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Dossier Apprentissage des langues : la vogue du pratique pas cher

Olivier Dion

Dossier Apprentissage des langues : la vogue du pratique pas cher

Les ouvrages d’entrée de gamme permettent au marché de l’apprentissage des langues, encore en recul en 2016, de trouver un nouveau relais de croissance. Pour redynamiser les méthodes traditionnelles, les éditeurs ont entamé parallèlement un important travail de refonte graphique et misent sur les innovations technologiques.

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Par Charles Knappek,
Créé le 27.01.2017 à 00h32 ,
Mis à jour le 27.01.2017 à 08h55

Le marché de l’apprentissage des langues fonctionne à deux vitesses. Alors que les méthodes traditionnelles s’essoufflent, les ouvrages à petit prix ou mettant l’accent sur la pratique ont le vent en poupe. La tendance se vérifie chez l’ensemble des éditeurs. Chez First, la collection "Le petit livre", qui inclut la série "En 5 minutes par jour", progresse de 17 % sur l’année écoulée selon Marie-Anne Jost-Kotik, directrice éditoriale du pôle référence. La marque du groupe Editis prévoit d’ailleurs de renforcer son offre avec en février le Super petit livre d’anglais et fin mars L’arabe en 5 minutes par jour.

"La tendance en ce moment, ce sont les formats à la frontière avec le parascolaire." Carine Girac-Marinier, Larousse- Photo OLIVIER DION

"Tout de suite" et "40 leçons" (séries de "Pocket. Langues pour tous"), "ABC" et "15 minutes par jour" (Larousse), "Langues de poche" (Assimil), "Bloc-notes" et "C’est dans la poche !" (Ellipses), "10 minutes" (Berlitz) : les collections à tout petit prix ou à prix intermédiaire ne sont pas celles qui rapportent le plus, mais ce sont celles qui tirent le mieux leur épingle du jeu en librairie là où les méthodes traditionnelles, plus onéreuses, sont à la peine. "Les petits formats séduisent parce que le critère du prix pèse lourd dans la décision d’achat et parce que, pour un investissement relativement modeste, l’apprenant en a tout de même pour son argent", observe Grégory Morel, responsable du rayon langues à la librairie Grangier à Dijon. Parfois ces collections sont encore jugées trop chères : à l’occasion de la parution de nouvelles éditions des titres d’anglais et d’espagnol dans "15 minutes", Larousse annonce une "légère baisse" du prix de vente.

"Les librairies sont sous tension, mais elles ne doivent pas négliger le fonds car cela revient à ouvrir une porte béante au commerce en ligne." Nicolas Ragonneau, Assimil- Photo OLIVIER DION

Parmi les formats abordables, les cahiers d’activités, qu’ils soient d’exercices ou d’écriture, se distinguent tout particulièrement. "C’est le segment le plus dynamique chez nous, signale Nicolas Ragonneau, directeur marketing et développement éditorial chez Assimil. La question du prix entre en ligne de compte, elle est essentielle. Bien sûr, les cahiers ne remplacent pas les méthodes, mais ils séduisent de plus en plus." Parmi les meilleures ventes, le cahier d’exercices anglais faux débutant a fait un "bon 10 000 exemplaires", assure l’éditeur. Assimil continue son déploiement en déclinant ses cahiers en trois niveaux (débutant, faux débutant, confirmé) et ouvre de nouvelles langues en cahiers d’exercices (néerlandais, espagnol et japonais débutant) ou d’écriture (hébreu). De son côté, First renforce sa collection "Les cahiers d’écriture pour les nuls" inaugurée en avril 2016 avec deux nouveautés : L’hébreu et Le coréen. Les quatre premiers titres (arabe, russe, chinois, japonais) ont "bien démarré", assure Marie-Anne Jost-Kotik, notamment Le japonais, vendu à 2 500 exemplaires. "C’était la première fois que "Les nuls" quittaient le monde de l’oralité ou de la méthode classique pour se tourner vers l’écriture, l’expérience est très satisfaisante." Chez Ellipses aussi, les cahiers d’activités sont "clairement la tendance pour l’apprentissage en autonomie", selon Barbara James, éditrice chargée des langues. L’éditeur propose notamment des cahiers pour "réviser en s’amusant" l’anglais, l’espagnol ou l’allemand. Dans la collection "Bloc-notes", Ellipses couvre aussi les principales langues et quelques autres plus rares comme le japonais, le chinois ou le coréen. "C’est le côté pratique et interactif qui plaît dans cette collection, parce que cela rythme le temps de travail du lecteur", ajoute Barbara James.

Des cahiers toute l’année

Le succès des cahiers est tel que les éditeurs veulent s’adresser à de nouveaux publics. Assimil inaugurera en juin prochain une série de quatre titres d’anglais pour les quatre années du collège. "Il s’agit de notre première incursion dans le périscolaire-parascolaire, mais ce ne sont pas des cahiers de vacances, précise Nicolas Ragonneau. Nous voulons proposer des titres de fond, qui existeront toute l’année." Chez First, l’option cahier de vacances est clairement assumée avec la remise sur le marché l’été prochain de nouvelles éditions de titres d’anglais, Enjoy your trip !, et d’espagnol, ¡Vamos a la playa !, destinés aux adultes. L’éditeur va d’ailleurs compléter son offre avec un troisième cahier de portugais au titre encore indéterminé.

Outre ses classiques cahiers de vacances sous la marque Harrap’s, Larousse est également positionné sur le segment avec sa série "Démarrez le…", ciblant les langues plus rares (russe, chinois, japonais…) et surtout mise en avant pendant l’été, mais dont certains titres se vendent toute l’année. "La tendance en ce moment, ce sont les formats à la frontière avec le parascolaire", tranche Carine Girac-Marinier, directrice des départements dictionnaire et jeunesse chez Larousse et responsable des éditions Harrap’s (propriété de Larousse).

Une tendance que Harrap’s cultive particulièrement depuis le lancement en février 2016 d’une nouvelle collection de petits classiques illustrés en anglais simplifié destinée aux collégiens, "Read in english". Les ouvrages sont enrichis d’une version audio à télécharger et contiennent une fiche pédagogique photocopiable pour les enseignants. Dès le second semestre, Larousse va décliner le concept en langue espagnole, mais le nom de la série n’est pas encore choisi.

Pour Larousse, la lecture en version originale fait partie intégrante des techniques d’apprentissage. Depuis 2013, Harrap’s publie déjà des livres en VO dans la collection "Yes you can !" et a même investi le champ de la bande dessinée. De la même manière, "Pocket. Langues pour tous" a fait des livres bilingues le fer de lance de sa production : "Les bilingues représentent environ 40 % de nos ventes en langue, détaille Vanessa Gennari, l’éditrice responsable des langues chez Pocket. Nos deux collections d’apprentissage "Tout de suite !" et "40 leçons" pèsent ensemble 40 %. Les 10 % restants proviennent des dictionnaires." "Pocket. Langues pour tous" a revu l’identité visuelle des séries "Tout de suite" et "40 leçons" en 2016. L’opération a permis de dynamiser les ventes. "Cela faisait longtemps que nous n’avions pas pris la parole sur le marché, ajoute Vanessa Gennari. Nous sommes contents d’avoir retrouvé de la visibilité en librairie et nous allons consolider nos positions en 2017."

Innovation

Si, sur le front des méthodes classiques, l’essoufflement du marché se fait davantage ressentir, les éditeurs ne désarment pas pour autant. A la jonction entre les ouvrages d’entrée de gamme et les méthodes traditionnelles, First publie en mars une nouvelle série au format semi-poche intitulée "Je me remets à… en 2 mois pour les nuls", à l’anglais et à l’espagnol pour commencer. "Nous nous adressons aux faux débutants avec ce nouveau concept d’une cinquantaine de leçons divisées en journées et des bilans réguliers", détaille Marie-Anne Jost-Kotik. First devrait étendre la collection à d’autres langues dès le second semestre et s’appuie dans le même temps sur sa nouvelle identité visuelle dévoilée à la rentrée 2016 pour dynamiser La méthode intégrale anglais pour les nuls. L’éditeur a aussi enrichi son catalogue d’une nouvelle langue avec la parution en janvier de la méthode Le turc pour les nuls.

"La demande est toujours présente. Certes, les gens utilisent beaucoup les applis pour découvrir une langue, mais quand ils veulent s’investir plus sérieusement, ils continuent de se tourner vers les livres plus complets", constate Grégory Morel, de la librairie Grangier. Chez Assimil, la réponse passe par la modernisation de la maquette de la collection "Sans peine", amorcée fin 2015 et qui se poursuit au fur et mesure de la mise sur le marché de nouvelles éditions. L’éditeur en a profité pour inclure des clés USB dans ses coffrets. "La première clé USB a été proposée en février 2016 avec la parution de la nouvelle édition de L’anglais sans peine, rappelle Nicolas Ragonneau. Nous avons désormais une offre tripartite pour les langues majeures (anglais, espagnol, italien, allemand, russe et français langue étrangère) que nous proposons en pack CD, pack MP3 et maintenant pack USB." Pour les langues "moyennes" en revanche, Assimil abandonne le MP3 et commercialise désormais les nouvelles éditions sous l’intitulé "Superpack", comprenant un livre, une clé USB et des CD audio. La nouvelle charte graphique a été "bien accueillie", souligne Nicolas Ragonneau, qui espère bénéficier d’un climat plus favorable aux affaires en 2017. Il ajoute : "Les librairies sont sous tension, mais elles ne doivent pas négliger le fonds car cela revient à ouvrir une porte béante au commerce en ligne."

Série TV

De son côté, Larousse va refondre ses titres de la collection "Méthode express" (Harrap’s) dans les langues les plus importantes (anglais, espagnol, allemand, italien, portugais). Les titres seront proposés dans un nouveau coffret et le prix à l’unité va baisser. "C’est l’un des gros enjeux de Larousse cette année", confie Carine Girac-Marinier. L’éditeur annonce aussi pour cet été une nouvelle méthode d’anglais bâtie autour d’une série télévisée spécialement conçue pour l’occasion. "Le niveau s’élèvera avec les épisodes, et un espace dédié permettra à l’apprenant de vérifier qu’il a bien compris ce qu’il a entendu", explique Carine Girac-Marinier. Enfin, il faut signaler l’accent mis par Larousse sur les jeunes, voire très jeunes apprenants. L’éditeur annonce notamment pour mars un imagier sonore d’anglais et trois nouveaux titres dans la collection "Des images et des sons !" pour s’initier à la langue de Shakespeare en chansons.

L’apprentissage des langues en chiffres

Les "petites langues", stars des guides de conversation

 

S’il reste dominé par l’anglais, en fort recul, et l’espagnol, le marché des guides de conversation, étroitement corrélé aux tendances du tourisme, fait aussi la part belle à de multiples "petites" langues.

 

"Certaines ventes sont liées au succès de nouvelles destinations." Frédérique Sarfati-Romano, Lonely Planet- Photo OLIVIER DION

A l’inverse des guides de voyage où le papier résiste à l’emprise du numérique, le marché des guides de conversation accuse un recul régulier depuis plusieurs années. Mais cette donnée générale masque de fortes disparités : "Tous éditeurs confondus, l’anglais a reculé de 24 % entre 2012 et 2016, explique Frédérique Sarfati-Romano, directrice déléguée du pôle illustré tourisme de Lonely Planet. Compte tenu de son poids important dans le total des ventes, c’est lui qui explique pour l’essentiel la baisse du marché." Car pour le reste, les "petites" langues continuent de bien vivre. "La structure de notre catalogue avec beaucoup de langues rares comme le croate, le hindi, le thaï ou le vietnamien, nous a permis de mieux résister", ajoute Frédérique Sarfati-Romano. Chez Harrap’s, la collection "Parler… en voyage" est "importante et comprend beaucoup de langues peu courantes", abonde Carine Girac-Marinier, directrice des départements dictionnaire et jeunesse chez Larousse et responsable d’Harrap’s (propriété de Larousse).

Forte saisonnalité

De la même façon, chez Larousse, les deux collections "Guide de conversation" et "Dans votre poche" fonctionnent toujours bien. En "Guide de conversation", l’éditrice annonce même une nouveauté consacrée à l’arabe. "Ce marché est caractérisé par ses petits prix et une forte saisonnalité, ajoute Carine Girac-Marinier. On voit par exemple que les destinations des îles fonctionnent en hiver." "Certaines ventes sont aussi liées au succès de nouvelles destinations, précise Frédérique Sarfati-Romano, chez Lonely Planet. Notre guide de conversation portugais a progressé de 15 % en 2016 et c’est une conséquence directe de l’augmentation du tourisme au Portugal." "La situation dans le monde arabe a entraîné une redistribution des cartes, confirme Nicolas Ragonneau, directeur marketing et développement éditorial chez Assimil. Certains pays ont disparu du top 10 des destinations touristiques tandis que la Grèce, l’Italie ou le Portugal en profitent. Cela se ressent dans nos ventes." Pour ce premier semestre 2017, Assimil cible des destinations sûres avec 4 nouveautés en portugais, japonais, créole guadeloupéen et créole martiniquais dans son Coffret conversation qui comprend un livre et un CD MP3 bilingue. L’éditeur signale aussi de bonnes surprises : "Nous avions sorti un coffret de conversation en coréen sur la base d’un petit tirage de 1 000 exemplaires. Nous avons tout vendu."

Egalement très présent sur le marché, First propose deux types d’ouvrages, à chaque fois avec la collection "Pour les nuls" : des guides classiques et des guides de conversation en voyage, plus orientés sur les problématiques rencontrées à l’étranger. En avril, l’éditeur publie neuf nouvelles éditions des "Pour les nuls : en voyage !" et une nouveauté, L’allemand pour les nuls. Chaque titre inclut un mini-dictionnaire bilingue et propose du contenu MP3 en téléchargement gratuit. Enfin, Berlitz est également présent sur le marché, essentiellement avec sa collection à petit prix "Mémolangues", aux couvertures stylisées. L’éditeur, qui se concentre sur les principales langues, ne prévoit pas de nouveauté cette année. De la même manière, Lonely Planet ne publiera pas de nouveaux titres en 2017 - la dernière nouveauté, un guide d’hébreu, date de 2013. "Nous avons changé de maquette il y a deux ans, nous sommes dans une phase de renouvellement progressif du catalogue au rythme de la parution des nouvelles éditions", décrypte Frédérique Sarfati-Romano.

Meilleures ventes : pas de place pour les petites langues

Même si c’est un dictionnaire de poche français-espagnol qui occupe la première place de notre palmarès GFK/Livres Hebdo des meilleures ventes de livres d’apprentissage des langues, l’anglais reste hégémonique avec 26 occurrences classées dans les 50 premières positions. Les dictionnaires bilingues continuent de donner le ton puisqu’on en trouve pas moins de 29 dans le classement, essentiellement en anglais et en espagnol. Le premier dictionnaire d’allemand (23e) est loin du peloton de tête et il faut plonger dans le dernier tiers pour trouver le dictionnaire franco-italien le mieux positionné (34e).

Deuxième genre plébiscité avec 15 occurrences, les guides de conversation répondent aux besoins d’apprentissage de base en situation pratique à l’étranger. C’est sans surprise un guide de conversation anglaise qui ouvre la voie (Parler l’anglais en voyage, Larousse, 8e). On notera aussi le fameux G’palémo (Le Routard, 16e), dictionnaire tout en images adopté par les voyageurs soucieux de se faire comprendre dans toutes les langues sans avoir à en apprendre aucune. Tout cela laisse bien peu de place aux méthodes. Dans cette catégorie, ce sont les petits formats qui séduisent le plus les apprenants, à l’image de la série En 5 minutes chez First, représentée avec des titres en anglais et en espagnol. Un ouvrage plus consistant comme le Nouveau TOEIC (Nathan) ferme quasiment la marche en 49e position.

Hormis le "big 4" (anglais, espagnol, allemand et italien), le classement laisse également peu de place à la diversité. Le dictionnaire de latin Le Gaffiot de poche (Hachette, 32e), un cahier d’écriture chinoise (Centenaire, 35e) et un titre de grammaire progressive de français langue étrangère (Clé international, 43e) sont les trois seules références à sortir du lot.

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