22 août > Roman France

L’éclectique et farfelu Arthur Bernard poursuit, avec Gaby et son maître, les aventures du héros éponyme, né en 2011 avec Gaby grandit, et qui lui ressemble comme un petit frère. S’y mêlent souvenirs d’enfance, de jeunesse et d’après, et même quelques confessions sentimentales (sur sa femme qui l’a quitté), avec de nombreuses digressions, coquetteries témoignant d’une belle culture classique, blagues de khâgneux et petits riens : le roman paraît chez Champ Vallon dans une collection intitulée « Détours », à laquelle il correspond parfaitement.

Le narrateur, donc, a 24 ou 25 ans, et il vit au-delà du Quartier latin, vers Glacière. C’est sa station de métro, ligne 6. Et c’est en descendant les escaliers de la station que, tous les jours ou presque durant un an, il croise un homme qu’il reconnaît immédiatement comme étant Samuel Beckett, lequel vivait à l’époque non loin de là. Or l’écrivain, qu’il désigne tout au long de son livre par « Il », « mon Maître », ou « l’Instituteur », est l’objet de sa vénération. Plus tard, il connaîtra Jérôme Lindon, le patron historique des éditions de Minuit, éditeur de Beckett et aussi d’Arthur Bernard (La chute des graves, paru en 1991), et ils évoqueront leur admiration commune pour le grand homme.

Le jeune Gaby est tétanisé par celui qu’il voit joliment en « gardien du silence », en « Touareg délocalisé », ou encore comme « le muet de la Glacière ». Beckett, en effet, comme Michaux, avait une apparence impressionnante, et n’était pas de ces êtres affables que l’on aborde aisément. Du genre à refuser tout contact. Pourtant, notre ami se creuse les méninges, et fantasme leur rencontre possible : « Et si tu lui demandais l’heure ? » suggère sa copine. Lui penche plutôt pour la météo, hésite à simuler un malaise, à l’inviter à manger un steak à « La Petite Source », modeste gargote pour étudiants qui existait alors près de l’Odéon, ou encore, mille fois, à lui écrire. Car il connaît son adresse, il l’a suivi. Quant à lui parler, impossible. Et d’abord, dans quelle langue : son anglais de naissance, ou son français d’adoption ? Au final, l’affaire ne se fera pas, et Beckett est mort en 1989 sans avoir connu Gaby, lequel se rend depuis régulièrement sur sa tombe, toute simple, au cimetière du Montparnasse. Il conserve aussi pieusement une courte lettre de refus de rendez-vous que le prix Nobel de littérature 1969 avait adressée à sa femme, qui écrivait un mémoire sur son œuvre. Courtoise, mais ferme.

En attendant Beckett, Arthur-Gaby digresse et divague, par exemple sur la parabole du bon Samaritain, s’en rend compte et s’en amuse : « Et encore une fois m’égare, m’éloigne du sujet si tant est qu’il y en ait un. » En effet. Bernard a réussi, avec du rien, à faire quelque chose, un roman atypique et plaisant, même si on a parfois envie de chanter à son héros, quand il en fait un peu trop : « Gaby, oh, Gaby, tu devrais pas traîner la nuit »… J.-C. P.

11.10 2013

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