Voilà quatre jours que nous vivons sans eau. Rien à voir avec le réchauffement du climat qui fait si peur à Al Gore et à quelques autres Verts de toutes les couleurs. Simplement mon incapacité à changer un joint (catégorie plomberie, pas drogue douce) oblige ma famille à stocker des carafes d’eau, au cas ou… Une prise électrique (trois actuellement dans le bureau de ma femme) qui ne fonctionne pas, et c’est pareil. Nous voilà totalement dépendant d’un plombier, d’un électricien ou finalement de « quelqu’un qui sait ». Des ouvriers manuels, des hommes à tout faire, discrets comme la violette sous la mousse, coûteux comme le caviar de la Caspienne. Tout ça, c’est l’histoire de ma vie. Ne prenez pas vos mouchoirs : je sais, en effet, faire la lessive (quand la machine n’est pas en panne) et la vaisselle (même si la machine est en panne), je sais même repasser mes chemises ( le devant et les poignets, bref ce qui se voit quand on porte une veste). Vivre avec une féministe oblige à quelques concessions, je les ai faites après des années de résistance. Mais bricoler jamais ! Car mon père, qui était menuisier, n’avait qu’une peur : que j’emprunte ses outils. Or, premièrement c’était dangereux (il avait perdu trois phalanges avec une scie à ruban), deuxièmement je risquais de les endommager (l’ouvrier menuisier fabriquait lui-même ses outils : robot, varlope, etc), troisièmement je faisais des études secondaires, c’est à dire que je n’allais pas bien travailler (en classe) si je travaillais sur son établi. « Laisse moi faire » était sa façon de m’encourager. Pourquoi vous parler de cela ? D’abord parce que la fuite d’eau dans la cuisine nous empoisonne la vie. Et parce que je vais à la Foire aux livres de Brive en fin de semaine. Longtemps (23 ans), je ne suis pas allé à Brive. J’étais occupé le vendredi et le samedi car un journal du Dimanche, ça ne se fait pas le dimanche comme certains petits malins le croient mais principalement le samedi. Et puis j’avais un mauvais souvenir de la Corrèze originale. Toute ma famille vient de là, elle vient du blues (familial et corrézien). Mes parents morts, je n’ai pas un goût prononcé pour les cimetières, mes seules racines (comme les pissenlits) que chérissent pourtant les bouffeurs de curés du coin. Et puis, je me suis laissé entraîner l’an dernier à Brive autant pour m’éloigner des remugles journalistiques que pour découvrir le « train du cholestérol », spécialité germanocantine aussi cocasse qu’appétissante. Trois jours de foie gras ne font de mal à personne, sauf aux pisse-vinaigre et aux culs pincés. C’est dans les travées de la Foire que j’ai connu ma révélation. Pour Claudel ce furent les vapeurs d’encens près d’un pilier de Notre Dame, pour moi, plus modestement, ce fut une effluve d’étable près d’une table de livres de je ne sais quel éditeur (Robert Laffont, Gallimard ?). Un paysan venait, après avoir vendu ses produits acheter des livres. Tous les visages de mes oncles et cousins, tannés par le soleil, crevassés par le froid, ont défilé dans ma tête en un flash de plaisir. Quand j’ai rouvert les yeux, j’ai vu ces amoncellements de livres, tellement semblables à ceux que j’offrais à mon père pour occuper les dernières années de sa vie. Un homme que j’ai aimé et qui a, sans doute, décidé de mon avenir pendant mes tendres années. Je le revois, alors que j’étais enfant, assis sur une chaise de la salle à manger, après s’être lavé et avoir mis la soupe à cuire, en train de lire les pages sportives de son quotidien préféré. C’est sans doute là qu’il a fait de moi un journaliste. Ensuite, je suis devenu un homme du livre. A Brive j’ai bouclé la boucle l’an dernier. Quelques mois avant d’être viré de mon journal. La page « livres » dont j’avais la responsabilité était, paraît-il, trop « intello ». Ils ont eu raison, ce n’était plus une boucle. C’était une révolution !…
15.10 2013

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