Elle se déchausse avec la grâce impertinente d'une femme chez qui le goût de la liberté ne passe pas. Marie Cosnay aime être pieds nus, mais n'aime pas se souvenir. « C'est trop angoissant. Je jette le passé, je jette tout. » Demandez une date, un fait, ce qu'il y avait dans tel livre écrit il y a quinze ans - son premier roman date de 2003 -, ou même récemment ; je ne sais plus, je ne me rappelle pas exactement, s'excusera-t-elle, tout sourire.

 

« Loin de tout »

 

Marie Cosnay, c'est hic et nunc, ici, maintenant, et « toujours plus ». L'auteure d'Epopée, son troisième livre aux éditions de l'Ogre, a gardé le côté exalté qu'elle n'a cessé de nourrir par de vastes rêves depuis son « enfance heureuse et solitaire » dans une maison familiale « loin de tout » dans les Landes. « Je pensais qu'il allait m'arriver quelque chose de merveilleux », confesse-t-elle. Elle, ses sœurs, leur voisin Hugues et leur chien partaient à l'aventure à l'instar des Six compagnons, petits héros éponymes d'une série de romans pour la jeunesse qu'elle dévorait. « On avait kidnappé un garçon et exigé une rançon à sa mère », raconte-t-elle en riant encore de l'enlèvement facétieux. Pensionnaire chez les Ursulines - « très jeune, car j'avais sauté une classe » -, Marie Cosnay était fréquemment à l'infirmerie à cause de l'asthme et d'autres maux chroniques ; là, outre les soins que lui prodiguait la sœur infirmière, elle se voyait confier La légende dorée de Jacques de Voragine et des hagiographies illustrées : « On était à deux pas de Lourdes, et je voulais la tuberculose comme Bernadette Soubirous. » Evidemment. A moins de l'absolu, rien ne vaut. Les traces de la sainte de Lourdes, Marie Cosnay les raconte dans Aquerò, son livre précédent.

 

Professeure de latin

 

Dans Epopée, poétique whodunnit existentiel sur fond de violences, on retrouve Zelda et Ziad, des personnages « sortis un peu écornés » de Cordeliala guerre (L'Ogre, 2015), un Roi Lear de Shakespeare revisité au prisme d'une femme puissante. Marie Cosnay a beau dire que sa mémoire flanche, elle n'oublie pas ses classiques, et notamment ceux de l'Antiquité gréco-romaine. Longtemps professeure de
latin, elle a retraduit Les métamorphoses d'Ovide (dans une magnifique édition, toujours chez L'Ogre) et prouve que ce chef-d'œuvre en langue morte est de la littérature vivante.

 

De la mémoire, elle dut avoir aussi lorsque, comédienne, elle apprenait ses textes. Cette passion des planches se sera véritablement exprimée à la Cave poésie, à Toulouse, où elle est étudiante en faculté de lettres, et se poursuit à Paris, entre autres, avec Françoise Lebrun, mémorable dans La maman et la putain d'Eustache, qui lui apprend la diction de l'alexandrin. Et les répliques de Mouchette à l'abbé Donissan (rôle tenu par Jean Reno, future vedette de Léon de Luc Besson), Marie Cosnay a bien dû s'en souvenir quand elle joua le roman de Bernanos adapté par ses soins pour le théâtre... mais on comprend, à voir comment elle s'enthousiasme pour ses prochains projets ou parle de son implication dans une association pour l'accueil des migrants, qu'il ne s'agit pas tant d'amnésie ou de haine de la nostalgie qu'une volonté de s'inscrire dans le vivant, d'être encore et toujours dans l'élan. Pour Marie Cosnay comme pour Apollinaire, « Rien n'est mort que ce qui n'existe pas encore ».

Marie Cosnay
Epopée
Éditions de l’Ogre
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 21 euros, 336 p.
ISBN: 978-2-37756-019-6

En dates


1965

Naissance à Bayonne


1987

Rencontre avec René Gouzenne, qui anime

la Cave poésie


1993

Adaptation et représentation de « Sous le soleil

de Satan »

de G. Bernanos,

au théâtre Hébertot


1997

Retour

au Pays basque


2008

Premier roman, « Que s'est-il passé ? » 

(Cheyne éditeur)


2017

Traduction des « Métamorphoses » d'Ovide

(éditions de l'Ogre)

 

21.09 2018

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