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Dossier Agendas et calendriers : le temps retrouvé

OLIVIER DION

Dossier Agendas et calendriers : le temps retrouvé

Misant sur des créations originales ou l'exploitation de licences figurant déjà à leur catalogue, les éditeurs de multiples secteurs, de la littérature à l'art en passant par le pratique et la BD, sont de plus en plus tentés par la publication de calendriers et d'agendas, dont le marché s'élargit. Ces titres représentent parfois une part non négligeable de leur activité.

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Par Charles Knappek,
Créé le 15.04.2015 à 23h36 ,
Mis à jour le 16.04.2015 à 12h54

Les calendriers et agendas ont le vent en poupe dans l'édition. Les éditeurs de littérature générale comme d'ouvrages pratiques sont de plus en plus nombreux à s'inviter sur un marché remarquable par la bonne tenue de ses ventes d'une année sur l'autre. Parmi les derniers venus, attiré par les résultats commerciaux des acteurs déjà présents, Larousse a notamment investi le secteur des calendriers l'an dernier. "Nous avons regardé où se situaient les volumes de vente les plus importants avant de nous lancer sur un marché déjà très encombré. Nous publions depuis l'an 2000 L'agenda Truffaut, nous étions légitimes pour intervenir sur les calendriers », explique Catherine Delprat, directrice éditoriale.

"Nous n'avons pas souhaité inonder le marché avec davantage de titres sur des centres d'intérêt plus pointus." JEAN-LOUIS HOCQ, SOLAR- Photo OLIVIER DION

Delachaux & Niestlé (groupe La Martinière) lance également pour la première fois cette année un calendrier thématique sur les chats. "Il vient en accompagnement de la publication du beau livre de Rachel McKenna, Les chats en France", indique Jean-Louis Fetjaine, chargé du pôle éditorial englobant Delachaux & Niestlé, Fetjaine et La Martinière. Pour l'éditeur, "il est important que le calendrier soit lié à une licence si on veut qu'il fonctionne ». Aux éditions de la Martinière, l'agenda 2012 Rendez-vous en terre inconnue s'inscrit dans cette logique. Chez Fetjaine, l'Agenda des Simpsons, dérivé du célèbre dessin animé, enregistre quant à lui de bons résultats depuis son lancement il y a quatre ans, à hauteur de "20 000 exemplaires nets de retour tous les ans ».

"Nous avons une dizaine de calendriers qui s'appuient sur la crème de l'édition manga. Ils sont vendus plus cher que les livres et génèrent de fortes marges." RAPHAËL PENNES, KAZÉ- Photo OLIVIER DION

UN RÔLE DE COMPLÉMENT

Les exemples d'éditeurs reprenant à leur compte cette tendance d'exploitation de licences ne manquent pas. Casterman propose notamment depuis plusieurs années un calendrier dérivé de la bande dessinée Le chat, de Philippe Geluck, et un calendrier Corto Maltese avec les dessins d'Hugo Pratt. Par le passé, la maison belge a également publié un calendrier Adèle Blanc-sec à l'occasion de la sortie du film du même nom. De son côté, Bamboo commercialise cette année deux agendas inspirés par ses séries, Les gendarmes et Les pompiers, ainsi qu'un calendrier Les odieux du stade, dérivé de la série Les rugbymen et parodie des Dieux du stade.

"En vue des fêtes, nous offrons un petit calendrier avec notre série Les fondus de moto, cela permet de sensibiliser le public à notre catalogue." OLIVIER SULPICE, BAMBOO- Photo OLIVIER DION

Les éditions du Chêne lancent quant à elles deux agendas perpétuels sous licence : D'Art d'Art ! et Silence, ça pousse !, tirés des émissions respectivement diffusées sur France 2 et France 5. Flammarion adapte en agenda La Parisienne d'Inès de La Fressange, propose une nouvelle édition de son calendrier Paulo Coelho et décline, toujours en calendrier, les dessins de l'illustrateur Olivier Tallec. Michel Lafon coédite avec Deyrolle un calendrier de la France agricole d'antan, reprenant les codes de l'ouvrage Leçons de chose, tandis qu'Albin Michel exploite la licence du rugby néo-zélandais avec un Calendrier officiel 2012 : All Blacks.

"En tant que spécialistes des calendriers et agendas, nous ne savons pas vendre un produit unique." BERTRAND LOBRY, ÉDITIONS 365- Photo OLIVIER DION

Gallimard écoule de son côté depuis 2002 un calendrier et un agenda Titouan Lamazou, en cohérence avec la publication de l'album de l'année et réalisés par l'éditrice des albums, Françoise Chabbert. "Ces agendas et calendriers permettent d'élargir l'offre sur l'oeuvre de Titouan Lamazou en donnant plusieurs formes à un contenu éditorial thématique (le Brésil en 2008 et l'Afrique en 2011 par exemple). Avec les années, nous avons installé un rendez-vous obligé pour les amateurs de Titouan Lamazou », explique Valérie Tolstoï, responsable de la communication chez Gallimard. Plus ponctuellement, la maison publie également un agenda Sempé qui accompagne les albums parus dans la filiale Denoël. "L'accueil est bon, mais nous ignorons à l'heure actuelle si ce sera reconduit l'an prochain », poursuit Valérie Tolstoï. Enfin, Gallimard s'est associé avec Play Bac pour la parution d'un calendrier perpétuel exceptionnel destiné à fêter les cent ans du Groupe et comprenant 365 citations d'auteurs.

"On a un peu de mal à sortir des chats et des chiots, mais on est tenu de s'adresser au grand public." FABIENNE KRIEGEL, CHÊNE- Photo OLIVIER DION

Si les calendriers et agendas sous licence connaissent une vogue certaine, ils représentent pourtant des volumes de vente encore modestes. "Le marché reste dominé par les productions des Editions 365 et de Play Bac, remarque Nicolas Coupannec, responsable du rayon papeterie à la librairie Decitre de la place Bellecour, à Lyon. Les meilleures ventes sont réalisées par les calendriers perpétuels à spirale Géo de Play Bac et le Mémoniak des Editions 365. Du côté des non-spécialistes, le Kakebo de Flammarion et le calendrier Le chat, chez Casterman, enregistrent aussi de bons résultats. »

Pour les éditeurs, ces produits dérivés du catalogue ne jouent souvent qu'un rôle de complément ; ils n'ont pas vocation à concurrencer les leaders du marché. "Les calendriers issus de nos ouvrages représentent une part marginale de notre activité. Ils sont la cerise sur le gâteau et ne sont pas du tout représentatifs du marché de la papeterie. Les produits sont vendus en librairie et non en papeterie, on s'adresse de ce fait surtout à notre coeur de cible », indique Lætitia Lehmann, responsable éditoriale bande dessinée chez Casterman. "Les agendas et calendriers représentent moins d'un pour cent de notre chiffre d'affaires, renchérit le directeur de Bamboo, Olivier Sulpice. Nous les concevons avant tout comme un outil promotionnel. En vue des fêtes de fin d'année, nous offrons à ce titre un petit calendrier avec notre série Les fondus de moto, cela permet de sensibiliser le public à l'ensemble de notre catalogue. »

UNE CERTAINE SÉCURITÉ

Pour d'autres, en revanche, ces produits dérivés représentent un débouché non négligeable. Chez Kazé, éditeur d'animations japonaises et de mangas présent sur le créneau depuis 2007, les calendriers One Piece ou Naruto enregistrent de très bonnes ventes. "One Piece, il y a un an, a été notre meilleur succès avec 10 000 exemplaires. Nous avons, en tout, une dizaine de calendriers qui s'appuient sur la crème de l'édition manga. Ce sont des produits vendus plus cher que les livres et qui génèrent de fortes marges », souligne Raphaël Pennes, directeur éditorial. Cette année, Kazé édite pour la première fois un calendrier dérivé des films des studios Ghibli.

Mais si l'exploitation d'une licence offre une certaine sécurité aux éditeurs en ce qu'elle se fonde sur le succès d'ouvrages ayant souvent déjà trouvé leur public, elle n'est pas pour autant leur seul terrain d'expression. Certaines maisons n'hésitent pas à lancer leur propre catalogue de titres, sur le modèle de ce qu'ils font dans d'autres segments éditoriaux. Larousse, dont les cinq calendriers thématiques (chats, chevaux, jardins, peinture, histoire de France) lancés l'an dernier se sont écoulés "entre 6 000 et 15 000 exemplaires, en fonction des titres », selon Catherine Delprat, renforce encore sa collection de calendriers thématiques illustrés avec 8 nouveautés, dont chats d'exception, mer, potager, villages de France, peintres impressionnistes. "Il ne s'agit pas de produits dérivés de notre fonds, c'est un travail original d'auteurs », précise l'éditrice. Dans la même veine, la maison inaugure en 2012 une nouvelle collection de trois "Calendriers jeux" avec Un jeu par jour, Un entraînement cérébral par jour et Un trait d'humour par jour.

Cette stratégie "mass market" a déjà fait ses preuves au Chêne, qui propose depuis plusieurs années une grande variété de calendriers et d'agendas sur les thématiques les plus incontournables. De même, Hugo & Cie a massivement investi le secteur en 2008 et commercialise aujourd'hui une quarantaine d'agendas, de calendriers et d'éphémérides. Solar, également, publie depuis douze ans, en coédition avec le magazine Géo, deux agendas qui s'écoulent entre 10 000 et 12 000 exemplaires chaque année. L'éditeur complète son offre avec trois calendriers, Chats, Chevaux et Merveilles du monde, et l'almanach du Chasseur français. Ce dernier titre est une grande première pour Solar : il bénéficie d'un tirage de 15 000 exemplaires et n'est vendu qu'en librairie. "Nous n'avons pas souhaité inonder le marché avec davantage de titres qui seraient moins pertinents sur des centres d'intérêt plus pointus », souligne Jean-Louis Hocq, directeur de Solar.

CHIENS, CHATS, CHIOTS ET CHATONS

Les thématiques porteuses, elles, sont en effet toujours les mêmes sur les calendriers et agendas vendus hors licence. "On a un peu de mal à sortir des chats et des chiots, mais on est tenu de s'adresser au grand public et c'est ce qui fonctionne le mieux », observe Fabienne Kriegel, directrice générale du Chêne. La maison réalise ses meilleures ventes avec ses calendriers 52 semaines de Chatons, de Chiots, d'Anges et des Fables de La Fontaine. Mais s'appuie aussi sur un catalogue de 10 calendriers perpétuels, 6 agendas et une série 365 jours comprenant 4 titres.

Plus ponctuellement, Fetjaine publie également, hors de toute licence, un agenda présentant tous les grands événements sportifs de l'année 2012. "Il s'agit d'une création originale, mais nous ne sommes pas coutumiers du fait, précise Jean-Louis Fetjaine. La plupart du temps, le consommateur doit pouvoir identifier en un instant les calendriers qui lui sont proposés. On est sur du "mass market", il faut des licences très fortes. » Difficile en effet de tenir tête aux éditeurs spécialisés avec un seul titre. Sur ces produits hors licence, les éditeurs représentent une concurrence plus sérieuse pour les leaders du marché dès lors que, tels Le Chêne et Larousse, ils commercialisent une gamme complète de titres.

Sans encore réellement menacer le leadership des Editions 365 et de Play Bac, ces derniers enregistrent de bons résultats sur cette activité. "Nous sommes encore dans le domaine du revenu additionnel, mais les calendriers et agendas occupent une place suffisamment importante pour que nous n'ayons pas envie de les retirer de la production avant d'avoir trouvé un autre produit capable de les remplacer », souligne Fabienne Kriegel, au Chêne. "Nous sommes sur une activité à part entière, renchérit Catherine Delprat, chez Larousse. Un produit à 15 euros vendu à 15 000 exemplaires génère un chiffre d'affaires significatif. »

UN MARCHÉ EN CROISSANCE

Les leaders du secteur ont senti le vent tourner. Certains élargissent aujourd'hui leur catalogue avec des références ouvertement tournées vers la littérature et ses avatars. Play Bac, notamment, s'inscrit dans cette tendance en coéditant le calendrier perpétuel du centenaire de Gallimard. "C'est une manière de répondre à l'arrivée de nouveaux acteurs sur un marché qui devient de plus en plus concurrentiel. Cela nous permet aussi de diversifier notre offre et de toucher une nouvelle cible », explique Anaïs Roué, chef de produit calendriers et beaux livres chez Play Bac. L'éditeur a également publié un calendrier perpétuel du Chat de Philippe Geluck.

Des partenariats extérieurs qui ne l'empêchent pas de développer des titres à partir de son propre catalogue. Dans la veine littéraire, Play Bac innove notamment avec son calendrier 52 cadavres exquis, réalisé en collaboration avec 7 écrivains (Tatiana de Rosnay, Yann Queffélec, Didier van Cauwelaert, Daniel Picouly...) et proposant 52 nouvelles écrites à 7 mains. "La littérature sur le marché des calendriers est un concept assez rare, on espère que ça va marcher », avance Anaïs Roué. La célèbre série des Incollables est également déclinée par Play Bac à travers un calendrier pour la jeunesse intitulé 365 questions/réponses pour les curieux. Plus timidement, les Editions 365 publient 365 méditations quotidiennes du dalaï-lama, dans la collection "Les almaniaks", dont le contenu a été acheté aux Presses de la Renaissance et aux Presses du Châtelet. Pour l'essentiel, l'éditeur reste dans la production de contenus originaux.

Toujours est-il que, malgré la nette tendance au développement des calendriers et des agendas à contenus éditoriaux, les Editions 365 et Play Bac représentent à eux seuls plus de la moitié des ventes en 2010, suivis par Hugo & Cie. Pour Bertrand Lobry, directeur des Editions 365, cette concurrence nouvelle est même une bonne chose. "Nous avons longtemps été seuls avec les "Mémoniaks", mais nos ventes continuent de progresser, malgré l'arrivée de 5 ou 6 concurrents. Même si cela ne durera pas éternellement, cela signifie que le marché est en pleine croissance. » Bertrand Lobry s'estime par ailleurs mieux armé que ses challengers. "L'arrivée d'éditeurs non spécialistes tient au fait que les chiffres de vente sont publics et appellent la concurrence. Mais nous restons mieux placés qu'eux, notamment en termes de marketing grâce à notre diffuseur Hatier qui organise d'importantes opérations commerciales. En tant que spécialistes des calendriers et agendas, nous ne savons pas vendre un produit unique, nous proposons une large gamme de titres qui couvrent l'éventail des centres d'intérêt du grand public. C'est ce qui fait notre force."

UNE TVA À 5,5 %

C'est leur contenu éditorial qui distingue les calendriers et les agendas créés par l'édition des purs produits de papeterie, et c'est ce qui leur permet, bien souvent, d'être considérés comme des livres à part entière et de bénéficier à ce titre d'un taux de TVA à 5,5 %, contre 19,6 % pour ces articles en papeterie. En vérité, les critères d'appréciation du taux applicable sont flous. Une réforme de 2005 a fait entrer les cartes géographiques et les partitions musicales dans le périmètre du livre. Pour ce qui est des calendriers et agendas, chaque éditeur est libre de sa politique fiscale dès lors qu'une part significative du contenu est bel et bien éditoriale.

Les Editions 365, par exemple, appliquent un taux de 5,5 % à la moitié de leur production. "Nous sommes avant tout des éditeurs, nous fournissons des contenus de qualité », justifie Bertrand Lobry. Même son de cloche chez Larousse, dont les agendas Truffaut sont également considérés comme des livres, ainsi que chez Play Bac et Solar. "Il faut beaucoup de contenu pour bénéficier d'un taux de 5,5 %, nuance toutefois Jean-Louis Fetjaine, chez Fetjaine. Dans la mesure où des agendas et des calendriers supposent nécessairement une importante surface de blanc à remplir, on préfère ne pas jouer avec ça pour ne pas risquer un redressement fiscal. »

Des titres difficiles à mettre en valeur

Photo OLIVIER DION

Même si cela n'a pas toujours été le cas, les calendriers et les agendas dérivés de l'édition sont aujourd'hui bien accueillis par les libraires. Mais pour les éditeurs, toute la difficulté réside dans la façon de trouver leur public. Les réseaux de distribution de l'édition diffèrent sensiblement de ceux des produits de pure papeterie du type agenda Quo Vadis. "La personne qui veut acheter un calendrier ou un agenda n'a pas forcément le réflexe d'aller en librairie, surtout si ces produits n'y sont pas mis en valeur", souligne le directeur de Bamboo, Olivier Sulpice.

Le problème est particulièrement prégnant pour les éditeurs de bande dessinée, dont les calendriers et agendas sont presque systématiquement mis en place avec le reste de leur production, au rayon BD. "Nous avons clairement un problème de visibilité, les calendriers sont le plus souvent installés avec les livres et très peu mis en valeur, déplore Raphaël Pennes, directeur éditorial chez Kazé. L'avantage en ce qui nous concerne, en tant que spécialistes des mangas, c'est que nous sommes plus puissants en nous adressant exclusivement à notre coeur de cible. Nous réglons ensuite le problème de la visibilité par l'installation d'une PLV en carton disposant d'encoches où sont insérés les calendriers ; cela nous permet de toucher une cible très captive qui achète volontiers nos produits dérivés."

Pour d'autres éditeurs, cependant, la difficulté de repérage en librairie constitue un frein au développement des ventes. "Le marché est compliqué, notamment en raison de la disparition du réseau de papetiers traditionnels, juge Lætitia Lehmann, responsable éditoriale bande dessinée chez Casterman. Pour compenser une exposition faible, il faut bénéficier d'un univers très fort et aussitôt identifiable, sans quoi c'est peine perdue." A défaut de PLV adaptée, les calendriers sont en effet le plus souvent placés ensemble et à plat sur des tables d'exposition. "Un calendrier est plus difficile à écouler, il prend beaucoup de place et ne se vend que sur une période réduite de l'année, observe Jean-Louis Fetjaine. C'est un marché de droits dérivés, il n'existe pas en soi."


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