Salon du livre 2012

Forum Livres Hebdo : les recettes des libraires étrangers

De g. à d. : Fabrice Piault (Livres Hebdo), Michel Choueiri (El Bourj, Beyrouth, président sortant de l'AILF), Maryline Noël (Le Comptoir, Santiago du Chili), Thierry Millogo (librairies Mercury, Burkina Faso), Jacques Bernard (Forum, Fremantle, Australie), Jean-Baptiste Dufour (Volumen), Christophe Balme (Dilisco). - Photo OLIVIER DION

Forum Livres Hebdo : les recettes des libraires étrangers

Invités à l'occasion des dix ans de l'AILF, quatre libraires installés à l'étranger et deux distributeurs ont partagé leurs stratégies et leurs initiatives pour développer la présence du livre français dans le monde.

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Par Cécile Charonnat,
avec Créé le 26.01.2015 à 12h03

A l'heure où la langue française recule, alors que la concurrence de la vente en ligne s'accroît, le forum Livres Hebdo, qui s'est tenu vendredi 16 mars au Salon du livre de Paris, était chargé de faire le point sur la vente du livre français à l'étranger. La rencontre aura finalement fait souffler un air vivifiant sur les quelque 70 professionnels venus y assister. A la tribune, quatre libraires provenant des quatre coins du monde et deux représentants de distributeurs y ont détaillé leur expérience. Maryline Noël, à la tête du Comptoir à Santiago du Chili, Jacques Bernard, directeur du Forum à Fremantle en Australie, Michel Choueiri, patron d'El Bourj à Beyrouth et président sortant de l'Association internationale des libraires francophones (AILF), et Thierry Millogo, propriétaire des librairies Mercury au Burkina Faso, accompagnés de Jean-Baptiste Dufour, directeur export chez Volumen, et de Christophe Balme, directeur de la diffusion internationale chez Dilisco, ont ainsi démontré que les libraires francophones à l'étranger ne manquent pas d'initiatives pour faire face aux défis que rencontre la profession.

« LE MÉTIER NE DOIT PAS ÊTRE FIGÉ, QUAND ÇA CHANGE, IL FAUT CHANGER. » THIERRY MILLOGO, LIBRAIRIES MERCURY, BURKINA FASO- Photo OLIVIER DION

Des "librairies par terre"

Ouvrant le bal, Thierry Millogo a rappelé la nécessité "d'aller chercher les lecteurs en dehors des quatre murs de la librairie. Pour que les Burkinabais puissent lire, il faut fabriquer les conditions favorables et créer de l'événementiel". Et de raconter qu'il a confié à trois de ses libraires le soin de sillonner salons et conférences de Ouagadougou, "parce que l'argent y circule", d'installer des rayonnages dans les salons de coiffure et les magasins d'alimentation afin de "favoriser l'achat d'impulsion" et d'improviser des "librairies par terre", un réseau de revendeurs très mobiles disséminés dans toute la ville.

"QUEL EST L'INTÉRÊT D'ENSEIGNER LE FRANÇAIS S'IL N'Y PAS DE LIVRES À LIRE DERRIÈRE ? MICHEL CHOUEIRI EL BOURJ, BEYROUTH- Photo OLIVIER DION

Exposant tour à tour leur propre expérience, ses trois confrères insistent sur l'importance de sortir de ses murs. En Australie, Jacques Bernard se promène régulièrement au gré des festivals avec "une librairie-valise" qui lui permet de présenter une sélection de l'offre éditoriale francophone, alors que de l'autre côté du Pacifique, Maryline Noël a commencé en 1996 par une "librairie-Tupperware". Elle installait des expositions-ventes chez les particuliers "pour aller là où les gens sont".

"On ne peut pas penser faire une librairie francophone pour des expatriés. Il faut avant tout faire une librairie pour les locaux." MARYLINE NOËL, LE COMPTOIR, SANTIAGO DU CHILI- Photo OLIVIER DION

Prolixe, la libraire en profite pour pointer une autre réalité : privilégier la population locale. "On ne peut pas penser faire une librairie francophone pour des expatriés. Il faut avant tout faire une librairie pour les locaux", assure Maryline Noël. Au Forum de Fremantle, Jacques Bernard est d'abord tombé dans le piège. "C'était une erreur. Alors j'ai essayé de vendre des livres aux kangourous, mais ça n'a pas marché", ironise le libraire, qui s'est finalement orienté vers les écoles australiennes qui enseignent le français et les associations d'enseignants francophones. Aujourd'hui, la clientèle française représente 10 % de son CA.

"J'avais conçu ma librairie pour les expatriés. C'était une erreur. Alors j'ai essayé de vendre des livres aux kangourous, mais ça n'a pas marché." JACQUES BERNARD, FORUM, FREMANTLE, AUSTRALIE- Photo OLIVIER DION

Pragmatique, Thierry Millogo revient à la charge et préconise également de s'adapter aux spécificités : "La lecture "littéraire ", pour le plaisir n'est pas une pratique courante au Burkina Faso. On ne peut pas s'en sortir en ne proposant que des classiques." Au sein de ses quatre librairies, il met donc en avant, pour combler les attentes de ses clients, livres de développement personnel et pratique. Un secteur qu'a également privilégié Maryline Noël et qui lui a permis de sauver son Comptoir il y a cinq ans. De la même façon, Michel Choueiri, qui a noté qu'au Liban la lecture plaisir se faisait en français ou en arabe alors que l'anglais était plébiscité pour la lecture utile, module la langue de son offre, trilingue, selon les secteurs.

"Le prix est le coeur du problème. Nous appliquons par exemple une décote de 30 à 40 % sur les livres qui concernent le pays." JEAN-BAPTISTE DUFOUR, VOLUMEN- Photo OLIVIER DION

Au chapitre des difficultés, écoles et institutions françaises installées à l'étranger ont été unanimement pointées du doigt. Préférant passer leurs commandes via des grossistes qui affichent des remises de 25 %, elles sont accusées de fragiliser la librairie locale et, pour Michel Choueiri, ne font "qu'à moitié leur travail. Quel est l'intérêt d'enseigner le français s'il n'y a pas de livres à lire derrière ?", se demande le président de l'AILF.

"Il nous est impossible d'aller partout pour une simple question de retour sur investissement. Le numérique est une des pistes." CHRISTOPHE BALME, DILISCO- Photo OLIVIER DION

Abandon de marge

Très vite, une autre interrogation a occupé le devant de la scène, faisant réagir l'auditoire : "Que font les éditeurs et les distributeurs pour nous accompagner sur le terrain ?", résume Thierry Millogo. Du côté de Volumen, Jean-Baptiste Dufour répond prix : "C'est le coeur du problème. Nous appliquons par exemple une décote de 30 à 40 % sur les livres qui concernent le pays." Outre l'abandon de marge, Dilisco place ses espoirs dans le numérique pour apporter davantage l'information aux libraires. "Il nous est impossible d'aller partout pour une simple question de retour sur investissement", explique Christophe Balme, qui fournit environ 260 librairies francophones dans le monde entier.

Dernier point abordé , la concurrence du Net et du numérique, alors que quelques interventions dans la salle revenaient sur le problème des prix et des délais de livraison. "Le problème doit s'appréhender au cas par cas, selon les pays, où les situations diffèrent beaucoup", analyse Michel Choueiri. Ainsi, si Maryline Noël, désappointée, s'interroge sur sa place dans ce marché, dans un pays "très technophile", Jacques Bernard, qui a développé très tôt un site marchand, y voit plutôt une opportunité d'étendre son aire de jeu à toute l'Océanie. C'est Thierry Millogo, pour qui "le métier ne doit pas être figé, quand ça change, il faut changer", qui aura finalement le dernier mot sur le sujet en adaptant un proverbe africain : "Si tu ne t'occupes pas de ton client, un autre s'en occupera."

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