Scolaire

Tous les éditeurs sont dans les starting-blocks, nous avons constitué nos équipes, recrutés des auteurs, nous attendons maintenant le contenu des nouveaux programmes des lycées », s’impatiente Célia Rosentraub, directrice générale d’Hatier (filiale d’Hachette) et nouvelle présidente des Editeurs d’éducation, le groupe des spécialistes du scolaire au Syndicat national d’édition (SNE). Les producteurs de manuels renouent avec cette atmosphère de veillée d’armes qui précède la refonte des programmes, promesse d’un renouvellement massif des ouvrages utilisés en classe. La réorganisation des épreuves du bac et la fin des séries ES, L et S au lycée entraînent la refonte des enseignements, qui prendra effet en septembre 2019 en seconde et en première. La terminale suivra, à la rentrée 2020.

Devant le lycée Fénelon, à Paris.- Photo OLIVIER DION

Urgence

Bien malgré eux, les éditeurs sont déjà en retard sur le rétroplanning de réalisation de leurs manuels, faute d’avoir lesdits programmes?: ils ne sont pas encore écrits par les comités d’expert chargés de les rédiger, nommés seulement début juin. Courant septembre, ils pourront toutefois rencontrer ces experts pour avoir les lignes directrices qui leur permettront de préparer au moins la structure des manuels, en attendant la version définitive des nouveaux enseignements. Comme lors de la précédente réforme des lycées en 2010 (et des collèges il y a trois ans), il faudra travailler dans l’urgence?: au printemps, les éditeurs prévoient d’envoyer leurs nouveaux manuels aux enseignants pour qu’ils fassent leurs choix avant les vacances et que les établissements passent les commandes aux libraires, ou communiquent les listes aux familles.

S’ils regrettent ce rythme infernal, les éditeurs n’ont d’autre solution que de s’y adapter. D’une part, ils veulent montrer aux pouvoirs publics qu’ils sont des partenaires fiables dans la mise en œuvre de ces réformes, en fournissant les manuels à temps. D’autre part, les investissements sont importants (embauche de dizaines d’éditeurs, graphistes, iconographes, etc., et fabrication de centaines de milliers de spécimens gratuits), mais les espérances de ventes aussi?: « Au total, avec les séries technologiques et professionnelles dont les matières principales sont aussi révisées, 1,3 million de lycéens sont concernés », précise Célia Rosentraub. Et chaque réforme représente une opportunité de redistribution du marché. Au lycée, Lelivrescolaire.fr se lance et part de zéro, après s’être bien implanté au collège à la faveur de la dernière réforme. La jeune maison recrute au moins 20 personnes pour relever ce défi.

Quel budget??

Mais le financement de ces manuels reste fragile. Lors du dernier débat budgétaire, à l’automne 2017, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale, avait reconnu les disparités et les inégalités du système, régulièrement pointées par les éditeurs, et la nécessité de rechercher une cohérence en engageant une discussion avec l’ensemble des acteurs concernés. Rien n’a été fait. Pour parer au plus urgent, les Editeurs d’éducation ont rencontré au cours des dernières semaines les responsables des régions, qui ont pris en charge les achats de manuels des lycées depuis une quinzaine d’années. « Nous leur avons expliqué l’articulation et le calendrier de la réforme, certains ignoraient la mise en œuvre simultanée sur deux niveaux, et l’importance des manuels dans la mise en place du contrôle continu au bac », indique Célia Rosentraub.

Mais dans un contexte de restriction, le financement public est devenu plus un risque qu’une garantie, ainsi que l’a montré la baisse des fonds ­attribués par l’Etat aux manuels au collège. « Pour les lycées, il faudrait envisager un financement sous condition de ressources des familles, et sortir de la prise en charge intégrale. La France est un des seuls pays dans cette situation », note Célia Rosentraub. Le groupe Les Editeurs d’éducation devrait l’expliquer lors de sa conférence de rentrée, début septembre.

Les éditeurs s’interrogent aussi sur les choix des régions en matière de support?: aujourd’hui, seule la région Grand Est passe au tout numérique, et n’achète plus de manuels ­papier. « Le programme a démarré avec 49 collèges l’an dernier, il passe à 120 cette année, pour atteindre tous les établissements, soit 350, en cinq ans », explique Frédéric Fritsch, gérant de la Librairie des étudiants (LDE), qui a remporté ce marché encore unique. « De nombreux responsables d’autres régions viennent s’informer sur ce programme », ajoute-t-il.

Côté Etat, le financement numérique apparaît toujours aussi aléatoire. Le nouveau gouvernement n’a pas conservé dans le budget 2018 le grand plan numérique des collèges lancé par le précédent, qui réservait 30 euros aux achats de contenus. « Les ventes sont retombées de suite », note Célia Rosentraub. L’an dernier, elles avaient atteint 6,8 millions d’euros (téléchargement ou streaming) selon le bilan du SNE, le double de l’année 2015, avant le plan numérique, mais encore très loin des ventes de livres papier.

Pour 2019, Jean-Michel Blanquer n’a mentionné que le financement d’expérimentations au primaire lors de son intervention à Ludovia, le salon de l’innovation dans le numérique éducatif, le 21 août dernier.

Chronique d’un repli annoncé

N otre activité a chuté de moitié, comme nous l’avions anticipé », déclare Thierry Damagnez, gérant de Cufay, un des premiers libraires adjudicataires de manuels scolaires. Après deux années exceptionnelles d’achat de la part des collèges, les commandes ont plongé, mais pas dans la proportion du financement public, passé de 110 millions à 16,2 millions d’euros. « Une partie des collèges avaient conservé des réserves », estime Loïc Heydorff, gérant de EMLS, un autre adjudicataire important, dans le sud de la France.

Cette année, il n’a toutefois eu besoin que de 5 saisonniers en renfort, contre 30 l’an dernier. « L’export vers les établissements français à l’étranger a bien marché », note Frédéric Fritsch, cofondateur de la LDE à Strasbourg, qui a maintenu 70 % de son activité, jugeant que c’était plutôt une bonne surprise. Et en raison de la réforme à venir, les commandes en provenance des lycées sont quasi nulles, sauf pour les « consommables », des cahiers annuels utilisés dans les séries professionnelles. Le primaire devrait fléchir après une petite reprise depuis deux ans, estime Célia Rosentraub. En 2017, le chiffre d’affaires des ventes de manuels (primaire et secondaire) s’était déjà replié de 24 millions d’euros, à 279 millions d’euros (- 8,6 %). La baisse sera plus sévère cette année.

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