Les joueurs 5/6

Jean-Claude Gawsewitch : rester jeune

Jean-Claude Gawsewitch - Photo Olivier Dion

Jean-Claude Gawsewitch : rester jeune

Robert Laffont décrivait l’éditeur en "joueur" et en "pilier de casino". Cette semaine, avec Jean-Claude Gawsewitch, cinquième volet de notre série de six portraits d’éditeurs qui se sont illustrés par leur culot et leurs coups.

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Par Daniel Garcia,
Créé le 29.04.2016 à 02h00 ,
Mis à jour le 29.04.2016 à 15h48

"Une maison qui disparaît, c’est toute la profession qui souffre", commentait Jean-Claude Gawsewitch pour justifier, il y a dix ans (1), la reprise des éditions Balland alors en déshérence. En janvier 2014, c’est sa propre marque qui disparaissait. "L’année 2013 a été très mauvaise et les banques ne m’ont pas suivi. Etant le seul actionnaire de la maison, je ne peux pas continuer", avait-il expliqué à notre journal. Et, cette fois, il n’y a pas eu de coup de théâtre pour le sauver. On avait pourtant fini par le croire insubmersible : Jean-Claude Gawsewitch était le seul éditeur de la place parisienne à avoir déjà survécu à quatre rachats, deux dépôts de bilan et deux liquidations. Il s’en était toujours sorti et, chaque fois, il repartait avec cet enthousiasme communicatif qu’on aimait chez lui quand, l’œil pétillant, il vous confiait mezza voce, entre deux portes : "Je suis sur un coup."

Jean-Claude Gawsewitch en 1999, dans son bureau des éditions Ramsay.- Photo ED. RAMSAY

Cet art consommé de se remettre en selle a fini par buter sur une raison qu’au moment de refermer la porte de sa maison il a préféré taire pudiquement : sa santé. "Quand je pense que j’ai été hypocondriaque toute ma vie et que je n’ai pas pensé un seul instant que ça viendrait de là", dit-il aujourd’hui, se frappant le crâne. Il souffre d’une maladie nerveuse qui l’oblige à redécouvrir ce que chacun considère comme des évidences : "Marcher, ça a l’air si simple ! On en oublie que c’est votre cerveau qui commande d’avancer un pas devant l’autre."

Adrénaline

Lui qui prétendait : "La retraite est une perspective qui m’effraie" a bien été forcé de dételer, à presque 70 ans. Pas complètement, cependant, le contraire nous aurait étonné. "Ils sont quelques confrères à m’avoir manifesté chaleureusement leur sympathie et à m’avoir tendu le bras : Philippe Héraclès (NDLR : Le Cherche Midi), Jean-Daniel Belfond (L’Archipel) ou Hugues de Saint Vincent (Hugo & Cie)." C’est chez ce dernier qu’il a posé sa valise, en free-lance, s’employant à ruminer ce qui continue de le motiver : des coups. "On fait de l’édition avant tout parce qu’on aime les livres. En même temps, sauf dans les grands groupes, vous êtes seul et vous jouez votre vie en permanence. Mais c’était justement ce qui me plaisait. Dans le privé, je suis un joueur de poker. En étant éditeur, j’avais le sentiment de m’asseoir tous les jours à une table de poker. Parfois je gagnais, parfois je perdais. Mais j’avais besoin de renouveler mon adrénaline. L’édition m’a permis de rester jeune très longtemps."

Ses parents vendaient du tissu. Il a commencé par des études de médecine, avant de s’en détourner très vite : "J’étais destiné à devenir kiné, mais la perspective de manipuler des vieux toute la journée me déprimait." Il entre dans l’édition en 1973, chez Flammarion, comme représentant. Au bout de quelques années, il réalise son rêve : intégrer le service littéraire. Mais, en 1982, il revient à la vente, avec le poste de directeur commercial chez Ramsay. Le fondateur, Jean-Pierre Ramsay, s’en va quelques mois plus tard, ayant vendu sa maison à la Gaumont qui affiche alors des ambitions multimédias. Jean-Claude Gawsewitch est conforté à son poste et affronte le maelström de La bicyclette bleue, le best-seller à épisodes de Régine Deforges. Le second tome sera mis en place à 420 000 exemplaires, ce qui ne s’était encore jamais vu dans la profession.

Cet incroyable succès va aussi plomber la maison : les héritiers de Margaret Mitchell intentent un procès pour plagiat d’Autant en emporte le vent. La Gaumont, prenant peur, se retire en 1988 et cède la maison à Régine Deforges pour un franc symbolique. Deux ans plus tard, celle-ci gagne son procès, mais l’ardoise des frais d’avocats approche les six millions de francs (près d’un million d’euros). C’est trop lourd : Régine Deforges jette l’éponge. Dépôt de bilan, liquidation. Puis rachat in extremis par Michel Lafon. Avant un nouveau dépôt de bilan en 1998. Jean-Claude Gawsewitch est toujours là. Il s’accroche à son fauteuil comme à une bouée et se bat pour trouver un repreneur. Ce sera le groupe Vilo. Pour quatre ans.

En 2003, Jean-Claude Gawsewitch se décide à voler de ses propres ailes et ouvre la maison qui porte son nom. En dix ans d’existence, il aura publié plutôt à gauche. "A défaut de créer un fonds, j’ai du moins constitué un catalogue conforme à mes valeurs. je m’étais inscrit au PCF à 14 ans. Plutôt Mélenchon que Philippot !" Il a aussi engrangé quelques beaux succès. La fabrique du crétin, qui révèle Jean-Paul Brighelli au grand public (plus de 100 000 exemplaires vendus), par exemple, La machine à broyer sur les suicides à France Télécom ou Les intellectuels faussaires de Pascal Boniface.

A côté de tout

Mais quand il ferme sa maison, Jean-Claude Gawsewitch ne s’est pas enrichi. "On peut être joueur et ne pas être un homme d’argent", dit-il. Et d’enchaîner sur une revisite désabusée de son parcours : "Quand la première librairie Fnac s’est ouverte, je n’y ai pas cru ; quand l’informatique est arrivée dans nos métiers, je n’y ai pas cru ; je crois bien être passé à côté de tout."

L’autocritique n’épargne pas non plus ses méthodes de travail, lui qui aimait s’entourer de jeunes stagiaires féminines : "Il y avait tellement de livres, à la maison, que mes deux filles, sans doute intimidées, se sont mises à lire très tard. Elles n’ont pas voulu suivre mes pas, l’une est architecte, l’autre assistante sociale. Et je n’ai pas su donner la chance à quelqu’un, du coup personne n’a pris le relais après moi."

S’il gagnait au loto, il recommencerait, mais différemment. "Je remonterais une maison, mais cette fois en m’entourant de compétences. Je suis admiratif du travail de Hugues de Saint Vincent, qu’en même temps je découvre. Quand j’ai commencé dans le métier, le marketing n’était pas considéré comme un outil de vente. Hugo, lui, est très marketing. Sa manière de vendre, de sentir, de lancer un livre m’impressionne." Mais qu’on ne se méprenne pas : nulle tristesse, nulle amertume. "Françoise Verny l’a dit avant moi : l’édition, c’est quand même le plus beau métier du monde. J’ai le sentiment d’avoir bien vécu."

(1) Dans Le Monde des livres du 12 janvier 2006.

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