne pas être tentés de dépenser. D'ailleurs, chez nous, si le panier moyen a augmenté, le nombre de tickets de caisse a eu tendance à baisser. Mais ce phénomène n'est pas propre à la librairie. Il touche tous les commerces en cette période de crise. » Chez Labyrinthes, à Rambouillet, Jean Milbergue constate lui aussi une réduction du nombre de passages de ses clients fidèles : "En l'espace d'un an, on est passé de 6 à 8 visites par an en moyenne... Par contre, si les gens viennent un peu moins souvent, ils achètent un peu plus lors de leurs déplacements. Mais je ne suis pas forcément représentatif du marché car je touche un bassin de population important et aisé. D'ailleurs, à 37 euros, mon panier moyen d'achat est deux fois supérieur à celui de la moyenne nationale. »

"FAUT QUE ÇA BOUGE. »

Derrière tous ces témoignages, on le sent, l'appétit de lecture est toujours là. Mais, pour Dominique Lepori, "il faut de plus en plus se décarcasser pour attirer et déclencher des actes d'achat. La présence de vendeurs est essentielle. Mais l'aménagement de l'espace de vente et la présentation des livres sont aussi très importants. Aujourd'hui, il faut renouveler les tables de plus en plus souvent. C'est d'autant plus important que les gens ne regardent plus beaucoup les rayonnages. Ils n'ont plus le temps : ils veulent qu'on leur mâche le travail et qu'on sélectionne pour eux des livres. » Dans le même esprit, Jean-Marie Martin constate qu'il faut du rythme. "Sur les tables, dans les vitrines, faut que ça bouge ! L'impact est évident. Régulièrement, des gens viennent me demander des titres qu'ils ont vus en vitrine même si celles-ci ont été changées depuis. »

"Face à beaucoup d'autres commerces, la librairie ne s'en sort pas si mal, estime Olivier L'Hostis. Le problème, et c'est peut-être pourquoi certains discours sont alarmistes, c'est que la profession n'a aucune réserve pour amortir la moindre baisse de chiffre d'affaires. Là où certaines activités peuvent temporairement réduire leurs marges, la librairie doit tout de suite tailler dans le muscle. D'autant que ses charges, elles, augmentent. » Sur le fond, c'est bien le problème de la rentabilité de la librairie qui est à nouveau pointé.

17.02 2015

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