Avant-portrait

Jacques Thorens dit qu’il voit de l’étrange partout, tout le temps. Au Brady, il n’a pas été déçu de ce côté-là. Et c’est avec un bienveillant sens du comique de situation qu’il a observé ce cinéma de quartier parisien, atypique salle du 10e arrondissement dont le cinéaste Jean-Pierre Mocky a été le propriétaire de 1994 à 2011 et où pendant deux ans au début des années 2000 ce garçon né en 1973 à Sofia en Bulgarie et arrivé en France à trois ans fut, entre autres activités, projectionniste.

Dans ce premier livre, Jacques Thorens s’essaie ainsi à la "biographie d’un lieu" et au portrait de ses "habitants", des amateurs d’une programmation de "cinéma bis", de films de (mauvais) genre mais surtout une faune hétérogène et majoritairement masculine de spectateurs solitaires, retraités, chômeurs, prostitué(e)s, exhibitionnistes… "Le mot "normal" et Le Brady ne se sont pas côtoyés souvent", note-t-il dès les premières lignes.

Le récit, éclaté en saynètes titrées, est plein d’anecdotes cocasses. Et même si Jacques Thorens précise que certains personnages sont composites, que certains noms et situations ont été modifiés, "tout ce qui paraîtra outrancier ou improbable est authentique", avertit-il. Comme l’histoire de ce spectateur surpris au premier rang en train de se faire griller des saucisses sur un réchaud de camping. Avec le panorama documenté d’une filmographie marginale, invisible ailleurs, se dessine aussi, intercalé, le portrait d’un Mocky en taulier, toujours au bord de la faillite, seul "SDF de la pellicule" à disposer d’une salle de son cinéma dédiée exclusivement à ses propres films. Mocky, l’incontrôlable, auteur lui-même de plusieurs livres autobiographiques dont récemment Je vais encore me faire des amis ! (Le Cherche Midi).

Mocky en taulier

Entré "naïvement" au Brady, équipé d’un CAP de projectionniste après des études d’arts graphiques puis une licence de cinéma à Paris-8 Saint-Denis, Jacques Thorens a commencé par accumuler des notes : "Je mettais en forme les histoires que je vivais tous les jours et que je racontais à mon entourage, sans ambition d’en faire un objet littéraire", se souvient-il. Des années plus tard, un jour de visite au Salon du livre de Paris, il parle de ces textes à Yves Pagès qui avait été son professeur à la fac. L’éditeur de Verticales demande à lire, accepte le manuscrit que l’auteur passera un an à retravailler pour trouver le bon montage.

Projectionniste, Jacques Thorens ne l’est plus. D’ailleurs, le métier tel qu’il l’a connu a pratiquement disparu, depuis l’équipement des salles en format de projection numérique. Mais il n’a pas quitté le milieu et occupe aujourd’hui un poste d’assistant de direction dans un cinéma indépendant. Le voilà, découvrant avec ce premier livre le monde de l’édition, curieux de tout, toujours. Nul doute qu’il trouve étranges ses mœurs et ses usages. Peut-être engrange-t-il des notes pour un futur livre ?

Véronique Rossignol

 

Jacques Thorens, Le Brady. Cinéma des damnés, Verticales, Prix : 21 euros, 354 p, Sortie : 8 octobre, ISBN : 978-2-07-010748-3

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