avant-portrait > Elena Lappin

Certaines vies peuvent rendre jaloux les plus inspirés des romanciers. Celle d’Elena Lappin est marquée par un incroyable brassage. Fruit des amours d’un père soviétique et d’une mère arménienne, elle naît à Moscou en 1954. Ses premières années sont bercées par "une curiosité insatiable pour les histoires et les livres". A Prague s’ouvre pour elle une parenthèse enchantée. "Malgré un contexte politique chargé, l’enfance doit rester libre", estime l’écrivaine. Elle parle alors le russe avec ses parents, tandis que le tchèque devient "la langue dans laquelle [elle] rêvai[t] de devenir écrivain". Le rêve est pourtant brisé lorsqu’elle doit migrer à Hambourg, à l’adolescence. "Quelle déchirure ! Soudain les frontières géographiques ont eu pour moi un impact physique dramatique." L’allemand s’impose à elle comme une barrière émotionnelle. "On adopte une autre peau en s’adaptant, mais on emporte partout ses racines avec soi", tempère-t-elle. Les siennes sont traversées par l’Histoire. "Je suis une mémoire ambulante", assume Elena Lappin, qui porte en elle tous les êtres qui ont jalonné son existence. A mi-chemin de Tolstoï et de Daniel Mendelsohn, sa famille de Juifs errants "pluralistes" traverse les continents et les époques. L’écrivaine s’est inscrite dans ses pas en s’installant successivement en Israël, au Canada, aux Etats-Unis et en Angleterre.

Assembler le puzzle

Sa vie se place sous le signe de la multiplicité. Linguiste, Elena Lappin a travaillé comme éditrice, agente littéraire, journaliste d’investigation, auteure multidisciplinaire en anglais. Son récit autobiographique foisonnant aurait pu se limiter à retracer son parcours à la fois ancestral et personnel, mais un coup de fil inattendu est venu le bouleverser. Un Russe lui annonce qu’elle a un autre père biologique et que son grand-père était un espion soviétique. "Ironie du sort c’est moi, l’enfant oubliée, qui assemble les pièces du puzzle", pendant huit ans. "Mon histoire est liée à l’Histoire des deux côtés du rideau de fer et de l’Atlantique. Connaître ses racines ne signifie pas vivre dans le passé, mais comprendre toutes ces migrations géographiques, culturelles et linguistiques qui font la richesse de nos pays." Aussi est-elle persuadée que "plus on parle de langues [dans son cas, le russe, le tchèque, l’allemand, le français, l’hébreu et l’anglais], plus on a de vies. Sans amour, il n’y a pas de famille, ajoute-t-elle. Ayant hérité de tant de secrets et de mystères, j’aimerais léguer la vérité à mes enfants." Kerenn Elkaïm

Elena Lappin, Dans quelle langue est-ce que je rêve ?, L’Olivier, traduit de l’anglais (Angleterre) par Thierry Decottignies. Prix : 23 euros, 382 p. Tirage : 4 500 ex. Sortie : 13 avril.

ISBN : 978-2-8792-9645-6

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