Livres d’art

Dossier Livres d’art : secrets de fab

Olivier Dion

Dossier Livres d’art : secrets de fab

Facilitées par la diffusion des innovations technologiques, la séduction de l’objet livre et l’originalité de sa conception sont devenues des enjeux majeurs pour les éditeurs d’ouvrages d’art et leurs chefs de fabrication confrontés à la mutation du marché et à la chute des ventes, qui se concentrent toujours plus sur les catalogues d’expositions.

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Par Anne-Laure Walter,
Créé le 01.05.2014 à 20h02 ,
Mis à jour le 11.06.2014 à 18h36

Les musiciens du Titanic ont joué jusqu’à ce que le navire sombre. En espérant une issue moins dramatique à l’édition d’art, les équipes dédiées à ce secteur font le pari d’enchanter les clients, d’aller plus loin dans la fabrication pour rivaliser avec le numérique et séduire les acheteurs. Et si le secteur est en crise, on peut se réjouir de la diversité de l’offre : les livres vendus une trentaine d’euros n’ont jamais été aussi beaux et singuliers. Certes Xavier Barral, Steidl ou, dans une veine plus classique Citadelles & Mazenod ou Diane de Selliers ont toujours fait des livres d’exception. Mais la tendance s’étend aujourd’hui à tous les éditeurs d’illustrés. "Cela va faire de très belles vitrines", anticipe Sophie Laporte, l’éditrice des livres d’art chez Flammarion, en contemplant la maquette de l’ouvrage en préparation pour la réouverture du musée Picasso au second semestre. Celui-ci a été pensé avec trois couvertures différentes : verte, rouge ou jaune.

"Les finitions sont autant d’éléments pour qu’un catalogue soit perçu également comme un véritable livre-objet, apte à se démarquer dans les rayons et sur les tables des libraires, ce qui est l’enjeu essentiel et qui fait la fierté de tous." Bernadette Borel, éditions du Centre Pompidou- Photo OLIVIER DION

"Nous soignons les finitions avec un pelliculage soft touch par exemple, des couvertures en relief avec des vernis sélectifs et des fers à dorer, explique Bernadette Borel, chef de fabrication aux éditions du Centre Pompidou. Ce sont autant d’éléments pour qu’un catalogue soit perçu également comme un véritable livre-objet, apte à se démarquer dans les rayons et sur les tables des libraires, ce qui est l’enjeu essentiel et qui fait la fierté de tous." A regarder sur les étals des librairies, aucun livre d’art ne ressemble à un autre. Les livres ne montent pas forcément en gamme, mais ils gagnent en originalité. Aujourd’hui, les couvertures, parfois en carton brut, s’ornent de sérigraphies, de découpes, de marquages, de jaquette en PVC, les éditeurs utilisent plus facilement des matériaux de recouvrement, des papiers de création. Un ou deux pantones sont parfois ajoutés à la traditionnelle quadrichromie pour affiner le rendu. On est bien loin de l’impression quadri pelliculée basique et des catalogues standardisés à la forme figée dans les collections, qui faisaient le gros de la production du rayon il y a à peine dix ans.

"Avant, il y avait beaucoup de livres de facture classique. Aujourd’hui, il faut se différencier face à la concurrence, inventer le petit plus qui fait que le livre se démarque : d’où l’importance de travailler la couverture." Isabelle Loric, RMN- Photo OLIVIER DION

Créer l’envie

Beaucoup d’ouvrages d’art sont pensés par les directeurs artistiques et les chefs de fabrication sur mesure, mais un sur-mesure industrialisé, rendu possible par les mutations de la fabrication et l’évolution des fournisseurs. La sophistication de la fabrication se démocratise sans basculer dans le gadget. L’ouvrage est pensé en intelligence avec la sainte trinité : éditorial, studio graphique et fabrication. "A l’uniformisation a succédé une dérive vers l’atypique et le loufoque, qui a amené le marché des industries graphiques vers la Chine et la Thaïlande, analyse Florent Roger, directeur technique de la fabrication illustrée pour La Martinière. On revient vers le raisonnable et vers les prestataires européens autant que possible. On se dirige plus vers le travail de la jaquette et de la couverture, des livres assez bruts dans leur forme." Si certains façonnages ne peuvent être exécutés qu’en Chine, le recours aux imprimeurs de ce pays n’est plus automatique. D’une part, parce que les coûts de transport ont augmenté, d’autre part parce que l’impression à l’autre bout du monde comporte des risques de retard à la livraison dramatiques pour des ouvrages programmés à l’occasion d’une exposition, et demandent de déterminer tôt les tirages, ce qui constitue un pari supplémentaire sur un marché si instable.

"Sur les 400 images que l’on traite chaque année, il n’y a plus qu’un ou deux ektas. C’est là qu’est la véritable évolution dans la fabrication, la transformation de la photogravure." Saint-Véron Pompée, Paris-Musées- Photo OLIVIER DION

Les industries graphiques européennes ont étoffé leur gamme et le terrain de jeu des chefs de fab s’est élargi. "Les différents papiers, les formats hors normes, se sont démocratisés", note Raphaëlle Pinoncély, la directrice artistique d’Actes Sud. Géraldine Lay, la responsable de la fabrication, abonde dans son sens. "Pour Prenez soin de vous de Sophie Calle, en 2007, nous devions insérer un cahier plus petit et trouver un processus industriel car le tirage était de 10 000 exemplaires, ce qui excluait la solution manuelle. Nous avons travaillé avec l’imprimeur pour mettre en place la technique. Aujourd’hui, ce type de travail est plus répandu, du coup plus facile à demander et moins cher." Il y a encore quelques années, il était difficile de trouver des papiers de création, et les fabricants européens rechignaient à faire des façonnages complexes. Pour Voir la mer de la même Sophie Calle, l’articulation des deux papiers intérieurs avait été très compliquée à concevoir. La situation a changé. "Les imprimeurs d’art doivent réussir à proposer des prestations singulières pour sortir du lot et continuer à travailler, ajoute-t-elle. Tout le monde se casse la tête pour trouver une solution, ce qui n’était pas systématique il y a dix ans."

En ces moments de crise, où le marché est en berne (voir les chiffres p. 63), il faut créer l’envie, déclencher la pulsion d’achat. Surtout que la production se polarise autour des expositions, pour lesquelles on frise la surproduction. Pour l’exposition Braque au Grand Palais ou Frida Kalho à l’Orangerie, treize nouveautés étaient programmées. La rétrospective Dali du Centre Pompidou en a suscité vingt-deux ! Il faut se démarquer dès la couverture pour générer une prise en main. "L’évolution du marché fait que l’on doit de plus en plus concevoir un objet précieux", constate Geneviève Rudolf, directrice éditoriale de Citadelles & Mazenod. Certes le catalogue reste traditionnel, mais elle a développé notamment la collection littéraire illustrée, qui lui autorise quelques incartades, dans la conception de coffrets par exemple. La jeune femme sort avec excitation son cahier d’échantillons de tissus pour montrer la toile Vendôme française choisie pour l’écrin fabriqué en Chine du Marie-Antoinette en 2010. A côté, Cinéma et peinture est protégé par une jaquette en PVC. Sans multiplier les investissements, l’heure étant au budget serré car les tirages moyens sont faibles, il s’agit de trouver "la petite chose qui donne une vraie identité au livre", selon Florent Roger. "On réinvestit l’objet livre, redonnant de la valeur à sa forme", confirme Manon Lenoir, l’éditrice chez Textuel qui a publié l’été dernier Keep your eye on the wall, livre de photographies sur le mur de séparation en Israël proposant, en accordéon, une frise courant sur 176 pages.

Le petit plus qui démarque

De fait, l’offre est plus alléchante. Sophie Laporte, chargée des livres d’art chez Flammarion, se souvient d’un temps où le papier était acheté sur stock et où tout était imprimé sur le même support. "En dix ans, on a vu apparaître chez tous les éditeurs des façonnages nouveaux", observe-t-elle. Pas forcément des révolutions, mais par exemple, pour Caillebotte à Yerres, fin mars, le broché est revisité avec un carton en couverture plus court laissant apparaître une partie d’un tableau. Isabelle Loric, qui est responsable de la fabrication depuis quinze ans à la RMN après avoir officié aux livres d’art de Gallimard, explique : "Avant, il y avait beaucoup de livres de facture classique. Aujourd’hui, il faut se différencier face à la concurrence, inventer le petit plus qui fait que le livre se démarque : d’où l’importance de travailler la couverture."

La première impression est cruciale, surtout que le livre d’art est souvent sous film et donc pas toujours feuilleté par l’acheteur. Les efforts se concentrent donc sur l’aspect extérieur, la couverture ou le coffret. Citadelles & Mazenod a acheté aux Etats-Unis un ouvrage sur les miniatures persanes du XVIe siècle. "Il est de très belle facture et il aurait été dommage de le vendre comme un livre banal", souligne Geneviève Rudolf, qui a demandé à sa graphiste free-lance Ursula Held de concevoir un coffret avec une découpe, ou du moins une vignette en cuvette et du fer à dorer. Chez Hazan, dont le catalogue se prête peu aux paillettes ou aux techniques trop originales, Claire Hostalier, directrice technique fabrication depuis une dizaine d’années, met l’accent sur "la qualité d’impression", même si elle réfrène parfois ses envies de beaux papiers. "Ça me fait plaisir, mais le client lambda ne s’en rend pas forcément compte. Alors, quand il faut faire un arbitrage budgétaire, je fais en priorité attention à la couverture", explique-t-elle.

A la RMN-GP, les catalogues cartonnés ont fait leur grand retour et les couvertures s’animent depuis quelques années. "Nous pouvons nous permettre des pelliculages différents, pailletés ou argent, plastifiés ou encore de la sérigraphie avec des vernis gonflants, car les prix ont baissé", se réjouit la chef de fabrication. Des économies peuvent être faites en réfléchissant en amont avec l’éditeur et le graphiste. "Par exemple, pour les albums de 48 pages qui accompagnent toutes les expositions, le format a été déterminé en fonction d’un paramètre technique, précise Isabelle Loric. Il fallait que l’intégralité de l’ouvrage soit imprimée sur une seule feuille pour qu’il reste rentable."

 

Un côté magique

Car les ouvrages résultent d’allers-retours entre l’éditorial, le studio et la fabrication, ils sont pensés dès le départ par ce trinôme. La forme n’est pas gratuite, elle vient soutenir le travail de l’artiste, renforcer le fond. L’éditorial détermine le propos, le graphiste pense une maquette et voit avec le service de fabrication ce qu’il est possible de faire techniquement et ce qui entre dans le budget. Les éditrices Sophie Laporte ou Geneviève Rudolf admettent aimer les rendez-vous avec les imprimeurs pour découvrir leurs nouvelles offres. Manon Lenoir collectionne dans son bureau des ouvrages achetés uniquement pour leur fabrication, les solutions malines imaginées par les graphistes et fabricants. "On travaille ensemble tout au long du processus, car parfois cinq millimètres de plus sur le format du livre peuvent conduire à 20 ou 30 % de coûts en plus, explique Pascal Lenoir, directeur de la production chez Gallimard. A nous d’anticiper les problèmes et de trouver les solutions. Si on prend trop de risques et que l’on n’est pas capable d’assurer la fabrication industriellement, on se retrouve avec un livre en retard et, pour les catalogues d’exposition, avec un stock qui nous reste sur les bras."

C’est souvent dans ses contraintes que naissent les belles idées de fabrication. Pour le catalogue de l’exposition "Le musée imaginaire d’Henri Langlois", jusqu’au 3 août à la Cinémathèque française à Paris, l’institution voulait un album d’aide à la visite et souhaitait que figure dans le livre un ruban chronologique. En même temps, l’exposition montre le bouillonnement de la pensée du cinéaste, le croisement des références. Flammarion a donc réuni dans un livre, qui rappelle les pochettes cartonnées fermées par un élastique, un livret et le catalogue qui propose une plongée dans le cerveau d’Henri Langlois. Le tirage du livret est plus important pour qu’il puisse aussi être distribué séparément sur le site de l’exposition.

L’édition en fac-similé, à la mode depuis quelques années, offre de plus un terrain de jeu formidable au service de fabrication. "Il y a un côté magique dans la reproduction d’un objet rare, dans la restitution du travail fait par exemple sur le manuscrit de Du côté de chez Swann, avec les paperolles, les petits morceaux de papier collés sur les feuillets initiaux pour apporter des corrections au texte", note Pascal Lenoir qui a aussi travaillé à la publication en octobre dernier du fac-similé du manuscrit du Petit Prince avec ses illustrations d’origine. "Montrer de l’ancien, à l’identique, plaît au public", constate Claire Hostalier, chez Hazan, qui édite le travail de peintres japonais du XVIIIe siècle comme l’an passé Keisai, le maître du dessin abrégé qui réunissait plusieurs livrets. A la RMN-GP aussi, Isabelle Loric a pris beaucoup de plaisir à réaliser Si je mourais là-bas, une édition illustrée par Braque d’un texte de Guillaume Apollinaire, qui a reçu en 2014 le prix du Meilleur livre d’art en termes de fabrication à La Nuit du livre.

Numérique haute-définition

La question de la restitution des couleurs est centrale et c’est au niveau de la photogravure que tout se joue. Ce domaine s’est énormément transformé avec la disparition des ektas et le passage au fichier numérique. "Sur les 400 images que l’on traite chaque année, il n’y a plus qu’un ou deux ektas. C’est là qu’est la véritable évolution dans la fabrication, la transformation de la photogravure, affirme Saint-Véron Pompée, chargé de la fabrication depuis 2002 à Paris-Musées. C’est un gros handicap pour la correction chromatique. Et une bonne impression passe par une bonne photogravure." Le graphiste Richard Medioni, responsable de la conception des ouvrages chez Diane de Selliers, constate une grande évolution dans la qualité des fichiers numériques. Il prépare pour la fin de l’année Saké et riz à partir de rouleaux japonais. "Je me suis retrouvé face à un problème que j’avais déjà rencontré en 2006 pour Alice au pays des merveilles illustré par Pat Andrea. Les photos numériques n’étaient pas de qualité suffisante et je devais faire de nombreux agrandissements." Il y a huit ans, il avait dû passer par des ektas numérisés avec un scanner rotatif, photographier de nouveau les parties à agrandir et sortir une soixantaine de coûteuses épreuves couleur pour établir la bonne colorimétrie. Pour les rouleaux japonais, il n’a fait que onze prises de vue en très haute définition ; il a traité les couleurs, puis fait la soixantaine d’agrandissements qu’il souhaitait. "Cette année, j’ai constaté que les fichiers numériques deviennent presque supérieurs aux ektas. De plus, je peux ajuster moi-même la photogravure sur mon logiciel en me rendant à plusieurs reprises à la BNF pour voir les originaux. C’est un énorme gain de temps et d’argent."

L’autre révolution se situe au niveau de la diversité des papiers, du calque au papier dessin, l’utilisation de papiers différents dans un même ouvrage se répandant. "La plus grosse transformation s’est effectivement faite au niveau des papiers, puisqu’on est en mesure aujourd’hui d’adapter le papier au sujet", constate Isabelle Loric qui a longuement travaillé avec Raymond Depardon sur le choix de la matière support de ses photos pour Un moment si doux, fin 2013. Bernadette Borel, au Centre Pompidou, a dû trouver pour l’impression du catalogue Soulages un papier capable d’éviter le plus possible le maculage, ces tâches liées à une trop forte concentration en couleur. "Pour l’édition de nos catalogues, nous utilisons majoritairement le couché mat ou semi-mat pour la bonne imprimabilité et la reproduction des œuvres, précise-t-elle. Parfois, on choisit un couché très mat, comme pour le catalogue Hantaï, afin de donner la sensation du mat de la toile, ou pour Cartier-Bresson, où nous avons aussi utilisé un couché mat, et nous avons mis sur les photos un vernis brillant afin de symboliser les tirages vintages."

Saint-Véron Pompée, dont l’armoire déborde de classeurs avec toutes les gammes de papiers disponibles, constate aussi qu’il y a "une offre de plus en plus riche en de papiers création ou matière". Pour Le peuple de Paris au XIXe siècle avec le musée Carnavalet, il est allé jusqu’à utiliser neuf papiers différents. Plus généralement, Florent Roger, depuis vingt ans dans la maison, constate "une plus grande recherche dans le traitement des surfaces et une démocratisation de la sérigraphie". Cette technique permet d’imprimer seulement un élément, un peu comme avec un pochoir, et sur plusieurs types de matière des toiles, des photos, du carton brut, des papiers noirs… "La sérigraphie, c’est comme la petite robe noire du livre d’art ; un indispensable indémodable", s’amuse Manon Lenoir. Et l’impression UV, technique arrivée dernièrement qui sèche très vite l’encre avant qu’elle n’entre dans le papier, permet une reproduction plus fine et des couleurs plus vives. Certes, le coffee table books est mort, mais la forme alliée à un fond solide est bien de retour. Et il n’est pas étonnant que les concepts stores, galeries et autres rendez-vous pour hipsters fassent aujourd’hui la part belle à l’édition d’art. <

"La photogravure est le nerf de la guerre"

 

Repreneur de La Nuit du livre, Jacques Taquoi analyse depuis cet observatoire privilégié les évolutions techniques du secteur.

 

Jacques Taquoi.- Photo OLIVIER DION

Les quatre tendances qui montent

 

Jaquette multi-usage, reliure écorchée, jaspage et couverture exclusivement visuelle s’imposent au rayon art.

 

Reliure suisse et album tiré à part pour Le Musée imaginaire d’Henri Langlois chez Flammarion.- Photo O. DION

 

La jaquette se la joue poster

 

A la mode, la jaquette, cette chemise de protection avec généralement deux rabats repliés sur les contre-plats de la couverture, se traite de plus en plus "à l’américaine" : couverture amovible pliée à chacun de ses bords et se dépliant en poster. Exemples : Miquel Barcelo, Terra ignis (Actes Sud, 2013) ; Les non-conformistes, de Susie Parr (Textuel, 2013) ; Soulages (Centre Pompidou, 2011) ; La cime du rêve : les surréalistes et Victor Hugo (Paris-Musées, 2013) ; Félicie de Fauveau (Gallimard-Musée d’Orsay, 2013) ; Autoportraits 1965 : 1-infini, de Roman Opalka (Courtes et longues, 2011).

Reliure népalaise pour Alexandre Dumas cuisinier.- Photo LA MARTINIÈRE

 

La reliure se donne à voir

 

La reliure montre de plus en plus le travail effectué pour relier les cahiers d’un livre. La reliure suisse réunit les cahiers de l’ouvrage en un bloc collé sur la troisième de couverture et enveloppé d’un dos toilé. Elle permet une meilleure prise en main et une ouverture large sans casser la tranche. Exemples : Monet (RMN-GP, 2010), avec une jaquette en PVC imprimée en UV avec un blanc transparent plus vernis ; Misia : reine de Paris (Gallimard/Musée d’Orsay, 2012) ; Isadora Duncan, 1877-1927 (Paris-Musées, 2009) ; Charley Toorop (Paris-Musées, 2010). Plus radicale encore, la reliure népalaise laisse apparaître les points de couture sur le dos de l’ouvrage. Exemples : Alexandre Gauthier, cuisinier : la Grenouillère (La Martinière, avril 2014) ; Altitude, chez l’éditeur allemand Gestalten.

 

Le jaspage réveille la tranche

 

Si elle n’est plus dorée comme autrefois, la tranche s’habille de couleurs, voire de textes qui donnent du style à un livre qui peut rester imprimé sur un papier blanc basique. Exemples : le jaspage noir pour Le cinéma dessiné de Jacques Prévert (Textuel, 2012) ou Great Black Music (Actes Sud/Cité de la musique, mars 2014) ; argent pour Perrier, c’est fou ! (Textuel, 2013) ; violet pour Les manuscrits de Serge Gainsbourg (Textuel, 2011) ; vert gazon pour Guy de Cointet, de Frédéric Paul (Flammarion, 2014) ; fuchsia pour Maurizio Galante : regard transversal (HC, 2010) ; avec une impression de texte pour Patricia Urquiola (Rizzoli) ou Escales autour du monde : étiquettes d’hôtel de la collection Gaston-Louis Vuitton (Xavier Barral, 2012).

 

La couverture ignore le texte

 

Poussant à l’extrême la valorisation de l’image, certains éditeurs déploient en couverture une illustration plein pot, sans titre ni nom d’auteur ou d’éditeur, qui apparaissent alors en quatrième de couverture, sur une jaquette en PVC ou sur un bandeau, au risque que ce dernier se perde. Exemples : Eleven Years de Jen Davis, si peu connue en France que l’éditeur n’a pas jugé utile de mettre son nom en couverture (Textuel, septembre 2014) ; Gunkanjima, l’île cuirassée (Steidl, 2013) ; l’abécédaire de typographie Vu, lu ! (éditions 2024, janvier 2014) ; JH Engström : Sketch of Paris (Aperture, 2013) ; la biographie de Van Gogh par Steven Naifeh et Gregory White Smith, pour laquelle l’autoportrait de couverture est cette fois si connu qu’il se passe d’information (Flammarion, 2013) ; L’homme qui rit ou Les métamorphoses d’un héros (Paris-Musées, avril 2014). <

Chères expos

 

Les catalogues d’expositions permettent aux éditeurs d’art d’éviter la noyade.

 

"En cinq ans, les ventes de livres illustrés ont plongé de 50 %. Nous assistons à une réelle rupture, qui n’a plus rien à voir avec la conjoncture." Philippe Monsel, Le Cercle d’art- Photo OLIVIER DION

En 2013 encore, la meilleure vente du rayon art est liée à une exposition. Chagall, une vie entre guerre et paix, un album souple de 46 pages à 10 euros, accompagnait l’exposition du musée du Luxembourg, à Paris. Au-delà, sur les 25 meilleures ventes du rayon d’art en 2013 d’après notre palmarès Ipsos/ Livres Hebdo (1), seul Vert : histoire d’une couleur de Michel Pastoureau (Seuil) n’est pas lié à un accrochage. Le podium reste monopolisé par les musées puisque derrière l’album Chagall entre guerre et paix (50 000 exemplaires) publié par la RMN-GP, se trouvent Braque : l’expo (22 500 ventes) chez le même éditeur, et l’album Dali (22 000) édité par le Centre Pompidou.

Les éditeurs d’art traditionnels se polarisent de plus en plus sur ce seul secteur en expansion des catalogues d’expositions, se livrant une féroce compétition pour coéditer avec les musées. En dix ans, la production muséale a doublé, de 309 nouveaux titres en 2003 à 587 en 2013. "Le succès des expositions traduit le besoin de communier dans l’admiration, analyse Philippe Monsel au Cercle d’art. L’émotion déjà forte pendant l’exposition se transforme en pulsion d’achat à la sortie, avec le désir de conserver un souvenir." La belle programmation muséale de l’année à venir (voir encadré) devrait continuer de porter la production éditoriale.

Alors que sa production a augmenté de près de 8 % en 2013 à 5 630 nouveautés et nouvelles éditions d’après nos données Livres Hebdo/Electre, le secteur du beau livre (dont près de 40 % des ventes sont des livres d’art) a vu son chiffre d’affaires baisser simultanément de 3,5 % (source : Livres Hebdo/I+C). Son activité recule plus que la moyenne du marché, à - 1 %. Au dernier trimestre de l’année, crucial dans ce secteur, la baisse des ventes atteint même 5,5 %, faisant de ce rayon la lanterne rouge de la librairie. "En cinq ans, les ventes de livres illustrés ont plongé de 50 %. Nous assistons à une réelle rupture, qui n’a plus rien à voir avec la conjoncture, poursuit Philippe Monsel. Avant, le livre imprimé était le moyen privilégié pour faire circuler une œuvre. Aujourd’hui, l’image est omniprésente, accessible immédiatement en une recherche Google."

A côté des catalogues, d’autres petits segments parviennent à résister, comme le livre d’artiste, mais les éditeurs ne peuvent plus compter sur les ventes au public et cherchent des partenaires financiers. "La mode et le luxe insufflent de l’argent dans le secteur de l’édition ; nous faisons tout pour favoriser ces mécénats en nouant des partenariats avec leurs acteurs, confirme Pascale Le Thorel, présidente du groupe art au Syndicat national de l’édition. Les financements mixtes pénètrent tous les domaines de la culture, le livre ne doit pas passer à côté." <

(1) Ventes isolées dans le classement Beaux livres dans LH 982, du 24.1.2014, p. 28.

Le livre d’art en chiffres


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