Avant-portrait > Niviaq Korneliussen

Pour le cliché, on repassera : "Les histoires de chasseurs du passé, les récits sur l’influence de la nature, cela ne m’a jamais intéressée. Dans ma jeunesse, j’ai cherché en vain un livre qui me parle, qui raconte ce que moi et mes amis vivions et les questions qui nous préoccupaient. Je n’ai jamais trouvé ce livre. Je crois que c’est ce que j’ai voulu écrire, ce livre que je n’ai jamais pu lire." Niviaq Korneliussen a beau être née à Nanortalik, un village de 1 400 habitants au sud du Groenland, Homo sapienne, son premier roman, ne donne pas vraiment dans le folklore local : c’est un texte cru et critique, écrit dans un style ultra contemporain qui mélange les langues.

Féministe

L’écrivaine inuite, âgée d’à peine 28 ans, y donne la parole à la jeunesse de son pays à travers les voix de cinq jeunes urbains de Nuuk, la capitale de la grande île arctique, colonisée au XVIIIe siècle par le Danemark et encore sous influence. Les questions qu’aborde de façon très frontale Niviaq Korneliussen ? Celles de sa génération et du milieu auquel elle appartient : crises d’identité, amour, sexualité gender fluid, mais aussi assignations problématiques, place dans la société et le monde… Les mêmes qui interpellent les millenials de n’importe quel pays. Ainsi que des thèmes qui étaient encore tabous au Groenland - homosexualité, abus sexuels, alcoolisme, post-colonialisme - quand le livre est paru en 2014.

Niviaq Korneliussen a fait ses premiers pas dans l’écriture à l’occasion d’un concours de nouvelles organisé par Milik, l’une des rares maisons d’édition du pays, et par la bibliothèque de Groenland en 2012, où elle est retenue parmi les lauréats avec une histoire intitulée San Francisco. Encouragée par l’éditeur et avec le soutien de la bourse d’un gouvernement, la jeune écrivaine écrit en moins d’un mois Homo sapienne. Plus de 2 000 exemplaires s’écoulent sur ce vaste territoire qui ne compte que 56 000 habitants : un des plus grands succès littéraire du pays. Puis le texte traduit par elle-même du groenlandais au danois entame son parcours phénomène en Scandinavie.

Simon Philippe Turcot, l’éditeur québécois de La Peuplade (1), qui a inauguré avec cette première traduction en français sa collection "Fictions du nord", a découvert l’existence de ce roman en 2015 à la Foire du livre de Göteborg. Après avoir lu un extrait en anglais, il demande son avis au professeur Daniel Chartier, qui dirige la chaire de recherche sur l’imaginaire du Nord, de l’hiver et de l’Arctique à l’université du Québec à Montréal. Dans sa préface à l’édition française, ce grand spécialiste de la littérature groenlandaise écrit : "l’œuvre de Niviaq Korneliussen [est] politique, féministe, queer, sociale, pionnière, universelle". En 2017, alors même que seul le premier chapitre avait été traduit en anglais, le New Yorker a consacré un long portrait à la "star littéraire inattendue" venue du Grand Nord et les droits du roman ont déjà été acquis dans huit langues. Niviaq, l’Homo sapienne, suit sa bonne étoile. Véronique Rossignol

(1) Voir LH 1161, du 16.2.2018, p. 33.

Niviaq Korneliussen, Homo sapienne, La Peuplade, traduit du danois par Inès Jorgensen, Sortie : 8 mars, prix : 21 euros, 232 p., ISBN : 978-2-924519-58-5

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