L'illettrisme a été élu grande cause nationale 2013 par le premier ministre. Cela a donné lieu à un spot radio qui n'a pas été commenté et pourtant qui interroge à la fois sur ses résultats et sur ses finalités. «  Il était une fois un pays où 2,5 millions de personnes ne savaient ni lire ni écrire. Elles avaient appris dans leur enfance et puis au hasard de la vie, elles avaient oublié. Elles ne comprenaient pas les notices des médicaments ni les menus au restaurant et le soir elles ne pouvaient pas lire d'histoire à leurs enfants...  (voir le spot )» . Cette histoire est racontée comme un conte pour enfant sauf qu'elle vise exclusivement les adultes. Les personnes concernées sont parmi les moins riches de notre population et ils n'ont pas  forcément les moyens de s'acheter des médicaments ou d'aller au restaurant. Ils sont nettement plus nombreux parmi les tranches d'âge les plus âgées et n'ont donc plus d'enfants en âge de se faire raconter des histoires. Par-delà ces invraisemblances, il s'agit de mobiliser (c'est-à-dire de construire) l'opinion publique autour de l'enjeu de la maîtrise de la lecture et de l'écriture. Mais en quoi ce spot peut-il contribuer à améliorer effectivement le sort des personnes concernées ? En l'écoutant, les personnes qui sont en délicatesse avec l'écrit auront compris que leurs difficultés ne sont pas jugées acceptables dans notre société de « lettrés ». Ils ne savaient pas lire et voilà qu'ils se découvrent illettrés c'est-à-dire marqués négativement dans le regard des autres. Ils se trouvent réduits à leur stigmate là où ils pouvaient composer avec leurs lacunes et continuer à se valoriser par leur générosité, leur habileté et chercher à se fondre dans une vie « normale ». Le spot a réussi à réveiller l'attention de la masse de la population sur leur situation qu'ils cherchent à faire oublier et dans laquelle ils ne se complaisent pas tous pour autant... La mise en scène du spot donne l'impression qu'il s'agit de réveiller « l'émotion des classes cultivées » selon l'expression que J. Hébrard utilisait dès 1986... Mais la bonne volonté ne suffit pas à faire disparaître la stigmatisation. Comment penser que les personnes ainsi désignées vont se sentir motivées pour se diriger vers des formations qui les désignent à ce point négativement ? Ne vont-ils pas à juste titre se tenir à l'écart de ces dispositifs disqualifiants ? Les effets de stigmatisation par la construction de l'illettrisme comme problème social sont repérés depuis longtemps (par exemple par B. Lahire dans L'invention de l'illettrisme , 1999) et il est frappant de constater, malgré cela, la persistance de cette tentation là où la « véritable » lutte contre l'illettrisme supposerait une action discrète et de proximité. S'il ne s'agit pas d'aider réellement les personnes en situation d'illettrisme, quelle peut bien être la finalité d'une telle campagne de communication ? On a l'impression que la reconnaissance de l'importance de la cause par le label « grande cause nationale » sert à faire exister la cause...  Comme si le repli de la proportion de personnes en situation d'illettrisme dans la population entre 2004 et 2012 (de 9% à 7%) risquait de voir le sujet disparaître.  A moins que la lumière sur l'illettrisme soit une façon de valoriser la lecture et sa place dans notre société à l'heure où son statut anciennement prééminent est menacé par la force implacable des chiffres... promouvoir la lecture par l'illettrisme...
15.10 2013

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