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Dossier Rentrée jeunesse : dystopie mon amie

Au Salon du livre de jeunesse à Montreuil en 2015. - Photo Olivier Dion

Dossier Rentrée jeunesse : dystopie mon amie

Comme son aîné, le roman pour la jeunesse se fait miroir de notre monde menacé de toutes parts. Il broie du noir tandis que les fondamentaux de la littérature adolescente, tels les premiers émois amoureux, reculent au profit de la dystopie. Seuls les romans et les albums pour les plus petits continuent de voir la vie en rose.

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Par Fabienne Jacob,
Créé le 09.09.2016 à 01h30 ,
Mis à jour le 09.09.2016 à 10h15

Comme une rentrée littéraire avec ses poids lourds incontournables, le cru des fictions automnales pour la jeunesse possède ses figures imposées. Impossible en cette rentrée de manquer les titres à gros tirage liés pour la plupart à l’actualité cinématographique, telle la réédition du BGG de Roald Dahl, adapté à l’écran par Steven Spielberg. Son éditeur français, Gallimard Jeunesse, célébrera le centenaire de la naissance du génial auteur anglais. Par ailleurs, chez le même éditeur, Harry Potter sera une fois de plus sous les feux de la rampe. De son côté, Bayard parie sur le film de Tim Burton pour rééditer Miss Peregrine et les enfants particuliers de Ransom Riggs. Mais ces ouvrages aux thèmes très ancrés dans l’imaginaire des jeunes lecteurs font figure d’exception dans une production de romans adolescents qui semble de plus en plus teintée de noir, marquée par les menaces et la violence qui cernent notre monde.

Apocalypse now

Depuis quelques années déjà, la dystopie a le vent en poupe. En cette rentrée, encore quantité de romans jeunesse explorent sa veine radicale et sombre. Le très attendu U4. Contagion (tirage : 40 000 exemplaires) est un recueil de nouvelles qui fait suite au retentissant succès des quatre tomes de U4 déjà parus, qui décrivent une humanité décimée par un virus auquel seuls quelques adolescents ont survécu. Pour ses éditeurs Nathan et Syros, on ne change pas une équipe qui gagne : cette fois, c’est l’ensemble des auteurs de la série, Yves Grevet, Florence Hinckel, Carole Trébor et Vincent Villeminot, qui signent le recueil. Les fans de U4 - et ils sont nombreux - devront attendre le 3 novembre pour la parution de ce nouvel opus. Autre épidémie chez Gulf Stream, avec un premier roman haletant et efficace, L’éveil de Jean-Baptiste de Panafieu, où des animaux affectés par un virus s’éveillent à la conscience. La fin du monde sert de cadre au Jardin des épitaphes de Taï-Marc Le Thanh (Didier Jeunesse), où l’on croise mutants et zombies en tout genre, mais avec le sourire. Du côté de Magnard Jeunesse, le roman Encore faut-il rester vivants d’Anne Ferrier raconte, lui, la survie d’adolescents dans un monde post-apocalyptique. Quant à l’ouvrage Les pluies chez Fleurus, il rappellera un scénario catastrophe qu’une partie de la France a connu ce printemps lors de l’épisode des pluies diluviennes. Ce nouveau roman de Vincent Villeminot, auteur décidément prolixe en cette rentrée, met en scène la séparation de deux jeunes gens sur fond de villes inondées et évacuées.

Corruption, cynisme politico-financier

Le malheur peut être causé par la planète détraquée, mais aussi par des esprits corrompus et cupides. Ainsi le cynisme politico-financier sert-il de toile de fond à une trilogie dont Hachette Jeunesse attend beaucoup et dont les trois tomes paraissent en même temps le 12 octobre, Bleu blanc sang de Bertrand Puard, une enquête menée tambour battant dans les milieux de l’art, de la finance et de la politique. Dans Golden valley de Gaël Aymon (Gallimard Jeunesse), le paysage birman propice aux premiers émois sensuels a un envers du décor, celui des magouilles immobilières. Quant à Genération K (Rouergue), la nouvelle série de Marine Carteron après le succès des Autodafeurs, elle ne redore pas franchement le blason des firmes pharmaceutiques. Trois adolescents ont en commun un ADN singulier qui leur confère des pouvoirs extraordinaires attisant la convoitise d’organismes un tantinet cyniques. L’univers de Cell.7 de Kerry Drewery (Hachette Jeunesse) fait encore plus froid dans le dos. En matière de télé-réalité, où va-t-on s’arrêter ? Le roman va jusqu’à mettre en scène une émission de téléréalité qui décide du sort de prisonniers parqués dans des couloirs de la mort.

Guerre, terrorisme, émigration

Malgré son actualité brûlante, Daech est rarement présent dans les romans jeunesse. Seuls deux titres s’y intéressent. Commando Adams, le dix-septième et dernier tome de la série culte Cherub de Robert Muchamore (Casterman), raconte une mission sous haute tension au cœur du conflit turco-syrien. Plus près de nous, Et ses yeux se sont fermés de Patrick Bard (Syros) est l’histoire de Maëlle, une adolescente française devenue Ayat, victime d’un rapt mental après être tombée amoureuse sur les réseaux sociaux. A L’Ecole des loisirs, la prise de pouvoir au Cambodge par les Khmers rouges sert de terreau à Sothik (Marie Desplechin et Sothik Hok). Ces guerres entraînent souvent l’émigration, autre thème exploré par la production de la rentrée. Destiné aux jeunes lecteurs (10 ans), Le petit prince de Calais de Pascal Teulade (La Joie de lire) met en scène un jeune Erythréen en prise avec la "Jungle" de Calais. Pour des notes plus optimistes, il faudra lorgner du côté de Syros qui publie Macha ou l’évasion de Jérôme Leroy sur un sujet fort original : une centenaire vivant dans une ZAD forestière parle aux jeunes d’un monde qu’elle est seule à avoir connu, le monde de la Fin, où le profit régnait en maître. Un roman qui laisse entrevoir des alternatives aux désarrois actuels, crise économique, écologique, et on en passe… Dans un autre registre, l’inclassable D’ici là… un genre d’utopie, de Christian Bruel, illustré par Katy Couprie (Thierry Magnier), se situe entre SF, fantasy, essai et roman engagé.

Famille, identité, genre, deuil et culpabilité

A l’âge où on habite encore bien souvent chez papa-maman, la famille est centrale. Magnard Jeunesse place celle-ci en avant. Sur trois titres de la nouvelle collection "M" lancée en avril dernier, deux traitent de ce thème, dont Comme frère et sœur de Clémence Guinot qui raconte une histoire d’amour dans une famille recomposée. De toutes les familles présentes dans les romans de la rentrée, la plus sympathique est sans doute celle de la nouvelle série La famille royale de Christophe Mauri chez Gallimard Jeunesse (à partir de 7 ans) qui raconte les aventures drolatiques et trépidantes d’une famille de souverains qui détourne avec humour le protocole afin de vivre comme les autres. Hélas, toutes les familles ne sont pas aussi avenantes. Chez Actes Sud Junior, le héros de Mauvais joueurs de Julien Dufresne-Lamy se cherche et se trouve entre père macho et mère fragile, dans un beau roman sur l’identité et le genre. Thématique également explorée en cette rentrée par Albin Michel Jeunesse, qui publie Le secret de Grayson d’Ami Polonsky dans lequel un jeune homme s’épanouit enfin en jouant au théâtre le rôle d’une femme, la déesse grecque Perséphone.

La famille peut être le cadre d’expériences extrêmes, comme celle du deuil, au cœur du superbe Récif de la Finlandaise Seita Vuorela(Actes Sud) qui déploie son imaginaire puissant, poétique et ténébreux dans ce gros pavé. Au Rouergue, deuil rime avec résilience dans le beau La vitesse sur la peau de Fanny Chiarello.

Les histoires d’amour finissent mal en général

"Ah ! que le temps vienne/Où les cœurs s’éprennent", implorait Arthur Rimbaud. L’adolescence, comme chacun sait, est l’âge des premiers émois sensuels. Un grand classique de la littérature adolescente qui peut être exploré avec une touche de thriller, comme dans Le Copain de la fille du tueur de Vincent Villeminot (Nathan) et dans Golden valley (Gallimard Jeunesse) ou alors sous l’angle de la fantasy noire historique comme dans Lady Helen d’Alison Goodman (Gallimard Jeunesse). L’amour peut aussi finir mal, très mal, comme dans L’échappée d’Allan Stratton (Milan) où une jeune fille manipulée par son petit ami entame une véritable descente aux enfers, ou bien encore dans Baby Bad Trip de Lisa Drakeford (Milan) qui raconte une grossesse non désirée. Même si les temps sont durs, certains romans traitent de l’amour avec légèreté et fraîcheur comme par exemple dans Une semaine, 7 lundis de Jessica Brody (Gallimard Jeunesse), délicieuse comédie où une jeune fille plaquée par son copain décide de survivre dans la bonne humeur. J

26 temps forts de la rentrée romanesque jeunesse

Nous avons retenus les titres dont le tirage initial est supérieur à 15 000 exemplaires.

25 août
Journal d’un noob, t. 3, de Cube Kid (404 éditions).
Et mes yeux se sont fermés de Patrick Bard (Syros).

26 août
"1,2,3 je lis", nouvelle collection chez Fleurus.

1er septembre
Rebelle du désert d’Alwyn Hamilton (PKJ).

7 septembre
DC Super hero girls de Lisa Yee, une nouvelle série, licence DC Comics, arrive chez Bayard avec le t. 1, Wonder woman.

8 septembre
Les royaumes de feu de Tui T. Sutherland, t. 5, La Nuit la plus claire (Gallimard Jeunesse).
Le copain de la fille du tueur de Vincent Villeminot (Nathan).

9 septembre
Les pluies, nouveau roman de Vincent Villeminot (Fleurus).

14 septembre
Illuminae de Jay Kristoff et Amie Kaufman, le best-seller young adult dont les droits ont été achetés par Brad Pitt.

15 septembre
Le sacre des trois de J. D. Rinehart (PKJ).

21 septembre
Cell.7 de Kerry Drewery (Hachette Jeunesse).
Journal de Mia, série de Meg Cabot (Hachette Jeunesse) avec refonte et relance du Journal d’une princesse qui s’était vendu au total à deux millions d’exemplaires. Suivra Le carnet d’Allie, t. 7.

28 septembre
Les travaux d’Apollon : L’oracle caché de Rick Riordan (Albin Michel).
Les enfants les pires du monde de David Walliams et Tony Ross (Albin Michel).

29 septembre
Lancement aux Livres du Dragon d’or de la licence Yo-kai watch, déjà un dessin animé, un jeu vidéo et le manga bientôt chez Kazé.

3 octobre
Coup d’envoi des publications Harry Potter avec 18 titres annoncés chez Gallimard Jeunesse dont le roman adapté du film à venir Les animaux fantastiques, Harry Potter et l’enfant maudit (adapté d’une pièce de théâtre), Harry Potter et la chambre des secrets (version illustrée), quatre livres kit collectors avec maquettes issues des films de la saga.

5 octobre
Sortie dans les salles de Miss Peregrine et les enfants particuliers de Tim Burton. Bayard réédite le premier tome de la série de Ransom Riggs avec l’affiche du film et publie Le journal de Miss Peregrine et les enfants particuliers et Les contes des enfants particuliers (illustrations Andrew Davidson).
Les beaux gosses de l’Apocalypse de Max Brallier au nouveau label de Milan, Grafiteen.

12 octobre
Bleu blanc sang, trilogie de Bertrand Puard (Hachette Jeunesse).
L’alchimiste de Paulo Coelho (Flammarion Jeunesse).

13 octobre
Journal d’un dégonflé, t. 10, de Jeff Kinney (Seuil), 1,7 million d’exemplaires vendus en tout.

19 octobre
Joyeux anniversaire Chien Pourri ! de Colas Gutman et Marc Boutavant (L’Ecole des loisirs).

27 octobre
Deuxième salve des rééditions de Roald Dahl (20 titres en tout chez Gallimard Jeunesse) après la première en septembre qui comprenait le coffret de cinq romans.

2 novembre
Commando Adams, le volume 17 de Cherub de Robert Muchamore (Casterman), série qui atteint les 3 millions d’exemplaires vendus au total.

3 novembre
U4. Contagion d’Yves Grevet, Florence Hinckel, Carole Trébor et Vincent Villeminot (coédition Nathan-Syros).

23 novembre
Assassin’s creed de Matthew J. Kirby (Bayard), une nouvelle série adaptée de la licence du jeu vidéo Ubisoft. T. 1 : Les derniers descendants.

Des albums tout-sourire

 

Sans être épargnés, les plus jeunes restent un peu protégés de la noirceur du monde avec, en cette rentrée, une nouvelle moisson de chatoyants albums.

 

Planche extraite d’Un trou, c’est pour creuser, illustré par Maurice Sendak (Memo).- Photo MAURICE SENDAK/MEMO

Signe des temps meurtris : les jeunes esprits ont tout particulièrement besoin de mettre des mots sur l’indicible. Certains éditeurs n’hésitent plus à parler terrorisme et guerre aux 7-10 ans. En octobre, Castor Poche (Flammarion) rendra un hommage vibrant aux victimes du terrorisme de 2015 dans un conte en forme de parabole, Le village aux mille roses de Philippe Nessmann. Ces initiatives restent toutefois isolées : la plupart du temps, la fiction pour les jeunes lecteurs revendique fantaisie et humour, malgré un contexte difficile. A preuve, l’album Le président du monde de Germano Zullo et Albertine (La Joie de lire) où le Président ne sait plus quoi faire de ce monde qui va de guingois. Comme d’habitude, il appelle sa mère qui lui conseille de ne surtout rien faire et de venir manger le gigot avant qu’il soit froid. Matière à réflexion pour nos gouvernants.

Comme tous les ans, l’album jeunesse peut faire la roue du paon, tant ses pages sont colorées et créatives. Les éditeurs, petits et grands, rivalisent d’originalité. Sarbacane mise sur trois virtuoses de l’album jeunesse : Rebecca Dautremer, Max Ducos et Pierre Créac’h. Memo édite, entre autres pépites, l’excellent Un trou, c’est pour creuser, illustré par Maurice Sendak. On découvrira la réjouissante nouvelle série pour les 3-6 ans à paraître le 18 octobre au Seuil La vie de Smisse d’Isabelle Chavigny, Yvan Grinberg et Marie Caudry, ou Le joyeux abécédaire de Maria Jalibert (Didier Jeunesse) qui réinvente avec humour, fantaisie et poésie les codes du genre. La plasticienne utilise de petits jouets recyclés pour l’illustration et commet de drôles de textes comme "B comme Balèze qui porte un brontosaure".

L’écologie poursuit sa belle percée dans l’album jeunesse et les arbres apparaissent comme les grands bien-aimés de la rentrée avec, par exemple, la nouvelle collection "A l’abri" (du saule, du sapin…) aux éditions du Ricochet, ou encore des albums comme le magnifique Les souvenirs du grand chêne (Milan) ou Un arbre pour ami (Gallimard Jeunesse).

Mettre un nom sur un sentiment

Les contes, eux, se comptent par dizaines. Quelquefois ils sont originaires d’horizons lointains, contes berbères chez Didier Jeunesse, contes du Burkina Faso chez Glénat Jeunesse ou du Chili chez Actes Sud Junior. D’autres fois ils sont bien de chez nous, mais méconnaissables car détournés. Dans le genre, le plus drôle est sans doute ce Petit chaperon belge de Camille de Cussac (Marcel & Joachim, voir notre avant-critique dans LH 1094 du 26/8/2016, p. 64) qui part ce tantôt de la baraque à frites pour rejoindre son grand-père. Dans le registre des langues régionales, on pourra lire un Mini-Loup de Philippe Matter (Hachette Jeunesse) en version alsacienne.

Dep uis quelque temps déjà, les auteurs d’albums n’hésitent plus à défricher des sujets restés tabous. En cette rentrée, si l’on voulait donner la palme à l’album le plus iconoclaste, ce serait sans hésiter à la réédition de Léon l’étron (Thierry Magnier), dans lequel le dessinateur Killoffer, dans une dominante de teintes marron assez réalistes, campe un excrément au demeurant plutôt attachant. On appréciera l’humour du sous-titre : "Un livre très marron en cacamaïeu". Qui dit mieux ?

Puisqu’on est au stade anal, on signalera l’influence grandissante des psychologues sur les livres jeunesse. De plus en plus d’éditeurs font appel à leurs conseils en amont de la parution. Ces experts ne manquent pas de rappeler à quel point il est important pour un enfant de mettre un nom sur un sentiment, quel qu’il soit. Sentiments auxquels rendent hommage deux albums, l’un, superbe, chez Gautier-Languereau, Au fil des émotions de Cristina Nuñez Pereira et Rafael Romero Valcárcel, l’autre aux éditions du Ricochet, Les Emotions, ça chahute un peu, beaucoup, énormément de Rhéa Dufresne et Sébastien Chebret.

Dix albums remarquables

 

Des titres se démarquent dans la production d’albums par leur sujet, leur graphisme et leur originalité de traitement. Petite sélection, forcément subjective.

 

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