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Dossier Cuisine et vin : la consécration du végétal

Olivier Dion

Dossier Cuisine et vin : la consécration du végétal

Toujours largement dominé par le phénomène Simplissime, devenu une collection, le marché des livres de cuisine concentre sa production et sa créativité sur la cuisine saine et ses multiples dérivés, végétarisme et véganisme en tête.

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Par Cécile Charonnat,
Créé le 22.09.2017 à 13h29

Quand "Simplissime" éternue, c’est tout le secteur des livres de cuisine qui s’enrhume. Enregistrant un tassement, les ventes de la collection phare créée par Hachette Pratique ne sont pas parvenues, comme l’année dernière, à tirer vers le haut le marché, qui renoue, pour la période d’août 2016 à septembre 2017, avec la décroissance, à - 1,8 % selon les estimations de l’institut GFK. Une baisse limitée, notamment grâce aux performances des boissons, mais qui ne soulève pourtant pas chez les éditeurs de cuisine le même optimisme que chez leurs confrères des loisirs créatifs. Attirées notamment par l’essor infatigable de la santé et du bien-être, certaines maisons délaissent même le secteur, comme Tana, ou réduisent la voilure, comme Albin Michel ou First, qui ne consacre plus qu’un tiers de sa production à la cuisine contre 80 % en 2008. "Tout le monde subit, c’est une période de grosse remise en question", constate Elisabeth Darets. Mais la directrice de Marabout reste convaincue que la "réinvention de la cuisine" échoit à ces éditeurs "experts qui restent sur le terrain", et que le livre de cuisine s’en sortira "par l’innovation".

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Concurrence pléthorique

Une qualité que les éditeurs n’ont effectivement pas rangée au placard, et qu’ils réservent à la cuisine saine dans sa plus large expression - bio, santé, végétalisme ou cuisine écologique -, un segment qui explose en 2017. Fini le temps où la cuisine légumière et bio rimait avec fadeur, ennui et privations. Assaisonnée à toutes les sauces, performante sur tous les genres d’ouvrages, elle prend une large part de leurs programmes éditoriaux. First y consacre la quasi-totalité de ses ouvrages publiés hors collection. Le Rouergue et Flammarion ont réorienté l’ensemble de leur production vers ce domaine, tout comme Alternatives, qui a réveillé sa collection "Arts culinaires" en publiant depuis 2016 huit titres portant sur la cuisine saine. "D’une niche travaillée uniquement par des éditeurs spécialisés, la cuisine saine, le végétarisme et le véganisme sont aujourd’hui passés au grand public, analyse Didier Férat, directeur éditorial chez Solar. Ce succès s’explique par la conjugaison de deux tendances qui traversent tout le pratique : d’une part, le phénomène de communauté et d’autre part le besoin de maîtriser davantage ce que l’on mange, une démarche devenue importante dans ce monde bouleversé." L’éditeur a donc lui aussi voué à cette thématique sa seule nouvelle collection de l’année, "Super sain", qui a engrangé deux titres en septembre, Eaux détox et super boissons et Platsvégétariens (ou presque).

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Revers de la médaille de cet engouement croissant, les maisons spécialisées, qui couvrent le sujet depuis parfois plus de vingt ans, voient arriver une concurrence pléthorique, bien plus armée commercialement et qui ne boude pas la "repasse", cette pratique qui consiste à réemployer des recettes déjà publiées. Cependant, le succès est tel qu’elles ne "sentent même pas cet afflux, soutient Laurence Auger, directrice de La Plage. Au contraire, notre constance nous vaut de bénéficier d’une image d’expert qu’apprécient les libraires." Pour continuer à se démarquer et garder une longueur d’avance, l’éditrice mise sur la créativité et teste "d’autres manières de traiter le sujet" en diversifiant notamment formats et maquettes. Après s’être lancée dans le mook en mars (Véganes), pour "justement sortir de la cuisine et aborder d’autres aspects du véganisme", elle a donné un côté "vintage", inédit chez La Plage, à Ma cuisine vegan pour tous les jours (mai), un air "cadeau et festif" à Bonbons vegan (octobre), et sort le grand jeu pour la réédition de Ma cuisine végétarienne pour tous les jours. Initialement publié en 2006, l’ouvrage bénéficie en octobre d’une version "premium" entièrement revisitée, sous coffret, disposant d’un cahier couleur et d’une version ePub offerte pour l’achat du livre papier.

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Plus que la variation des formats ou des maquettes, Terre vivante, qui laboure le terrain du bio depuis de longues années, a fait le choix de s’aventurer hors de son sillon et de s’ouvrir aux nouvelles facettes de la cuisine saine. Après "Cuisiner sans… gluten" en 2016, elle conjugue à la rentrée le bio et la simplicité. En septembre, La cuisine bio du quotidien de Marie Chioca propose une approche familiale alors que Simplement bio, simplement bon de l’une des auteures pionnières du bio, Valérie Cupillard, "apporte un aspect davantage travaillé, précise Brigitte Michaud, directrice éditoriale de la maison iséroise. Mais l’idée reste de contribuer à banaliser le bio et de montrer que la cuisine naturelle n’est ni compliquée ni ennuyeuse, mais source de créativité." Tel est également le but de Nathalie Démoulin, responsable éditoriale au Rouergue, qui, grâce à Ona Maiocco, revisite le manuel de cuisine saine. Aux manettes d’un atelier à Paris, la jeune cuisinière a su, dans Ma cuisine super naturelle (4 octobre), "mettre en avant le plaisir et la curiosité tout en restant très concrète, argumente l’éditrice. Organisé en fonction des cours divulgués, proposant 200 recettes faisables et faites, il délivre les bases pour qu’ensuite les lectrices puissent se débrouiller seules."

Cuisine, santé et écologie

Avec La diète de l’athlète, paru au premier semestre, ou La cuisine des algues (30 août), Nathalie Démoulin fait un autre pari : celui du croisement entre alimentation et santé. Un courant né de "la porosité toujours plus sensible entre la cuisine, la santé et le développement personnel", martèle Anne La Fay, directrice éditoriale art de vivre de Fleurus et Mango, et qui prend de l’ampleur. L’éditrice, qui a sondé le sujet dès 2016 avec "In & out", promet en 2018 "de pousser encore plus loin le concept de l’alimentation adaptée pour prévenir certaines pathologies ou lutter contre". D’autres maisons n’ont pas attendu. Après le sport, Hachette Pratique a ainsi complété son concept "L’assiette" avec trois autres thèmes, le diabète, le cholestérol et le traitement du cancer. La Plage y consacre aussi une nouvelle collection, "Solutions végétariennes", censée donner les clés pour résoudre des problèmes diététiques tels que le diabète, le surpoids ou les difficultés intestinales.

Autre mariage qui séduit le grand public, celui de la cuisine et de l’écologie. Exploré depuis 2015 par Rue de l’échiquier avec sa collection "Tout est bon dans", la niche séduit cette année Flammarion, qui a soumis deux de ses signatures à l’exercice, Sonia Ezgulian ayant planché en avril sur l’Anti-gaspi, et Jean Imbert sur la cuisine de saison et des restes avec Utile ! + de 100 recettes éco-responsables, annoncé le 29 septembre. Après avoir sondé le terrain avec Menus zéro déchet, publié le 25 août, Anne La Fay développera en 2018 le volet cuisine de sa collection "Mango green", dédié à ces "modes de consommation destinés à ceux qui veulent minimiser leur impact sur la planète". La veine devrait également sous-tendre le programme de Terre vivante, répondant ainsi à cette "transversalité qui s’affirme en cuisine", plaide Brigitte Michaud.

 

L’attaque des robots

Attentifs toutefois à ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier, les éditeurs cherchent à allumer des contre-feux à ce règne du sain et du végétal. Du côté de la cuisine simple et quotidienne, ils misent notamment sur la vague du robot cuiseur, Thermomix et autre Cookeo, aspirant par la même occasion à grignoter des parts de marché à "Simplissime", qui poursuit sa diversification. Le pari est particulièrement réussi pour Larousse, dont le Cuisiner au robot cuiseur de la collection "Ustensilissimo", a survolé le premier semestre. La maison place aussi de grands espoirs dans Cuisiner avec Thermomix, l’un de ses enjeux de la fin d’année commercialisé le 12 septembre. Pourvoyeur de 7 titres sur le sujet, dont le beau livre Un couteau, un robot de Stéphane Reynaud, Marabout cherche également des relais de croissance du côté de la "junk food, genre cuisine étudiante mais avec un effet waouh", explique Elisabeth Darets, alors que Anne La Fay joue davantage sur "le plaisir à partager la cuisine, un sentiment qui reste fort", et qui devrait donner lieu à des développements l’année prochaine.

Autre contre-feu plus traditionnel, la pâtisserie confirme son statut de valeur sûre de fin d’année en fournissant l’essentiel des programmes de beaux livres. Ce n’est plus le cas des livres de chefs, dont le nombre est très resserré cette année. "Beaucoup de noms ont déjà signé un voire plusieurs ouvrages et, le milieu étant petit, il n’est pas simple de renouveler les visages. Sans oublier que le marché de ce genre de livre n’est pas extensible et que les places en librairie sont chères", explique Laurence Houlle. La directrice marketing et communication chez Glénat ne sortira donc de ses cartons, en novembre, qu’un seul projet, MichelSarran : itinéraires de goûts. Avec Breizh du chef Thierry Breton, La Martinière opère un décalage, se concentrant davantage sur une région que sur un homme, tout comme les éditions Alain Ducasse qui, avec Cuisine de roi à la française, se focalisent sur l’expérience du chef à Versailles. Cette contraction ne devrait toutefois pas durer : Glénat et le Chêne promettent dès 2018 un retour en force du très beau livre de chef.
 

La cuisine en chiffres

Les cocktails gardent la forme

 

En vogue depuis deux ans, la mixologie s’enracine alors que le vin poursuit son mouvement de désacralisation.

 

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Certes plus étroit que la cuisine, le marché des boissons n’en demeure pas moins dynamique ; affichant une croissance de 13 % (GFK) entre septembre 2016 et août 2017. Deux facteurs y concourent. Du côté des spiritueux, l’engouement pour les cocktails ne faiblit pas et s’affirme comme "une tendance forte bien partie pour s’installer, estime Stéphane Rosa, éditeur chargé des boissons chez Hachette Pratique. Grâce à sa créativité et à son aspect ludique, le sujet est un puits sans fond qui sort aujourd’hui du milieu bobo parisien : des bars à cocktails s’ouvrent partout en France." L’éditeur y consacre à l’automne deux "Simplissime" dont un coffret, un format que les éditeurs affectionnent particulièrement quand ils se penchent sur les alcools. Comme Hachette Pratique, Marabout et Larousse multiplient cette année les Flashy cocktails (Larousse) et autres Pina colada et Cie (Marabout), variant les contenants qui accompagnent les livrets de recettes, des verres "tête de mort" aux ampoules multicolores. S’y ajoutent cette année plusieurs références sur l’absinthe et le rhum, ce dernier, très à la mode, donnant aussi naissance à des guides, notamment chez Hachette Pratique, Flammarion ou au Chêne.

S’appuyant sur cet engouement, Anne La Fay, directrice éditoriale art de vivre de Fleurus et Mango, a truffé les trois ouvrages de sa nouvelle collection, "Alcools", d’une vingtaine de recettes de cocktails. Arrivés le 15 septembre en librairie, Le champagne, le whisky et le cognac bénéficient également d’une maquette aérée et entièrement illustrée, censée séduire "ce public de trentenaires qui ont du pouvoir d’achat, un certain goût pour les spiritueux et envie d’aborder les alcools différemment", assure Anne La Fay. La collection, qui devrait s’enrichir de 6 titres en 2018, comble en outre un manque dans le catalogue de Mango. "Ce serait dommage de laisser aux autres ces sujets encore en friche, sur lesquels nous n’avions pas grand-chose", plaide la directrice éditoriale.

Version rosé ou biologique

Le second facteur de dynamisme est à chercher dans le mouvement de désacralisation du vin, engagé il y a deux ans afin, déjà, de séduire ce public rajeuni. Marabout a ainsi réédité le 30 août son titre phare qui date de 2015, Le vin c’est pas sorcier, et décline la formule avec la bière et les cocktails. Dans la même ligne, et dans la continuité de Mimi, Fifi & Glouglou, L’Epure livre en septembre De profundis gustatibus d’Olivier Grosjean, qui se veut une critique de la dégustation du vin. Le thème est également traité par Menu fretin, qui publie le même mois Qu’est-ce que boire ?. Déposé sur la boîte mail de l’éditeur par son auteur, François Caribassa, le texte dénonce la mainmise des œnologues sur la manière de déguster le vin et prône le boire pour se faire plaisir.

Pour s’inscrire dans cette ligne et donner "un meilleur accès au vin tout en rendant le guide plus vivant", Florence Lécuyer, directrice éditoriale pratique et beaux livres de Flammarion, a remodelé son Guide des vins Bettane + Desseauve. La sélection comprend des vins facilement trouvables et moins chers, mis en avant de manière plus "limpide" grâce à une maquette aérée afin de diminuer le côté catalogue. Une refonte qui a aussi une visée commerciale : consolider la progression des ventes du Bettane + Desseauve alors que le marché des guides est orienté à la baisse. "Cela fait dix ans que les ventes diminuent, la tendance est lourde et la concurrence d’Internet très rude", confirme Stéphane Rosa, qui écoule en moyenne 60 000 exemplaires du Guide Hachette des vins. Pour enrayer l’érosion, il a choisi d’en multiplier les éditions, soit en extrayant Les bons plans à moins de 15 euros (septembre), soit en déclinant le guide en version rosé ou biologique, un courant qui perce et que La Plage approche encore plus radicalement en proposant depuis le 18 août la première édition du Guide Brachet des vins vegan et végétaliens.

Pour engranger des ventes, il reste une autre voie, plus risquée, mais qu’aiment à fréquenter les éditions de l’Epure. Le 24 octobre, la maison fondée par Sabine Bucquet envoie en librairie le très original De la vigne aux platines qui rassemble 50 textes ou dessins issus de l’association d’un album de musique et d’une bouteille de vin, et créés par des personnalités et quelques inconnus. Doublé d’un catalogue de fiches techniques, musicales ou vinicoles, et d’une maquette rock’n’roll, le livre constitue l’un des enjeux de fin d’année de la maison.

Meilleures ventes : un marché ultra concentré

On frôle le monopole. Dans le classement Livres Hebdo/GFK des 50 meilleures ventes de livres de cuisine, "Simplissime" installe neuf titres dans les dix premières places. Seul Larousse, avec son Cuisiner au robot cuiseur, dont une nouvelle version a été publiée en janvier, parvient à s’immiscer au 7e rang. Au total, le concept créé par Jean-François Mallet et publié par Hachette Pratique glisse 13 ouvrages dans le palmarès, soit l’ensemble des livres de cuisine que comptait, jusqu’à cet été, la collection, qui, depuis un an, élargit ses thématiques.

L’unique concurrence au phénomène "Simplissime" provient des coffrets. A nouveau plébiscitée par les consommateurs, la formule livret et accessoires glisse 17 références dans le top, dominées par les boissons et notamment les cocktails. Une performance due sans doute à la ténacité de certains éditeurs, tels Larousse ou Marabout, qui ont maintenu une production même aux heures les plus creuses tout en augmentant la qualité, et la valeur ajoutée, des produits complémentaires proposés. L’introduction des licences, comme Milka chez Marabout (33e) ou les Minions chez Solar (37e), contribue également à la progression des ventes. Galvanisés par ce dynamisme, les trois principaux acteurs, Marabout, Larousse et Hachette Pratique, ont gonflé leur offre pour cette fin d’année : plus d’une quarantaine de coffrets, objets cadeaux par excellence, devront trouver leur place en librairie.

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