Réédition

Françoise Benhamou : "Le livre reste un objet nomade"

Olivier Dion

Françoise Benhamou : "Le livre reste un objet nomade"

A l’occasion de la réédition augmentée de L’économie de la culture, Françoise Benhamou analyse pour Livres Hebdo les dernières mutations d’un secteur bouleversé par le numérique, dont elle analyse les transformations depuis plus de vingt ans.

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Par Laurent Lemire
Créé le 20.10.2017 à 12h49

Depuis la dernière mise à jour de L’économie de la culture (1) il y a six ans, il s’en est passé des choses ! Françoise Benhamou en convient. "Certaines problématiques restent fortes, comme la loi de Baumol qui traduit l’incapacité de certaines activités culturelles à la rentabilité. L’analyse est juste, mais les conclusions sont fausses, notamment pour le spectacle vivant. Depuis les années 1960 où fut élaborée cette théorie économique, ce secteur a trouvé d’autres formes de revenus et de financement."

C’est aussi vrai pour d’autres industries culturelles, comme celle du livre. "L’édition a cherché la solution dans un monde en crise. Elle a surtout compris qu’il fallait s’adapter sans compter sur les subventions. Le livre se distingue des autres secteurs culturels par sa capacité à résister avec peu d’aides publiques. La force de cette résistance s’est ancrée autour de la loi Lang. Elle a permis de préserver un tissu de magasins qui fait que l’on trouve des livres un peu partout en France."

 

"On reste attaché au papier"

Face au bouleversement numérique, le livre a tiré son épingle d’un jeu de massacre grâce à sa spécificité. "Le livre reste un objet nomade. Sa force réside dans sa mobilité, dans le fait qu’on peut le transporter partout comme un smartphone, mais sans avoir de batterie à recharger. C’est son atout majeur par rapport à la musique ou au cinéma. Sans compter qu’en France, on reste attaché au papier, autant par tradition que par facilité d’usage."

Dans son vade-mecum efficace de l’économie culturelle, qui en est à sa 8e édition depuis 1996, l’enseignante à l’université Paris-13, membre de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), constate le développement lent du marché du livre numérique en France - hors le domaine scientifique qui a migré en quasi-totalité vers le numérique - et la concentration dans l’édition avec des groupes de plus en plus importants. "C’est une réponse économique qui n’est pas forcément inquiétante dans un univers très concurrentiel, notamment en matière de diffusion. L’édition s’adapte à un marché qui demande une mutualisation des forces pour continuer de faire entendre sa voix et garantir son indépendance."

De même, elle se montre optimiste au sujet des nouveaux modes de financements liés aux réseaux sociaux. "On ne peut les éviter et ils ont leur utilité dans le registre de la culture. Ils installent une économie de recommandation et entraînent des relations particulières entre créateurs, médiateurs et utilisateurs. Avec eux, le monde culturel propose une multitude de lieux dans lesquels il est justifié d’investir. Les nouveaux modèles de financements participatifs passent aussi par le numérique. Le crowdfunding est un outil pour de nouvelles ressources. Prenez la plate-forme Ulule, cela marche pour les librairies. Mais cela implique des clients motivés dans un projet précis."

 

De nouvelles stratégies

D’une manière générale, Françoise Benhamou considère que les difficultés rencontrées dans le monde de la culture l’ont obligée à trouver des solutions qui ne passaient pas forcément par des subventions. "Les entreprises culturelles ont même servi de laboratoires pour d’autres industries par leur manière d’aborder la révolution numérique : en inventant de nouvelles stratégies, en investissant dans le spectacle et les concerts pour le secteur de la musique qui avait perdu la moitié de son chiffre d’affaires en dix ans. Elles ont de surcroît bénéficié d’une taxe prélevée sur les opérateurs de télécoms, pour financer le cinéma et l’audiovisuel."

Françoise Benhamou considère que la culture dans son ensemble n’est pas un secteur déficitaire, et qu’elle infuse dans l’ensemble de l’économie d’un pays. "L’économie de la culture est une économie du risque, de la singularité, de l’incertitude. On ne peut pas amortir tous les produits sur un marché restreint. En revanche, 1 % du budget de l’Etat, franchement, c’est peu de chose. Cette petite part reste essentielle pour créer un mouvement. Le modèle français, avec son système certes interventionniste, prend pleinement son sens dans un monde en pleine mutation où l’on s’interroge sur la gratuité, sur l’accès pour tous et la rémunération des créateurs. Entre servitude volontaire et révolte citoyenne, nous avons la maîtrise de nos choix. La culture est le laboratoire social de la démocratie. Comprendre cela, c’est entrevoir l’avenir d’un secteur sans trop de craintes."

(1) L’économie de la culture, Françoise Benhamou, La Découverte, "Repères", 130 p., 10 €. ISBN : 978-2-7071-9704-7

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