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Dossier Roman policier : le polar mutant

Olivier Dion

Dossier Roman policier : le polar mutant

Sur fond de bonnes ventes concentrées sur un petit nombre d’auteurs, le polar entame sa mue en s’hybridant. Les éditeurs vont chercher du sang neuf dans des genres différents, les pays étrangers, les séries télévisées, tout en misant sur un renouveau du polar français.

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Par Claude Combet,
Créé le 18.03.2016 à 15h00

Deux mille quinze a bien été une année polar. Temps glaciaires de Fred Vargas (Flammarion), Millénium 4 de David Lagercrantz (Actes Sud) et La fille du train de Paula Hawkins (Sonatine) ont dépassé les 400 000 ventes chacun et totalisent 1,2 million de ventes à eux trois. Ils ont porté le marché du livre et, bien sûr, le rayon polar qui, bien qu’en bonne santé, reste en quête d’identité et de renouvellement pour s’assurer un avenir et endiguer la concentration des ventes sur quelques titres.

Selon GFK, le marché du polar, avec 17,7 millions de volumes vendus en 2015, enregistre une hausse de 4,6 % en volume et de 10,5 % en valeur. "Le marché se durcit. Il y a une hyperconcentration des ventes et un écart plus grand entre les best-sellers et les autres", nuance Léonore Dauzier, responsable commerciale de Sonatine, qui ajoute : "Les signatures connues comme R. J. Ellory, Jacques Expert, l’auteur anonyme du Livre sans nom, ou Steven J. Watson réalisent de beaux scores, mais c’est plus difficile pour les auteurs moins connus. Le succès de La fille du train est d’autant plus remarquable qu’il s’agit d’un premier roman." Manuel Tricoteaux, responsable d’"Actes noirs", constate aussi qu’"il y a un seuil difficile à franchir : entre 10 000 et 50 000 exemplaires ; beaucoup ne le franchissent pas". Les très bons résultats de quelques titres font cependant des envieux et le rayon attire toujours plus d’acteurs. Cette année encore verra arriver de nouvelles collections comme "Hugo thriller" ou "Denoël effroi", tandis que "Rivages/Noir" fête ses 30 ans (1). Ce qui devrait peser à nouveau sur une production relativement stable - 1903 nouveaux titres en 2015 contre 1 909 en 2014.

A la croisée des genres

Le polar se caractérise désormais par sa grande variété de formes. Si certains restent attachés au thriller américain, la vague suédoise ne faiblit pas et les éditeurs vont chercher dans tous les pays et dans toutes les catégories. Les Presses de la Cité font voisiner le roman noir de Richard Price et celui psychologique d’Elizabeth George. L’éditeur annonce un auteur japonais, Kazuaki Takano, pour avril, le premier roman d’une criminologue suédoise, Jenny Rogneby (mai), et une série victorienne d’une auteure allemande qui écrit en anglais, Annelie Wendeberg (mai). Albin Michel vient de lancer la romancière sud-africaine Michèle Rowe, ex-militante antiapartheid. Et Rivage annonce Marli Roode, du même pays. Robert Pépin chez Calmann-Lévy annonce un auteur argentin, Federico Axat, et pour 2017 un auteur taïwanais.

"Il est plus facile, grâce à l’intrigue forte d’un thriller, d’entreprendre une critique de la société. Les auteurs peuvent aller dans le thriller tout en continuant à traiter les sujets qui leur tiennent à cœur." Valérie Miguel-Kraak, Fleuve édition- Photo OLIVIER DION

En face, les auteurs français s’affirment. Souvent cantonnés au roman noir, ils œuvrent aussi désormais dans tous les genres. La "Série noire", qui a fêté ses 70 ans en 2015, poursuit sa politique d’auteurs made in France, aux côtés de Caryl Férey et de DOA, avec Patrick Delperdange, Thomas Bronnec, Benoît Minville, Sébastien Raizer. "Le roman noir a sa raison d’être dans une période perturbée. Le climat politique et social, les attentats amènent les auteurs à regarder ce qui se passe en France", analyse Aurélien Masson, qui dirige la collection. Chez Rivage, Philippe Huet traite du Havre en 1936. Bernard Minier et Guillaume Musso (revenu au thriller avec un "cold case") font les bonnes ventes de XO. Jacques Expert, celles de Sonatine et du Livre de poche. Le Passage vient de faire paraître Les rapaces de Thierry Brun. "Il est plus facile, grâce à l’intrigue forte d’un thriller, d’entreprendre une critique de la société. Les auteurs peuvent aller dans le thriller tout en continuant à traiter les sujets qui leur tiennent à cœur", commente Valérie Miguel-Kraak, directrice éditoriale de Fleuve éditions, qui développe le polar français de son catalogue avec Marie Neuser, Paul Colize et Patrick Senécal. 10/18 mise sur Thierry Bourcy, François Soulié et, en 2017, Michael Mansion. Fleuve éditions nous fait découvrir en mai Christian Carayon et Louise Mey. Pour Stéfanie Delestré, éditrice des auteurs de polars français d’Albin Michel, le roman policier hexagonal a aussi la capacité à se renouveler. "Je publie cette année le deuxième ou le troisième romans des auteurs que j’ai découverts comme Ian Manook, Julie Ewa, Frédéric Andréi, Sophie Hénaff", souligne-t-elle. Certains Français osent même s’attaquer à des monuments, comme Benoît Abtey et Pierre Deschodt qui se sont lancés dans Les nouvelles aventures d’Arsène Lupin (XO).

"Le succès passe par les auteurs français, mais il faut les construire, c’est un travail de longue haleine", confirme Caroline Lamoulie, responsable des polars de J’ai lu et éditrice d’Ombres noires où elle publie notamment Marin Ledun, Alexis Aubenque et Danielle Thiéry. "Les auteurs français sont là, ils sont reconnus par la presse, défendus par les libraires et reconnus par le petit cercle d’amateurs de polars mais les ventes ne suivent pas. La difficulté est de les faire découvrir aux lecteurs. C’est plus rapide pour les auteurs étrangers", poursuit-elle.

Alors certains choisissent des niches, à la croisée des genres. Avec des Des nœuds d’acier (Denoël), Sandrine Collette a inauguré en 2013 le noir rural. Depuis, Franck Bouysse s’est fait remarquer avec Grossir le ciel (2014) et Plateau (2016) dans la collection "Territori" de La Manufacture de livres. Tandis que le libraire et auteur jeunesse Benoît Minville a signé Rural noir en février dans la "Série noire".

Le polar est en effet protéiforme. Aux côtés du roman noir, on voit revenir en force l’espionnage, à l’image de James Bond repris par Anthony Horowitz. A la suite des Apparences de Gillian Flynn, adapté au cinéma sous le titre Gone girl, La fille du train marque la redécouverte d’un genre littéraire, celui du "unreliable narrator", le narrateur non fiable, qui fait douter le lecteur de la réalité des faits racontés, jusqu’à la surprise finale. C’est le cas notamment avec la Méthode 15-33 de Shannon Kirk chez Denoël.

L’autre tendance est celle du "true crime", les histoires vraies traitées sous forme de documents ou de fiction. Le Serpent à plumes relance "Serpent noir" avec ce genre sous la direction du journaliste Matthieu Suc, spécialiste du fait divers, Inculte prépare un livre sur des fictions signées par des auteurs de "littérature blanche" sur des faits divers et Nouveau Monde lance le 24 mars une revue consacrée à l’investigation, aux affaires judiciaires et au polar : Sang-froid. Bragelonne va publier les livres de la série Making a murderer qui vient d’être mise en production par la télévision américaine, l’histoire d’un homme qui a passé dix-huit ans en prison pour un crime qu’il n’a pas commis ; et Milady La compassion du diable de Fabio M. Mitchelli, inspirée de l’histoire du cannibale de Milwaukee qui a tué 17 personnes.

Frontières poreuses

Depuis plusieurs années cependant, le polar brouille les frontières, et flirte avec d’autres genres comme le western. En mai, 10/18 lance avec La fille au revolver d’Amy Stewart, une série américaine dont l’héroïne est la première femme shérif des Etats-Unis en 1914, et en annonce une autre pour l’été 2017. Denoël publie en avril Là où naissent les ombres, premier roman de Colin Winnette, "un western à la Tarentino" avec deux chasseurs de primes pour héros. D’autres s’hybrident avec le rayon érotique à l’instar du thriller Maestra de L. S. Hilton, lancé le 10 mars par Laffont.

Le polar mord aussi sur le fantastique comme Les Brillants de Marcus Sakey en "Série noire". Où mettre les histoires de fantômes, de zombies, de vampires, de morts vivants et autres créatures de l’imaginaire ? Gallmeister annonce du "southern gothic" pour l’été avec l’Américain Alex Taylor. "Je publie en mai un auteur espagnol, Miguel Santiago, dans la lignée de Stephen King", annonce Manuel Tricoteaux chez Actes Sud. Sonatine a répondu avec le label Super 8 éditions, dont certains textes sont repris en 10/18, et "réimprimés plusieurs fois", comme Dernier meurtre avant la fin du monde. Denoël fait de même ce printemps avec "Denoël effroi". Fleuve éditions lance "Outre-fleuve" avec des thrillers horrifiques et autres titres fantastiques.

"Le polar a toujours absorbé d’autres genres. C’est un mauvais genre qui ne rentre pas dans le radar de l’institution littéraire. Les auteurs de polars ont toujours eu cette liberté de suivre leurs envies." Marie-Anne Lacoma, Gallmeister- Photo OLIVIER DION

Les frontières sont devenues poreuses et le polar s’immisce dans les rentrées littéraires. Les auteurs qui rêvaient de la littérature dite blanche reviennent parfois au polar, comme Pierre Lemaitre avec Trois jours et une vie, paru début mars chez Albin Michel. Certains titres parus en "blanche" auraient pu se retrouver en polars comme La vérité sur l’affaire Harry Quebert de Joël Dicker, Intérieur nuit de Marisha Pessl, Le diable, tout le temps de Donald Ray Pollock ou même certains romans de Jean Echenoz. "Trilogie de l’emprise de Marc Dugain est un polar sociopolitique, mais il n’a jamais été classé en polar et est paru dans la "Blanche", il est lu par des gens qui ne lisent pas de polars. A l’inverse, je publie des livres qui sont officiellement des polars mais qui dans la réalité n’en sont pas", souligne Julie Maillard, responsable de "Folio policier". Silo de Hugh Howey "aurait pu se trouver en policier si la collection "Exofictions" n’avait pas existé", précise Manuel Tricoteaux, directeur d’"Actes noirs". Parallèlement, pour les 10 ans de la collection en mai, il publiera en "Actes noirs" Crime et châtiment de Dostoïevski dans la traduction d’André Markowicz.

"Les catégories sont artificielles. Les lecteurs cherchent avant tout des émotions, ils sont des dévoreurs de livres et n’ont plus peur de découvrir. Ils n’ont pas besoin que l’auteur soit connu pour acheter." Lilas Seewald, Bragelonne et Milady- Photo OLIVIER DION

"Le polar a toujours absorbé d’autres genres. C’est un mauvais genre qui ne rentre pas dans le radar de l’institution littéraire. Les auteurs de polars ont toujours eu cette liberté de suivre leurs envies", commente Marie-Anne Lacoma, éditrice chez Gallmeister. "Un titre comme Block 46 n’est pas que du thriller, il propose aussi un regard historique. Les catégories sont artificielles. Les lecteurs cherchent avant tout des émotions, ils sont des dévoreurs de livres et n’ont plus peur de découvrir. Ils n’ont pas besoin que l’auteur soit connu pour acheter", souligne Lilas Seewald, responsable des thrillers de Bragelonne et de Milady. "Le public change à une vitesse folle. Le polar reste un genre populaire lu par des lecteurs qui veulent avant tout être surpris", renchérit Glenn Tavennec, qui dirige "La bête noire" chez Laffont. Mieux, il est curieux et se montre ouvert à la nouveauté, "accueillant les nouvelles séries en 10/18 de John Lawton, Ariana Franklin, Jean d’Aillon", selon Carine Fannius, directrice éditoriale de Pocket et de 10/18.

"Le polar est en vraie mutation", confirme Caroline Lamoulie, responsable des policiers de J’ai lu et d’Ombres noires. Il lorgne du côté des séries télévisées, dont il emprunte les codes : du "page-turner" (le "cliffhanger" de l’épisode de série), le côté addictif, l’écriture visuelle et cinématographique. "Hugo thriller" s’appuie d’ailleurs sur la télévision pour son lancement et présente les titres avec des références aux séries : "Si vous aimez Profilage, Dexter, Skins, vous aimerez Wonderland." "Les auteurs de "Néonoir" sont en phase avec leur temps, nourris du cinéma de Tarentino, de séries télévisées, de jeux vidéo", renchérit Marie-Anne Lacoma (Gallmeister).

Le poids du poche

"Le thriller a tué le polar, qui est devenu une littérature de divertissement. Les lecteurs consomment les livres comme les séries. Ils n’ont pas forcement envie de textes très littéraires. L’exigence de qualité disparaît et les bons auteurs se vendent moins qu’avant. Le bon petit polar de qualité qu’on déniche n’a plus la même chance qu’avant d’y arriver", se désole Marie-Caroline Aubert, qui réfléchit à l’orientation de la collection qu’elle dirige au Seuil. "Il faut inventer, comprendre que le genre a muté et s’ouvre à d’autres genres, le western, le rural, le fantastique, l’érotique. Il faut accepter cette mixité et la développer", ajoute-t-elle. "Il faut être très très sélectif. On est repéré grâce à un succès, ce qui fut notre cas avec le premier livre de Franck Thilliez", confirme Yann Briand, éditeur du Passage, qui se limite à deux ou trois titres par an. "Il ne faut pas succomber à la tentation de l’offre. Je prends soin d’avoir des auteurs dont les univers ne se cannibalisent pas. Le plus dur est de faire lire", confirme Valérie Miguel-Kraak, qui laisse du temps à ses auteurs pour écrire et occupe le terrain avec une novela, un titre de la back-list comme pour Paul Colize.

"Il faut proposer beaucoup de choses différentes, mais le marché n’est pas morose. Le lecteur est curieux et érudit." Elsa Delachair, Points- Photo OLIVIER DION

Les éditeurs de polar qui vendent le plus sont les professionnels du poche. Plus des deux tiers des ventes se font dans ce format. "Le marché du polar est hyperdynamique. Le genre se diversifie tant du côté des éditeurs de grand format, du plus petit au plus gros", souligne Carine Fannius (Pocket et 10/18). "Il faut proposer beaucoup de choses différentes, mais le marché n’est pas morose. Le lecteur est curieux et érudit. Dror Mishani, Tana French, Valentin Musso trouvent leur public", s’enthousiasme Elsa Delachair, éditrice des policiers pour Points, qui vient aussi de publier les auteurs français Alexis Ragougneau, Hervé Le Corre, Antonin Varenne et Jean-Bernard Pouy. "Il faut être vigilant. On se bat sur tous les terrains et il faut privilégier tous les genres", confirme Constance Trapenard, responsable du polar au Livre de poche. "Le poche a contribué à faire connaître les titres de Super 8 éditions comme L’obsession, un thriller fantastique, ou Au service surnaturel de Sa Majesté", ajoute Léonore Dauzier. Le cercle est vertueux. "C’est là qu’est le marché et on construit un auteur avec le poche", confirme Lilas Seewald. Mais les poches nécessitent un investissement permanent, des campagnes marketing et promotionnelles, des campagnes d’affichage couplées avec les grands formats, des relookages (notamment pour les classiques comme Agatha Christie, Georges Simenon et Patricia Highsmith au Livre de poche), des animations comme les "murder party" au Furet du nord pour Pocket, qui font fureur et "permettent aux lecteurs de rencontrer leurs auteurs". Pour mettre en avant certains titres, les collections systématisent même les prix des lecteurs.

Tandis que la diffusion d’une adaptation à la télévision sert de puissant levier. "La série adaptée de Une chance de trop d’Harlan Coben a relancé les ventes en Pocket de façon phénoménale", note Carine Fannius, qui compte sur l’adaptation en six épisodes avec Charles Berling de Glacé de Bernard Minier programmée par M6 pour septembre 2016. La série de Viveca Sten a aussi bénéficié au Livre de poche. Pour 2016, Calmann-Lévy et Le Livre de poche attendent celle par France 3 de la série de Michael Connelly. Belfond compte sur celle de Contre toute attente de Linwood Barclay, adaptée avec Bruno Solo. "Tout ce qu’on achète maintenant va donner lieu à une série télévisée, plutôt que le cinéma", insiste Anne Michel, qui compte fermement sur l’adaptation par la BBC d’Agatha Raisin, une Miss Marple moderne, qui s’installe dans les Cornouailles, "au catalogue de l’éditeur depuis des années mais que tout le monde avait ignoré", pour une série en neuf épisodes. Et on peut parier que l’adaptation au cinéma de La fille du train ou celle de Ils vivent la nuit d’après Dennis Lehane devraient aussi relancer les ventes.

(1) Voir "François Guérif : "Il faut aimer le polar pour y réussir"", LH 1068, du 15.1.2016, p. 24-25.

Le roman policier en chiffres

Editeurs en quête d’auteurs

 

A l’heure des réseaux sociaux, quand la concurrence fait rage autour des thrillers étrangers, les éditeurs s’appuient principalement sur des techniques traditionnelles pour dénicher les nouveaux auteurs français.

 

"Il existe une cooptation entre les auteurs. C’est ce qui fait la force et la beauté d’une structure comme la nôtre : elle est choisie par les écrivains qui bâtissent un esprit maison." Yann Briand, Le Passage- Photo OLIVIER DION

"J’ai mis sur pied un service de manuscrits qui n’existait pas à mon arrivée, dont Régis Delicata a la responsabilité. C’est un moyen de découvrir de nouveaux auteurs", déclare Valérie Miguel-Kraak, directrice de Fleuve éditions. Alors que les éditeurs se battent à coups d’enchères pour obtenir les droits d’un futur best-seller mondial, l’enjeu porte aussi sur les auteurs français. Les romans envoyés par la poste (ou par mail, la "poste moderne"), s’ils ne sont pas toujours réceptionnés et triés par un service de manuscrits, ont toujours une chance d’être lus et remarqués. "Julie Ewa, qui est une très jeune auteure de 23 ans, a envoyé son texte qui a été repéré par le service des manuscrits. Nous avons publié Les petites filles, qui traite de la politique de l’enfant unique en Chine, en décembre dernier", raconte Stéfanie Delestré, responsable des polars français chez Albin Michel. "Le deuxième roman que nous publierons dans la nouvelle collection est arrivé par la poste. Je n’y croyais pas. C’est le premier texte que j’ai lu en arrivant et il est d’une grande qualité littéraire", raconte Marc Fernandez qui lancera en 2017 la collection de polars de Plon.

Reste que l’envoi doit être ciblé. Les éditeurs sont unanimes : l’auteur doit connaître la ligne éditoriale et le catalogue de l’éditeur auquel il s’adresse ou se fait recommander. La notoriété de la "Série noire" ou de "Rivages/Noir" et celle de leurs directeurs sont établies depuis de longues années. "Susanne Stock, que nous publierons en octobre, a mis son texte sous enveloppe et ne l’a envoyé qu’à deux maisons. C’était un envoi ciblé. Cela permet d’établir une relation de confiance et un lien personnel entre l’auteur et l’éditeur", confirme Yann Briand, éditeur du Passage.

Le réseau est une autre source d’approvisionnement. Il n’est pas rare qu’un auteur, sur un salon, donne un manuscrit à un autre auteur qui se charge de le faire lire par son éditeur. Une histoire de famille en quelque sorte. "Il existe une cooptation entre les auteurs. C’est ce qui fait la force et la beauté d’une structure comme la nôtre : elle est choisie par les écrivains qui bâtissent un esprit maison", commente Yann Briand.

Bien sûr, les éditeurs de polars restent attentifs à ce qui se passe sur Internet et plus encore sur les réseaux sociaux. Littérature de genre par excellence, le polar s’appuie sur une communauté et attire les auteurs de fanfictions comme ceux en mal de reconnaissance qui s’autoéditent. Solène Bakowski, prix spécial du jury Amazon 2015 avec Un sac, a eu plus de 10 000 lecteurs sur la plateforme et a été repérée par l’éditeur Milady qui l’éditera au printemps dans "Milady thriller". "Elle avait envie d’une relation éditoriale. Elle va gagner un nouveau lectorat avec le papier", estime Lilas Seewald, responsable des thrillers de Bragelonne et de Milady. Depuis, l’auteure a autopublié deux autres titres : Chaînes en 2015 et Parfois on tombe en 2016. "Amazon ressemble à un grand dépôt de manuscrits. L’autoédition est un filtre, une sorte de premier marché avec un premier lectorat. Il y a différentes façons de fouiller sur la Toile, mais on recrute toujours de la même façon. Les plateformes d’autoédition sont juste un autre service de manuscrits", conclut Lilas Seewald, qui se dit "toujours attentive au Top 100 d’Amazon".

Pierre Fourniaud, le découvreur

 

Il a publié Paul Colize, Franck Bouysse et Rédoine Faïd à La Manufacture de livres qu’il a fondée en 2009 et est à la fois l’éditeur du roman noir et des mauvais garçons.

 

Pierre Fourniaud- Photo OLIVIER DION

"C’est un découvreur", disent de lui ses confrères unanimes. Depuis 2009, où il a fondé sa maison La Manufacture de livres, Pierre Fourniaud déniche des auteurs français de roman noir qui ont forgé sa réputation d’éditeur. Paul Colize, François Médéline, Franck Bouysse, Benoît Séverac, Margot D. Marguerite font partie des écrivains que les éditeurs lui jalousent, et parfois débauchent. "Je ne suis pas content quand ils s’en vont, mais c’est la vie", commente-t-il avec philosophie. Il a aussi été l’un des premiers à s’intéresser au "true crime", aux histoires criminelles vraies, nouvelle tendance du polar aujourd’hui, mais il a aussi pimenté son catalogue avec quelques beaux livres sur Les mauvais garçons (tatoués) ou Les mauvaises filles (prostituées).

Terroir

"C’est très exaltant pour un éditeur de découvrir quelque chose et très émouvant d’avoir le premier rendez-vous avec un auteur qui a écrit son premier roman", raconte-t-il. "Il a un goût très sûr. Mais surtout il les accompagne, même psychologiquement, travaille avec eux sur le texte, se montre toujours disponible à la manière d’un Jean-Marc Roberts", confirme Caroline Lamoulie, éditrice d’Ombres noires et du policier chez J’ai lu. Pierre Fourniaud est un éditeur à l’ancienne. Il entretient des liens d’amitié avec ses auteurs et n’hésite pas à s’impliquer personnellement, rendant visite en prison à Rédoine Faïd, actuellement en procès pour l’attaque d’un fourgon blindé (auteur de Braqueur, un livre d’entretiens avec Jérôme Pierrat), ou en Corse à un autre, immobilisé par un bracelet électronique. "Mais j’ai aussi des liens avec des policiers", se défend-il.

Fils d’une institutrice et d’un bibliothécaire, il avoue avoir toujours vécu entouré de livres et a fait naturellement des études d’histoire et de philosophie, avant d’intégrer Sciences po Paris. Il revendique ses racines limougeaudes et souligne que "Franck Bouysse est de Limoges comme moi, Antonin Varenne habite dans la Creuse". C’est du terroir qu’il a tiré le nom de la maison qui "devait s’appeler La Manufacture de livres et d’articles imprimés de Paris, rappelant à la fois le XIXe siècle et La Manufacture de Saint-Etienne, mais c’était trop long". En 2015, il a créé avec Cyril Herry, des éditions Ecorce, une collection de "nature writing" à la française, sous le nom de "Territori".

Homme discret, Pierre Fourniaud a aussi forgé sa réputation sur le terrain. Représentant durant dix ans pour Hachette (notamment pour Edicef) avant de devenir directeur de l’export, il en retiré la certitude qu’"on vend des livres quand il y a des libraires". Préférant ceux-ci aux journalistes, dit-il, il sillonne Paris à bicyclette pour aller les voir et organise des tournées en province. Après avoir démissionné d’Hachette, il est embauché fin 2004 par Hervé de La Martinière comme directeur commercial et marketing du Seuil. Mais l’envie d’éditer est forte et il fait ses classes chez La Martinière Textes, chez Baleine et aux éditions du Toucan, puis, par "besoin d’indépendance", fonde en 2009 La Manufacture de livres , qui prend véritablement son envol en 2011 "avec la distribution par CDE-Sodis".

 

Liberté

Pierre Fourniaud avoue une fascination pour les "gens qui transgressent la loi et la morale", que ce soit par le truchement d’histoires vraies ou celui du roman "qui leur donne une vie imaginaire". "Je ne publie pas de thriller, ni de roman avec un policier pour héros, ni d’histoire de tueur en série. Je m’attache à des histoires d’individus, des marginaux, des gens qui se posent la question du bien et du mal", analyse-t-il. "Faisant tout tout seul", comme le souligne Constance Trapenard, éditrice du policier au Livre de poche, il assume les risques éditoriaux. En 2014, il a créé sa collection de documents en poche, dans laquelle viennent de paraître Mesrine, mon associé et Le testament de Lucky Luciano, avant Al Capone, ma vie en avril. Il publie Benoît Séverac et Anne Bourrel en mars, Antonin Varenne en mai. Pour "grandir", il compte augmenter la production, se fait aider par Olivia Castillon pour la presse, et lance à la rentrée "Zapoï", une collection de fiction et non-fiction russes, dirigée par Thierry Marignac, dans laquelle il prévoit un texte de Limonov, et Guerre de Vladimir Kozlov. "L’avantage d’être indépendant est que l’on peut explorer des choses, aller dans des directions très différentes. On a la liberté de prendre des risques même s’il faut vendre des livres pour survivre. Ce n’est pas contradictoire : les groupes ont une production plus standardisée mais ils m’aident car ils m’ont permis de me développer, en me distribuant et en achetant mes titres pour le poche", conclut cet éditeur "qui n’aurai[t] pas voulu exercer un autre métier".

Des meilleures ventes de plus en plus polarisées

Temps glaciaires de Fred Vargas (Flammarion), Millénium 4 : Ce qui ne me tue pas de David Lagercrantz (Actes Sud) et La fille du train de Paula Hawkins (Sonatine) : voici le tiercé de tête du Top 50 polars GFK/Livres Hebdo 2015, totalisant 1,2 million de volumes vendus.

Le public fidèle à Fred Vargas, passée de Vivianne Hamy à Flammarion, attendait depuis quatre ans son nouveau roman, Temps glaciaires (L’armée furieuse est paru en 2011). En n° 2 et n° 3 du palmarès, on retrouve les succès internationaux que sont Millénium 4 : Ce qui ne me tue pas, dans lequel David Lagercrantz reprend les personnages de Stieg Larsson (mort en 2004), Lisbeth Salander et Mikael Blomkvist, et La fille du train, un premier roman signé Paula Hawkins, qui a fait un tabac dans le monde entier et constitue une véritable surprise.

Le reste des ventes se concentre sur un nombre restreint d’auteurs. Phénomène de l’année , Michel Bussi poursuit sur sa lancée avec 6 titres dans la liste, suivi d’Harlan Coben, indétrônable (5 titres). Michel Bussi symbolise aussi la bonne santé du polar français puisque l’on retrouve dans la liste Bernard Minier (3 titres), Maxime Chattam (3 titres) et Franck Thilliez (3 titres), aux côtés des deux prix du Quai des Orfèvres, Le crime était signé de Lionel Olivier, lauréat 2016, et Tromper la mort de Maryse Rivière, lauréate 2015.

Les lecteurs de polars plébiscitent les poches, qui représentent 32 titres sur les 50 que compte la liste. Pocket arrive largement en tête avec 17 romans, suivi par Le Livre de poche (8), puis par Points (3), Babel (2), "Rivages/Noir" et Folio (1 titre chacun).

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