avant-portrait

Quoi de mieux, pour installer sa collection de courts pamphlets aux Belles Lettres, "Les insoumis", que de faire appel à quelqu’un de confiance ? C’est ainsi que Patrick Smets, blogueur belge, a recruté son compatriote et ami François Monti, blogueur belge installé à Madrid depuis 2009. "Ma compagne est espagnole, explique- t-il, et, ici, la vie reste agréable, malgré tout." On le croit volontiers.

Mais encore fallait-il trouver un sujet qui l’inspirât. Il fut un temps envisagé de s’intéresser à l’édition, un marronnier souvent cultivé. Mais Monti, qui se trouve être à la ville un spécialiste ès cocktails, a préféré traiter de l’alcool, plus exactement de ses Prohibitions : du gin dans l’Angleterre vertueuse du XVIIIe siècle, du whisky et du reste aux Etats-Unis, de 1919 à 1933, et de l’absinthe dans la France en guerre de 1915. Avec, chaque fois, le même constat : "C’est toujours une histoire de conflits d’intérêts entre différents lobbys, arbitrés par des Etats parfaitement hypocrites. Les lobbys ne sont pas là pour se soucier de santé publique. Quant aux pouvoirs publics, ils usent à la fois, à l’égard de populations plus ou moins consentantes, de sévérité et d’infantilisation, tout en tirant de l’alcool des revenus considérables. Le "protégez-moi de moi" me paraît quelque chose de dangereux."

Né à Liège en 1982, François Monti a suivi des études de journalisme à Bruxelles, collaborant à différents blogs littéraires. Comme il éprouvait un intérêt marqué pour l’alcool, les spiritueux et les cocktails, apprenant même, barman occasionnel dans des soirées thématiques, à manier le shaker ("Mon cocktail préféré est El Presidente, dit-il, qui va fêter ses cent ans l’an prochain. Inventé pour le président cubain Menocal, il se compose de rhum Havana Club trois ans d’âge, de vermouth de Chambéry, bien spécifique, de curaçao et de grenadine"), il est devenu collaborateur du magazine Ginger. Un semestriel de référence et indépendant, qui est aux boissons alcoolisées ce que L’Amateur de cigare est au havane, dirigé par Fernando Castellon, auteur de la nouvelle mouture du Larousse des cocktails (paru en 2004). Monti travaille aussi pour Havana Cocteles, le blog de Havana Club, pour qui il effectue de nombreuses recherches sur l’histoire des cocktails, mal connue, "notamment en France où l’on préfère le vin". "Je m’intéresse beaucoup à "l’école cubaine", poursuit-il, créée, à partir de la prohibition, par des barmans américains en exil et les quintineros cubains. C’est eux qui ont inventé le fameux Cuba libre, mais en 1905, et non après la révolution castriste. Là-bas, on l’appelle "una menterita", "un petit mensonge" ! Hemingway, qui a fait beaucoup pour les cocktails, en était amateur, parmi d’autres."

Underground espagnol.

A Madrid, vivant au contact du monde hispanique, François Monti a un temps été traducteur de jeune littérature espagnole underground. On lui doit ainsi la version française de deux romans de Juan Francisco Ferré : Providence, "plutôt bien accueilli par la presse", et La fête de l’âne (publiés au Passage du Nord-Ouest, respectivement en 2011 et 2012). Et "un essai "compliqué" de critique culturelle, pointu mais amusant", Homo sampler d’Eloy Fernández Porta, paru chez Inculte en 2011. Pour l’instant, même s’il a quelques projets, le passeur avoue avoir un peu laissé tomber cette activité, "au processus long et plutôt mal payé"

L’expérience aurait pu lui fournir le sujet du pamphlet d’origine, celui que Patrick Smets souhaitait, mais Monti a préféré résolument revenir à ses chères boissons. L’absinthe, par exemple, dont le nom seul véhicule encore fantasmes, peurs et mensonges. "L’idée que "ça rend fou" est fausse. L’absinthe a été interdite en France en 1915 afin que cette boisson transgressive de la bohème artistique et littéraire (Verlaine, Rimbaud, Jarry…) ne contamine pas le vulgum pecus : les ouvriers, les jeunes, chair à canon qui devait aller se battre au front. La seule interdiction qui demeurait, celle de la dénomination "absinthe", a enfin été levée en 2010 grâce à l’Union européenne, qui a fixé un taux légal maximal de thuyone, son principe actif. On fabrique et on consomme aujourd’hui de l’absinthe qui aurait pu être la "fée verte" des poètes."

François Monti, qui confie travailler actuellement à une vaste histoire culturelle des cocktails, est intarissable sur sa partie : "Des boissons à consommer non pas avec "modération", mais avec "responsabilité". Le vrai débat, c’est comment concilier la liberté avec la santé."

Jean-Claude Perrier

Prohibitions, François Monti, Les Belles Lettres, collection "Les insoumis", 73 p., 9,50 euros, ISBN : 978-2-251-23003-0. Mise en vente le 14 février.

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