5 avril > roman Irlande > Edna O’Brien

"Nous ne devons pas oublier nos racines, nos bois et nos rivières, et par-dessus tout notre histoire." Ce principe guide Edna O’Brien, qui reste fidèle aux paysages irlandais qui l’ont constituée. Un monde enchanté qu’elle a préféré fuir pour assumer son désir de liberté. Cette quête anime toutes ses héroïnes. Tu ne tueras point est un véritable coup de poing littéraire. Publié une première fois en France il y a vingt ans (Fayard, 1998, Le Livre de poche, 2001), sa réédition vient à point nommé en cette ère qui voit se briser le silence des femmes, victimes de violences physiques ou psychiques.

"Rien n’est secret, tout se tait, tout se grave sur la tablette du temps." Mary McNamara est née d’un fait divers. "De quoi sont faites les petites filles ? De sucre, des épices et plein de bonnes choses…" Mais son enfance va être saccagée par un ogre insatiable et instable, son père. Ses agressions l’entraînent vers une lente perdition d’elle-même. "Ensuite les ténèbres, un poids de ténèbres. Le déchirement de la chair, comme des habits qu’on déchire." Sa mère ne peut la protéger. Aveuglée, elle s’apparente - pour Mary - à "un pan de mur de pierre luttant contre la pauvreté". Une attitude renforcée par une communauté campagnarde, ancrée dans la religion.

Chaque fois que la jeune fille essaie de fuir, elle est ramenée au bercail. Son corps se tord de douleur. Le désespoir est atteint lorsqu’elle découvre, horrifiée, qu’elle attend un enfant. "La personne de qui il est, c’est la dernière personne de qui il devrait être." Seule option: avorter en Angleterre. C’est là que l’affaire prend une tournure nationale. L’Irlande, comme terre d’inspiration ou d’expiation des "péchés" les plus profonds, déchaîne les passions des catholiques ultraconservateurs. "Rosaires et ovaires, je ne sais ce qui fait le plus de mal à ce pays." Saisie d’effroi, Mary comprend à quel point son corps de femme ne lui appartient pas. Elle est toutefois convaincue qu’elle doit mener un combat. "Te battre pour la liberté de dire oui ou non. Te battre pour les autres", voilà ce que nous transmet Edna O’Brien, dont la beauté de la langue tranche avec l’âpreté des sentiments. Kerenn Elkaïm

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