Entretien

François Bon : le parti pris du (e)livre

"Il s'agit d'entrer en contact avec ses lecteurs. Alors oui, pour cela le Web est un territoire propice. " - Photo OLIVIER DION

François Bon : le parti pris du (e)livre

Dans son Autobiographie des objets, François Bon amorce un inventaire de sa vie et de ses livres sur tous supports.

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Par Laurent Lemire,
Créé le 08.10.2014 à 20h37 ,
Mis à jour le 09.10.2014 à 18h33

La crise du livre, ce n'est pas vraiment sa tasse de thé ! Il y a un moment que François Bon a dépassé ce stade. Pour lui, la mutation a déjà commencé. Il l'avait expliqué l'année dernière dans un essai à l'intitulé sans ambiguïté, Après le livre. Dans son Autobiographie des objets, il y a bien une armoire à livres. Mais c'est pour mieux s'en débarrasser. Au sens métaphorique du terme. "Mon grand-père maternel était un fou de lecture. Je le suis aussi. Ce qui a changé, ce n'est pas le plaisir, mais le support."

Pour appuyer sa démonstration, de son sac à dos, il extrait un MacBook. "Avec ça, je peux tout faire !" En effet, il peut dans l'instant plonger dans Baudelaire, Poe ou Rimbaud, entrer dans les bibliothèques du monde entier, satisfaire son appétit de lire, d'écrire, de converser. François Bon n'est pourtant pas un geek. La bonne cinquantaine tranquille, ce serait plutôt un rocker. Toujours de l'énergie à revendre et une passion pour la musique au moins aussi dévorante que pour celle des livres, comme en témoigne, dans le même sac, un casque audio dernier cri.

Rock et numérique

Le biographe des Rolling Stones, de Bob Dylan et de Led Zeppelin - il annonce une Ode à Jimi Hendrix pour 2013 - se souvient de sa première connexion à Internet. C'était en 1996. "Posez la même question à des étudiants, ils seront incapables de vous répondre, tant la chose leur est naturelle." François Bon sait de quoi il parle ; il anime un atelier d'écriture créative à Sciences po Paris, et il a observé la façon dont le numérique était aussi entré dans les cours.

L'écrivain n'était pas à la traîne dans ce domaine. Il fut l'un des premiers en France à créer un site Internet en 1997. A l'époque, on faisait le tour du Web dans une nuit... Aujourd'hui, une vie n'y suffirait pas. Ce nouvel outil a tout chamboulé, y compris les rapports à la lecture et bien évidemment au livre. Pour lui, ce fut une libération. "Quand j'étais jeune, on lisait Robbe-Grillet, mais Barthes n'arrivait pas jusqu'à Poitiers. Tout cela est fini." Dans son Autobiographie des objets, il confie ce qu'il doit aux bibliothèques, les familiales et les autres : "Je n'ai jamais manqué de livres. Ils sont passés dès l'enfance au premier plan d'une expérience de vie que la routine du bourg rendait assez médiocre."

Délivré par les livres, libéré par le numérique, François Bon a connu un beau parcours d'écrivain depuis Sortie d'usine en 1982 aux éditions de Minuit : une quarantaine d'ouvrages aux titres que l'on dirait sortis d'un album de Kraftwerk (Décor ciment, Temps machine, Parking, Paysage fer, Autoroute...), des expériences théâtrales, des rencontres, des amitiés, des interventions dans des universités étrangères et des fréquentations toujours assidues de Maurice Blanchot ou de Francis Ponge, auquel son Autobiographie des objets rend hommage. Et, bien sûr, il continue d'animer son site Tierslivre.net et la plateforme d'édition numérique Publie.net, qu'il a fondée en 2008.

Le droit à l'oubli

Pour expliquer le présent, il cite Balzac : "Toute poésie procède d'une rapide vision des choses." Et c'est vrai, le Web va vite. Trop vite quelquefois. En février 2012, François Bon est contraint par les éditions Gallimard de retirer de Publie.net la nouvelle traduction qu'il avait faite du Vieil homme et la mer d'Hemingway. Il ne regrette pas l'expérience. Depuis peu, il se passionne pour les dépôts légaux sur le Web.

Rien de ce que révèle la Toile ne semble lui être étranger. A ceux qui lui retournent qu'il y a sur ce Web bien trop de choses inutiles, il répond : "Etait-ce mieux avant ? Qui s'est intéressé lors de sa parution à Une saison en enfer ou aux Chants de Maldoror ? Le support ne suffit pas à la durée. Qu'est-ce qui reste d'Anaximandre ? Et pourtant, le papyrus était durable." Une façon de rappeler que le livre, numérique ou pas, a pour ennemis, comme le disait Valéry, le temps et son propre contenu...

En fait, c'est moins le trop-plein que la possibilité de faire le ménage qui inquiète François Bon. Sur le Web, rien ne s'efface. Il travaille donc pour le droit à l'oubli au moment où la British Library envisage d'archiver Twitter.

On l'a pris pour un militant de la cause numérique. Il s'en défend. "Si on n'a pas les mains dedans, on ne peut pas comprendre." La dématérialisation de l'imprimé est pour lui une chance à saisir pour écrire, mais aussi pour publier autrement. "Les gamins lisent sur tablettes ou sur téléphones. S'ils veulent leur proposer des livres, des textes, des idées, c'est là que les éditeurs doivent être aujourd'hui."

En tant qu'écrivain, il s'interroge aussi sur son travail, sur sa bibliothèque et sur son statut dans ce nouvel environnement numérique et nomade. "C'est un peu facile de qualifier cette jeune culture de culture rapide, de culture zapping ou de non-culture. C'est une culture différente, et la littérature peut recommencer à partir de ce moment-là. C'est à nous, écrivains, mais aussi éditeurs, d'amener les jeunes vers une lecture plus dense. La tâche est rude mais elle n'est pas désespérée."

Quant à la disparition du livre, elle lui semble irrémédiable. Parce que toute technologie est appelée à disparaître pour laisser place à une autre. "L'imprimerie comme le numérique sont des technologies. L'histoire du livre continue de mobiliser des technologies à son service. Pour autant, je ne vois pas de modèle de transition. La tablette d'argile a subsisté trois siècles après l'arrivée du rouleau. Puis elle a disparu. Seul le texte est resté."

"Une histoire à déplier."

Mais alors, qu'entend-on par livre ? Quel est cet objet qui nous renvoie à tant d'autres ? "Dans les vieux livres, on cherche notre aventure." Peu lui importe la forme ou le format. Cet enfant du rock a tourné la page. Il est au chapitre suivant. "L'écriture en ligne, c'est maintenant un vrai plaisir en tant que tel." Et pourtant, dans cette Autobiographie des objets, il a voulu raconter tout ce qu'il devait au papier. "C'était pour moi une histoire à déplier." Curieux, dira-t-on, de la part d'un écrivain qui s'est fait l'apologiste du numérique. Pas du tout, rétorque François Bon. Il n'y voit ni malice, ni nostalgie. "Ma mère est en train de perdre la mémoire. J'ai voulu garder un peu de tout cela avant que tout ne disparaisse." Tout cela, c'est-à-dire la France des années 1960-1970 avec les Teppaz, les Télécran, l'encyclopédie Tout l'univers, la règle à calcul, les balbutiements de l'électronique. Tous ces objets donc, mais aussi les fantômes qu'il y a derrière, à commencer par l'évocation de deux grands-pères.

Dans cette révolution, sans doute encore plus importante que celle de Gutenberg, François Bon n'élude ni la passion, ni la raison. Comment les écrivains vont-ils résister aux mastodontes comme Amazon ou Google ? Le droit d'auteur a lui aussi changé avec le Web et son économie particulière. Les musiciens en ont fait les frais avec le MP3 et le téléchargement. Avec l'arrivée du Web, ils ont eu recours à la scène pour survivre. François Bon estime que les auteurs doivent faire de même. Par les blogs, par des lectures, des animations en librairie, des ateliers d'écriture. "Il s'agit d'entrer en contact avec ses lecteurs. Alors oui, pour cela le Web est un territoire propice."

On se dit alors que l'Autobiographie des objets aurait pu générer un site dans lequel il aurait mis ses brouillons. "C'était prévu. Mais le Seuil n'a pas voulu."

Autobiographie des objets de François Bon, Seuil, 288 p., 19 euros, ISBN 978-2-02-108839-7, en librairie le 23 août.

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