23 août > Roman Suisse > Elisa Shua Dusapin

La voix gracieuse de la très jeune Franco-Coréenne Elisa Shua Dusapin avait été l’une des découvertes de la rentrée 2016 où son premier roman Hiver à Sokcho - qui paraît simultanément en Folio - avait notamment obtenu le prix Robert-Walser, le prix SGDL Révélation et le prix Régine-Deforges. Dans Les billes du Pachinko, c’est l’été à Tokyo. Claire, la narratrice qui va avoir 30 ans et vit en Suisse, est venue passer quelques semaines chez ses grands-parents maternels, Coréens exilés au Japon. Son projet: organiser un voyage dans le pays qu’ils ont quitté il y a cinquante ans pour fuir la guerre civile et où ils ne sont jamais revenus. Mais ils ne manifestent pas d’empressement particulier à la perspective de ce voyage. A 80 ans, le grand-père continue de tenir un Pachinko, une salle de jeu remplie de machines où des billes remplacent les sous, "sorte de flipper vertical". Tout en passant du temps avec sa grand-mère et pour tromper l’ennui moite qui l’enveloppe, la jeune femme est répétitrice pour une fillette japonaise de 10 ans qui vit seule avec sa mère, une professeure de littérature française.

Langue d’enfance (le français), langue un peu oubliée (le coréen, pourtant langue maternelle), langue apprise (le japonais): ce mélange ne rend pas la communication très fluide avec ces trois femmes d’âge différent. Les malentendus, les interprétations équivoques ne facilitent pas l’apprivoisement et tiennent l’intimité, les intentions et les émotions à distance, même dans les liens familiers. Elisa Shua Dusapin rend cela très bien, laissant le lecteur flotter dans la même incertitude d’interprétation. Le jeu est peut-être ce qui tient ces héroïnes dans une sorte de proximité étrangère, comme dans le Pachinko, "ce jeu collectif et solitaire", décrit Roland Barthes - cité en exergue du livre -, le jeu qui rapproche la vieillesse et la jeunesse aussi. La grand-mère joue seule au Monopoly, fait des installations de Playmobil dans son salon, Claire qui joue au Tetris sur son téléphone, emmène sa jeune élève très raisonnable dans un parc d’attractions reconstituant le monde d’Heidi.

On trouve beaucoup de choses nichées dans ce court roman (identité composite, filiation, relations intergénérationnelles), mais la jeune romancière aborde tous ces sujets à fleur de sensation, les formule sans démonstration dans une sobre et sensible langue de l’intériorité. V. R.

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