14 novembre > Essai France

Nathan Wachtel est l’auteur d’un livre qui a profondément bouleversé le regard porté sur l’histoire. Dans La vision des vaincus (Gallimard, 1971), il racontait comment la conquête espagnole au XVIe siècle avait été vue par les Indiens du Pérou. Celui qui est aujourd’hui professeur honoraire au Collège de France proposait une vision binoculaire de l’histoire, une vue plus large qui ne choisit pas les vaincus plutôt que les vainqueurs mais qui observent les deux, considérant que le récit des victimes ajoute à la compréhension des actes des bourreaux. Pour cela, il faut souvent passer Des archives aux terrains.

Ces textes rédigés entre 1966 et 2011 marquent les grandes étapes d’un parcours historique et ethnologique de première importance. En filigrane, Nathan Wachtel dévoile sa conception de l’histoire. "Tout, absolument tout ce qui fut, tout ce qui est de l’humaine condition peut et doit être objet d’histoire." Pour lui, "ce qui a eu lieu et n’est plus relève du réel autant que le présent".

Il nous montre comment la mémoire individuelle se love dans la mémoire collective. Ces articles nous permettent d’entrer dans le laboratoire de l’anthropologue, de voir comment cela se passe, comment on soumet au crible de la méthode critique les archives et les informations recueillies oralement sur le terrain.

A la lecture de ce demi-siècle de recherche sur les Indiens, la diaspora juive et le monde marrane, on comprend comment on passe du présent de jadis (les archives) au présent d’aujourd’hui (les témoins). On voit comment se distille l’histoire dans les vies quotidiennes, comment elle s’instille dans une identité, comment elle s’incarne dans les façons de penser.

Un tel ouvrage est assurément plus difficile d’accès que les essais qui surfent sur la confusion, la concordance des temps, voire le mensonge. Mais il permet de comprendre comment s’est infléchie la vision de l’histoire selon la belle formule de Marc Bloch à laquelle l’auteur est resté fidèle : "Il n’y a qu’une science des hommes dans le temps et qui sans cesse a besoin d’unir l’étude des morts à celle des vivants." Oui, rappelle Nathan Wachtel, le passé a besoin qu’on l’aide. Mais pas n’importe comment. L. L.

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