SIX LIBRAIRIES 1/6

Et vogue La Galerne

OLIVIER DION

Et vogue La Galerne

Dans un marché du livre confronté à une révolution des modes de consommation, comment les grandes librairies créées il y a plusieurs décennies en région dessinent-elles leur avenir ? La réponse en six épisodes, à travers six institutions en régions, leur histoire, leur "patron". Aujourd'hui, La Galerne, au Havre, qui fête son trentième anniversaire.

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Par Clarisse Normand,
Créé le 28.10.2014 à 17h36 ,
Mis à jour le 17.12.2014 à 16h53

Sous le nom d'un vent du noroît qui l'a portée jusqu'à en faire une des 20 premières librairies françaises, La Galerne poursuit sa route vers des horizons que chacun, au Havre, espère radieux. Trente ans après sa création, au lendemain de la promulgation de la loi Lang, elle entend même démontrer qu'elle est dans la force de l'âge. Outre un important programme d'animations prévu de l'automne 2012 au printemps 2013, l'établissement, qui a réalisé en 2011 un chiffre d'affaires de 6 millions d'euros, s'est lancé dans deux projets importants : la reprise, en juin dernier, de l'espace de vente du musée d'art moderne André-Malraux du Havre et l'ouverture, fin octobre, d'un nouveau site Internet. A la suite de la fermeture du portail 1001libraires.com, La Galerne a décidé de s'adosser à la plateforme Leslibraires.fr pour offrir à ses clients un site avec un contenu propre. Outre la présentation de ses animations, conseils de lecture et dossiers thématiques, Lagalerne.com permet de réserver un titre ou d'en demander l'expédition et, d'ici à la fin de l'année, donnera accès à une offre de livres numériques.

Photo OLIVIER DION

L'anniversaire, qui a aussi été l'occasion de développer une nouvelle charte graphique, est d'autant plus tourné vers les initiatives que la librairie a changé de mains il y a deux ans, sans avoir, pour l'instant, engagé de transformation majeure. Serge Wanstok, qui assurait déjà la direction de l'établissement depuis plusieurs années, a succédé fin 2010 à ses fondateurs, Gilles et Françoise de La Porte, désireux de prendre leur retraite. S'il s'inscrit dans le droit fil de ses prédécesseurs, le nouveau dirigeant n'en est pas moins confronté à de nouveaux défis. Au-delà des problématiques relatives à la lecture et au développement du numérique, il doit passer le cap délicat de la période d'endettement lié au rachat de la librairie et doit reconquérir une partie de la clientèle qui, depuis deux ans, s'est détournée du centre-ville en raison des travaux de construction du tramway. "Certains clients ont pris de nouvelles habitudes, observe Serge Wanstok. Il faut leur redonner envie de venir chez nous en leur proposant plus de choses et en leur montrant qu'il y a eu des évolutions dans notre magasin. Nous avons ainsi réorganisé le rayon jeunesse pour étoffer notre sélection de jouets et de papeterie. Et nous réfléchissons au déménagement de la pochothèque. Ce rayon, très important pour notre image et notre économie, est situé au sous-sol depuis 2004. C'est peut-être le moment de le remonter au rez-de-chaussée..." Quoi qu'il en soit, pas question de tout chambouler. La Galerne a des bases solides et un concept qui reste d'actualité. "La force de Gilles de La Porte est d'avoir su anticiper les attentes des clients et se projeter dans le futur", analyse Serge Wanstok.

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Dès 1982, lorsqu'ils créent une librairie au Havre, ses fondateurs jouent d'emblée la différence en installant des tables avec un libre accès aux livres, ce qu'aucun des cinq établissements généralistes de la ville ne propose à l'époque. Immédiatement, le succès est au rendez-vous. "Nous étions au Havre depuis six ans quand La Galerne a ouvert. Ma mère a immédiatement été conquise", se souvient Serge Wanstok, alors adolescent. A l'époque, Gilles de La Porte déclarait à Livres Hebdo vouloir créer une librairie "où l'on se sent bien et où l'on a envie de revenir" (1). Il maintiendra ce cap jusqu'à franchir un pas de géant en 1999. Anticipant de quelques mois l'arrivée de la Fnac, La Galerne s'installe sur 900 m2 dans son local actuel, situé dans l'hypercentre du Havre, avec la volonté de devenir un lieu de vie. Si la librairie s'est ensuite encore agrandie de 400 m2, son concept est déjà posé : un aménagement épuré sans être froid, de grandes allées, des canapés disposés dans différents rayons et, surtout, un café-restaurant installé au coeur du magasin. "Je me suis inspiré de ce que j'avais vu chez Barnes & Noble aux Etats-Unis", se souvient Gilles de La Porte. "A l'époque, c'était révolutionnaire d'avoir un restaurant dans une librairie", confirme Matthieu de Montchalin, à la tête de L'Armitière à Rouen, l'autre grande librairie du département. Contribuant à hauteur de 1 % seulement au chiffre d'affaires, ce café-restaurant est aujourd'hui devenu un élément fort de l'identité de la librairie. "C'est "the place to be" pour déjeuner au Havre : il faut même réserver pour être sûr d'avoir une table !" lance le libraire rouennais.

OLIVIER DION

L'autre grande force de La Galerne réside dans sa capacité à s'adresser à tous les publics. Dès le départ, cette spécificité est elle aussi présente. "A côté des romans, du théâtre et de la poésie, nous avons tout de suite proposé des guides de voyages, des livres de cuisine...", rappelle Gilles de La Porte, conscient que Le Havre n'a pas de tradition universitaire. Dès lors, chaque déménagement sera l'occasion d'élargir l'assortiment et d'en repenser la présentation. "La Galerne est une vraie librairie généraliste, où se côtoient des livres et des publics très différents. Cela fonctionne grâce à une organisation très claire de l'offre, ce qui permet à chacun de s'y retrouver et de ne pas se sentir jugé, argumente Anne-Lise Duchemin, directrice de la librairie. Dans le rayon poche, par exemple, nous avons des tables très différenciées, certaines consacrées aux nouveautés grand public, d'autres aux livres très littéraires. On fait cohabiter des genres mais on ne les mélange pas."

Afin d'optimiser la cohérence de l'offre, Gilles de La Porte crée aussi dès 1995 un poste d'acheteur. "La Galerne est la première librairie indépendante de taille moyenne-grande à avoir choisi ce mode de fonctionnement et à l'avoir officialisé", commente Matthieu de Montchalin, qui reconnaît s'en être ensuite inspiré pour L'Armitière. "J'ai voulu confier la responsabilité des achats de nouveautés à une même personne afin de professionnaliser cette fonction", argumente Gilles de La Porte, précisant que "les libraires ont toujours gardé la maîtrise des réassorts". Anne-Lise Duchemin, qui assume la fonction d'acheteuse depuis quinze ans, se souvient que, "au début, les représentants pensaient que ça ne marcherait pas. Mais les résultats ont très vite été convaincants : au bout d'un an, les retours étaient passés de 20 % à 12 % ».

"C'est l'une des plus belles librairies que je connaisse." VINCENT CHEVALIER, GALLIMARD- Photo OLIVIER DION

Que ce soit commercialement ou économiquement, La Galerne est donc un succès. En l'espace de seulement trente ans, elle est devenue, grâce à ses innovations, une référence culturelle et sociale au Havre. "C'est même, convient Vincent Chevalier, représentant Gallimard sur la région Nord-Ouest, l'une des plus belles librairies que je connaisse." Mais surtout, elle a encore un beau potentiel. La concurrence locale se limite à une Fnac qui n'a jamais réussi à s'imposer, un Plein Ciel situé dans le centre commercial Docks Vauban, la librairie historique Dombre qui a déménagé en 2008 dans un local encore plus petit que le précédent, quelques spécialistes (BD notamment) et trois hypermarchés. Et surtout, Le Havre a le vent en poupe depuis son classement au patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco en 2005. Si le changement d'image de la ville a déjà commencé à générer des flux touristiques, la mise en route du tramway, prévue mi-décembre, devrait aussi faciliter le déplacement des 300 000 habitants de l'agglomération et contribuer au dynamisme commercial local.

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