19 avril > Histoire littéraire France

L’histoire entre Hervé Guibert (1955-1991) et Eugène Savitzkaya, c’est d’abord une banale relation entre deux jeunes écrivains, à travers leurs livres. En 1977, Guibert découvre Mentir, le premier roman publié de Savitzkaya, chez Minuit. Il l’aime, et envoie en retour à l’auteur de La mort propagande, son propre premier opus, qui vient de paraître chez Régine Deforges. Durant quatre ans, les rapports en resteront là, cordiaux, renforcés par leur participation à Minuit, la revue littéraire qu’animait alors Mathieu Lindon. En 1981, on passe juste au tutoiement. Le grand tournant se situe en 1982, quand Hervé encense Eugène dans Minuit, après leur première rencontre à Paris, le 21 février. A partir de là va se développer ce qui ressemble à une relation amoureuse, tout au moins du côté de Guibert, avec l’excès qu’on lui connaît. C’est lui qui prend les initiatives, se plaignant sans cesse de la froideur de l’autre, qu’il « adore » (en 1983), de son jeu « retors » parce qu’il essaie encore de se protéger de cette véritable furia. Hervé délire, harcèle Eugène afin qu’il vienne le rejoindre, en 1984, à l’île d’Elbe où il a ses habitudes. Et l’épisode se conclut par : « Je suis un amoureux désastreux. » A partir de 1985, lui et sa « merveille » collaborent tous deux à L’Autre Journal, l’« olni » de Michel Butel, avec qui ça ne se passe pas très bien. Problèmes d’argent, vacheries de Marguerite Duras, autre pigiste du journal. Hervé s’excuse d’avoir entraîné Eugène dans cette galère. La dernière lettre publiée de leur échange date de janvier 1987. Signée par un Hervé un peu mélancolique, presque apaisé, détaché. Après quoi, ils partent tous deux pour Rome, pensionnaires à la villa Médicis jusqu’en 1989. Se voyant tous les jours, plus besoin de s’écrire. Ensuite, le sida qui frappe Guibert deviendra sa principale source d’écriture.

De toutes ses correspondances, il avait souhaité que seule celle-ci soit publiée, avec l’accord de Savitzkaya, lequel signe en post-scriptum un texte halluciné, écrit à la mort de son ami. S’agissant de cette relation épistolaire unique, on ne perd jamais de vue qu’on a affaire à des écrivains, entre le rêve et la réalité. C’est une curiosité émouvante, une jolie bribe d’histoire littéraire.

Parallèlement, la collection « L’arbalète » réédite Vice, publié par Guibert chez Jacques Bertoin à l’automne 1991, juste avant sa mort, avec ses photographies d’origine. Un recueil de textes plutôt courts, organisé en deux parties : « Articles personnels » et « Un parcours ». Un inventaire d’objets touchant tous au corps, certains célébrés dans des poèmes en prose surréalisants, et un itinéraire à travers des lieux fantastiques et morbides, comme les catacombes de Rome où gît le corps momifié d’un enfant. La mort, obsession première de Guibert depuis toujours, surtout quand la sienne devint imminente. J.-C. P.

 

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