13 janvier > Roman France

Rendre l’ambivalence et surtout la simultanéité, la coïncidence d’émotions contradictoires, des plus enfouies aux moins avouables, Pascale Kramer sait faire cela et c’est un très grand talent dont on ne peut que regretter qu’après onze romans parus en vingt ans, il n’ait pas encore été plus largement salué. Redire ici combien sont concentrés, forts et subtils, ces livres d’une honnêteté sans maquillage qui sonde des sentiments aussi troubles que peuvent l’être les consciences. Après Un homme ébranlé et Gloria où Pascale Kramer disséquait déjà cette zone complexe d’entre-deux intime où se tiennent les liens entre parents et enfants, Autopsie d’un père amplifie la dimension sociale et politique et fait résonner la fiction d’un terrible écho contemporain.

Gabriel est le "père scandaleux" d’Ania. Un journaliste de radio parisien banni pour des commentaires publics choquants à propos d’un meurtre raciste dans lequel ont été impliqués deux jeunes du village où il habite, dans une campagne de l’ouest de l’Ile-de-France. On le suit dans le prologue, le temps d’un trajet en train, amer et aigri. Déçu de tout, de son époque, de sa génération, de sa propre fille, venue le voir à l’improviste accompagnée de son petit-fils de 6 ans, après quatre ans sans aucun contact. Quelques heures plus tard, Gabriel se suicidera, âgé de 58 ans, dans le deux-pièces parisien qui lui servait de pied-à-terre. Le roman s’attache alors aux premiers jours du deuil d’Ania, employée dans une crèche en banlieue, mère séparée.

Lors de la dernière visite manquée chez son père, elle a trouvé ce dernier "paresseux et narquois en son domaine". Lui n’a pas paru se rappeler que son petit-fils était sourd - comme toujours, Pascale Kramer décrit avec une magnifique justesse le face-à-face entre la mère et l’enfant. Dans les moments étranges qui précèdent l’enterrement de ce veuf resté longtemps seul après la mort accidentelle de la mère de sa fille, on fait, au même rythme qu’Ania, la connaissance de Clara, la nouvelle épouse. On découvre les conséquences de ce "dérapage", une phrase qu’il ne renie pas, qui a valu à cet intellectuel autrefois de gauche d’être exclu de son monde. Près du corps exposé, la jeune femme se souvient aussi de ce père dont l’exigence donnait à l’adolescente le sentiment de son "insuffisance", la faisait se sentir "déficiente dans ces milieux intouchables et cultivés" qu’il fréquentait. Tandis qu’autour de la maison d’enfance, sur ce territoire familier et bucolique, couve toute la violence d’une communauté villageoise divisée. A travers les yeux d’Ania, dans un effrayant mélange de sidération et d’incompréhension, Pascale Kramer observe une société où l’incommunicabilité et la précarité nourrissent la peur, laquelle entretient l’agressive méfiance et le rejet, la haine dont le poison fatal contamine peu à peu tous les esprits. V. R.

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