Portrait

Jean-Daniel Belfond : sans prétention

Jean-Daniel Belfond - Photo Olivier Dion

Jean-Daniel Belfond : sans prétention

En vingt-cinq ans, le fondateur de L’Archipel, éditeur touche-à-tout et éternel enthousiaste, a porté son groupe au 43e rang de l’édition française.

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Par Marine Durand,
Créé le 23.09.2016 à 17h00 ,
Mis à jour le 26.09.2016 à 10h34

L’Archipel est né en avril 1991 dans un 45 m2 rue Chapon, à Paris (3e), au troisième étage sans ascenseur. Parce qu’"on avait oublié que des livres, c’est lourd". L’anecdote plaît à Jean-Daniel Belfond, fondateur de la maison qu’il dirige avec son épouse, Isabelle Belfond. Il l’a fait écrire dans le dossier de presse réalisé pour les 25 ans du groupe, et la répète lorsqu’on le rencontre, un soir caniculaire de début septembre. C’est qu’elle a d’autant plus de saveur racontée dans le confortable bureau avec porte capitonnée de l’éditeur, où l’on entre après avoir traversé la cour du superbe hôtel de Villeroy, à quelques pas de la rue de Rivoli. Ces locaux, dont L’Archipel est propriétaire et qui accueilleront le 5 octobre la fête d’anniversaire du groupe, permettent de mesurer le chemin parcouru. "On s’est lancés avec La belle fille sur le tas d’ordures, un titre "offert" par Cavanna, jusque-là publié chez Belfond. Il s’est vendu à 18 000exemplaires, ça nous a donné l’impression que l’édition était un métier facile, s’amuse-t-il. Trois ans plus tard, mon banquier me conseillait de déposer le bilan."

Curieux de tout

Ce qui a sauvé Jean-Daniel Belfond de la faillite ? Le conseil avisé de l’éditeur québécois Alain Stanké, lui suggérant de publier le tout premier roman de Danielle Steel, encore inédit en France (Leur promesse se vendra à 22 000 exemplaires), et un virage plus commercial amorcé au milieu des années 1990. Jean-Daniel Belfond assume pleinement ce changement de cap, surjouant un peu le modeste : "J’aurais aimé avoir le talent d’éditeur d’un Jérôme Lindon ou d’un Paul Otchakovsky-Laurens, d’une Sabine Wespieser ou d’une Viviane Hamy. Mais avancer dans la vie, c’est être lucide sur ses talents et ses défauts." Aux dires du patron de L’Archipel, son développement rapide tient beaucoup au travail de ses équipes, et de certains collaborateurs. Olivier Philipponnat, actuel directeur littéraire, à ses côtés depuis le départ, ou encore Jean-Marie Saubesty, "directeur des ventes de génie" chez Hachette, chargé de la diffusion de ses livres jusqu’en 2000. "Il nous a fait gagner dix ans", se félicite Jean-Daniel Belfond. Les deux hommes se sont perdus de vue, mais Jean-Marie Saubesty "continue à suivre sa production, par amitié", et se souvient d’un "homme curieux de tout, à l’incroyable force de conviction pour défendre ses coups de cœur".

Intarissable lorsqu’il s’agit de parler de sa maison, de ses succès et parfois, sans honte, de ses échecs (la jeunesse), le fils aîné de Pierre et Franca Belfond, les fondateurs de Belfond, ne se laisse pas facilement emmener sur un terrain plus intime. "Je suis fils d’éditeur, mais je n’ai pas hérité d’une maison", rappelle-t-il avec le sourire, sans pour autant renier l’héritage culturel et intellectuel de ses parents. Son enfance s’est déroulée dans les livres, bien sûr, et auprès des amis écrivains du couple : François Nourissier, Eugène Ionesco, Jean-Louis Bory pour ne citer qu’eux. Si ce "littéraire contrarié", qui a vécu ses premiers émois avec Jules Vallès (L’enfant) ou Blaise Cendrars (Moravagine), n’a pas spontanément réglé son pas sur le pas de son père, il ne s’est jamais trop éloigné du livre. "En 1976, en première année à l’ESCP, mon premier réflexe a été de rejoindre le jury du prix Hermès, qui récompense un premier roman", raconte-t-il. L’école de commerce a le mérite de lui apprendre à manier les chiffres - "un éditeur doit savoir se servir des deux parties de son cerveau" - et de l’entraîner vers des postes formateurs. Après l’école, il prend brièvement la direction de l’agence photographique Universal Photo, puis passe par American Express comme rédacteur en chef de la revue de voyage. En 1988, enfin, un an avant que Pierre et Franca ne cèdent la majorité de leurs parts au groupe Masson, il est entré chez Belfond, faisant ses armes d’éditeur à la tête de la filiale Acropole avant de se lancer en solo.

Un archipel de marques

Un quart de siècle après son lancement, L’Archipel correspond à ce que Jean-Daniel Belfond voulait en faire : "un groupe d’édition généraliste composé de plusieurs labels ayant chacune une politique éditoriale propre". Ecriture publie des romans et des essais, les Presses du Châtelet développent la spiritualité, le bien-être et la santé, et le groupe possède depuis 2006 son propre label poche, Archipoche, locomotive de L’Archipel, qui écoule chaque année 400 000 volumes. Moins joueur que son père, connu pour ses gros coups (1), le fils maîtrise ses tirages et prend garde à ne pas constituer de stock inutile. Quant à ses plus grosses ventes, Le petit livre du calme de Paul Wilson (Presses du Châtelet, 1997, 200 000 exemplaires), La dernière valse de Mathilda de Tamara McKinley (Archipoche, 2006, 200 000) ou les Carnets secrets de Jean-Luc Delarue (L’Archipel, 2012, 115 000), elles dénotent une volonté de brasser un maximum de secteurs éditoriaux. "On lui a souvent fait le reproche de l’éclectisme, et il peut y avoir parfois un manque de goût, mais Jean-Daniel ne tente pas à l’aveuglette, il se renseigne pour savoir s’il est sur la bonne voie", remarque Albert Benloulou, ex-directeur des ventes d’Hachette, qui loue la "grande gentillesse" d’un ancien interlocuteur "resté très jeune".

Plutôt que d’éclectisme, l’intéressé préfère parler de "diversité dans la logique". "Je n’ai aucun problème à faire du grand public si ce sont de bons livres, à publier le docteur Denis Mukwege, pressenti pour le prix Nobel de la paix, en même temps que le premier polar de Philippe Candeloro."

Plus récemment, Jean-Daniel Belfond s’est aussi piqué de publier des classiques, à travers la collection "La bibliothèque des classiques" d’Archipoche, ou "L’intégrale illustrée", compilant toute l’œuvre d’Hugo, d’Austen ou de Shakespeare. L’éditeur met en avant la défense du patrimoine, mais il y avait aussi une place à prendre sur le marché. Sur ce plan, il n’est jamais à court d’idées. Début novembre il lance la collection "Décor express" avec Chats du Tao de Kwong Kuen Shan, un livre d’aquarelles à détacher disponible au rayon beaux livres. Suivra, en 2017, le nouveau label de papeterie Villeroi-Conti porté par Isabelle Belfond, designer textile de formation. Voilà qui ne devrait pas faire taire les mauvaises langues, qui prêtent à la maison un côté "fourre-tout". Mais Jean-Daniel Belfond s’en moque, et regarde sereinement vers l’avenir. "Je n’ai pas l’intention de faire plus de livres, ou de devenir Hachette ou Editis. Plutôt de continuer à donner la parole à ceux qui ont quelque chose à dire, et surtout, à m’amuser."

(1) Voir "Pierre Belfond : poker et passe", LH 1080, du 8.4.2016, p. 32-33.

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