avant-portrait > Laurent de Sutter

Laurent de Sutter est né un 24 décembre. Comme beaucoup d’enfants nés à cette période, c’était souvent deux en un : un cadeau pour Noël et pour l’anniversaire. "Un peu plus gros quand même", précise l’éditeur et écrivain bruxellois qui vient de signer un nouvel essai, L’âge de l’anesthésie : la mise sous contrôle des affects. Mais le plus "énorme" des présents qu’on ait pu lui faire le fut par "une prostituée qui me fit le cadeau d’une nuit".

Après avoir lu sa Métaphysique de la putain (Léo Scheer, 2014), elle voulut le remercier. En plein débat sur son interdiction proposée par la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, de Sutter publie une défense et illustration de l’amour tarifé. Le livre était constitué de variations sur la figure de la prostituée : du premier court-métrage de fiction de Jean-Luc Godard, Une femme coquette, au fameux passage de Circé au bordel dans Ulysse de Joyce en passant par Lulu d’Alban Berg ou la BD Vingt-trois prostituées de Chester Brown. Provoc’ de la part du garçon propre sur lui qui est par ailleurs professeur de la théorie du droit à l’Université libre de Bruxelles ? Truc de bourgeois qui s’encanaille ? Non, Laurent de Sutter avoue simplement "y être beaucoup allé et avoir beaucoup d’amies de ce milieu" qui, du reste, n’eurent guère voix au chapitre.

Electron libre

Comédien amateur dans sa jeunesse, puis critique musical de hard rock (il est toujours batteur à ses heures perdues), cet électron libre curieux de tout aime surtout "l’idée que le monde officiel ait des coulisses". Et de préciser : "Quand on fréquente des hôtels de passe, on se rend compte qu’ils sont toujours pleins,en semaine, et de 14 h à 17 h ! C’est fascinant cette vie libidinale derrière la vie policée." Il y a ce côté underground et intime, la notion du secret à la Philippe Muray qui écrivait : "La vie privée est la seule résistance catégorique, et le seul camouflet radical, que l’on puisse infliger à la société moderne du tout-à-la-webcam, et le secret est une critique cinglante et continue de la civilisation de l’exhibitionnisme." Une esthétique baudelairienne, la prostitution. Une esthétique tout court : le philosophe iconoclaste est "pour le tout esthétique, dans le sens de l’aisthesis grecque à savoir le "sensible"". Si d’aucuns peuvent trouver un brin dandy l’auteur du Dandysme est un humanisme, rien de moins dilettante chez lui. Il cumule avec un certain brio les casquettes, a repris les rênes de "Perspectives critiques" aux Puf après Roland Jaccard et dirige depuis peu une collection de philosophie chez Polity, éditeur de Cambridge. Sentir toujours plus et toujours, c’est le propos de L’âge de l’anesthésie qui fustige le "narcocapitalisme", cette société marchande de l’endormissement des sens à travers les drogues et les médicaments contrôlant nos affects : "Ce long dialogue avec notre pilulier peut-il vraiment être nommé "vie" ?" L’émotion est sans management. Sean J. Rose

Laurent de Sutter, L’âge de l’anesthésie : la mise sous contrôle des affects, Les Liens qui libèrent. 15,50 euros, 192 p. Sortie : 24 mai. ISBN : 979-10-209-0508-6

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