DRÔLES D'ÉDITEURS 3/6

Fabienne Kriegel, Le Chêne: texte, mode et rock'n'roll

OLIVIER DION

Fabienne Kriegel, Le Chêne: texte, mode et rock'n'roll

Des personnalités qui accrochent, détonnent, surprennent, des profils qu'on n'attendait pas là, des francs-tireurs de l'édition : troisième de six portraits d'éditeurs atypiques, Fabienne Kriegel, directrice générale du Chêne, a déjà eu mille vies avant l'édition : créatrice underground de prêt-à-porter, styliste photo ou journaliste à Voici.

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Par Anne-Laure Walter
Créé le 04.06.2015 à 21h03 ,
Mis à jour le 14.09.2015 à 15h10

Dans l'impersonnelle tour du groupe Hachette, où l'on ne peut faire un pas sans badge, on ne s'attendait pas à trouver un tel profil. D'autant que Fabienne Kriegel n'est pas du genre à se vanter. Mais demander à l'élégante et discrète directrice du Chêne de vous raconter sa vie, c'est aller de surprise en surprise, d'une marque de prêt-à-porter underground de Saint-Germain-des-Prés à un célèbre studio photo du 14e arrondissement, du rock des Chaussettes noires et des Pirates à la presse féminine des années 1980-1990, des fascicules en Maison de la presse aux duveteux coffrets Ladurée...

Une famille magnifique. Depuis l'arrivée de Fabienne Kriegel il y a cinq ans au Chêne, la maison septuagénaire a retrouvé son lustre et renoué avec les succès commerciaux, dont D'art d'art !, adapté de l'émission de Frédéric Taddéï. La directrice générale possède un goût assuré. Une fibre artistique qu'elle a reçue en héritage d'une famille "magnifique, qui était aisée, mais qui [lui] a aussi transmis des valeurs intellectuelles, humanistes et artistiques". Après-guerre, dans le salon des Kriegel se côtoient le Paris de l'art et le Paris intellectuel. Son oncle est le résistant et député communiste Maurice Kriegel. Sa mère, premier prix des Beaux-Arts, a créé une ligne de chaussures, Durer, et chausse les danseuses des cabarets du 8e arrondissement. Son père, juif allemand, a abandonné la médecine en arrivant à Paris et ouvert la galerie Kriegel, rue de Matignon, qui représente notamment la figure de l'art informel, Francis Bott.

"Je me suis vue secrétaire de direction. » A l'époque, l'adolescente se passionne pour la mode et apprend à coudre chez les bonnes soeurs, les seules qui enseignaient l'art de la fronce, de l'ourlet et du point de croix. "A 16 ans, je faisais mes vêtements et commençais à en vendre aux copines. » Après le bac, elle s'inscrit sans grande conviction en gestion à Dauphine. "Le jour où on nous a appris à taper à la machine parce que ça nous servirait pour plus tard, je me suis vue secrétaire de direction, avenir qu'on promettait à beaucoup de femmes à l'époque." Féministe et révoltée, elle quitte la fac sur un coup de tête. Elle a la chance d'avoir un père qui lui fait confiance et l'aide à créer sa marque de prêt-à-porter, Fabienne K, qui se fait vite un nom. Cela lui vaut une entrée dans un dictionnaire de mode : "Dans les années 1970, Fabienne K a conquis le public avec des vêtements transformables, comme l'interlock (une maille très souple qui a rompu avec la rigidité des matières classiques), à porter sans problème du matin au soir." (Dizionario della moda 2010 de Guido Vergani.) Sa trouvaille, ce sont "les coordonnés à décoordonner", une série de pantalons, jupes et vestes que l'on peut assortir et qui permettent de s'habiller selon sa morphologie. Des franchises ouvrent à Annecy, Lyon... et un agent la représente au Japon. "Moi qui avais surtout la fibre artistique, j'ai été prise dans un engrenage commercial, raconte-t-elle. Je n'ai pas voulu vendre et rester dans l'entreprise. J'étais trop jeune et trop butée, j'ai tout arrêté."

En 1979, elle recommence une nouvelle vie. "J'étais riche et reconnue à 29 ans, pauvre et inconnue à 30 ans », résume-t-elle. Elle suit alors son frère dans le lancement d'un studio photo : l'emblématique studio Pin-Up où travailleront par exemple Peter Lindbergh et Jean-François Jonvelle. Elle devient styliste photo, et sa connaissance de la mode lui vaut de basculer naturellement dans la presse. De pige en pige, elle entre dans le groupe Prisma, passant des pages féminines de Voici à la rédaction en chef de Femme d'aujourd'hui. "Ce qu'il y avait de formidable, c'est qu'à chaque fois je devais relancer un magazine ou le créer. Je suis incapable de prendre un poste et poursuivre bien dans les rails." Un chasseur de têtes lui propose de développer la vente par correspondance chez Atlas, qui faisait essentiellement de l'édition en fascicules. "J'étais ravie car le travail était passionnant. Certes, ça ne permet pas de briller dans les dîners, mais tout était à créer. »

Au bout de cinq ans, alors qu'elle commence à tourner en rond, Isabelle Magnac lui propose de développer les fascicules chez Hachette. Elle apprend l'art de l'encyclopédie en fiches. L'ennui commence à la gagner quand un poste se libère dans le groupe, au Chêne, offrant un nouveau terrain de jeu à son imaginaire. "Je voudrais faire des ouvrages qui vont pérenniser le Chêne et permettre que cette maison vive aussi longtemps qu'elle a vécu avant mon arrivée. »

Rock'n'roll. En plus de la peinture, de la mode, de la photo, de l'édition, Fabienne Kriegel développe une nouvelle passion : elle retape des maisons. Elle vient d'acheter une vieille école désaffectée en Vendée. Et sa nouvelle folie est de monter dans le village un festival de rock'n'roll avec son mari, l'un des membres des Pirates, ce groupe qui se disputait la couverture de Salut les copains avec Les Chaussettes noires et Les Chats sauvages. Elle le reconnaît : "Je ne peux pas m'empêcher de me lancer dans de nouveaux projets, c'est très fatigant pour mon entourage !"

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