Avant-Critique Nouvelles noires

Jo Nesbø, "De la jalousie" (Gallimard) : Affectif possessif 

Jo Nesbø - Photo © Thron Ullberg

Jo Nesbø, "De la jalousie" (Gallimard) : Affectif possessif 

En villégiature dans des contrées éloignées de ses bases, Jo Nesbø nous donne des nouvelles. Et ça lui va bien au teint, noir, et au ton, nécessairement concis.

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Par Jean-Luc Manet,
Créé le 01.07.2022 à 16h00 ,
Mis à jour le 04.07.2022 à 11h21

Si le talent du maître norvégien Jo Nesbø n'est clairement plus à démontrer, il est d'autant plus appréciable de le voir s'infliger de nouveaux challenges. Et là, le respect s'impose. Sûr que l'écriture qui charpente les aventures de son inspecteur Harry Hole nous est coutumière. Sûr que nous en connaissons les codes, les toiles, les chicanes, les concrétions quasiment. Alors, voir l'auteur concasser de la sorte les porcelaines de nos habitudes nous bouscule et nous ravit à la fois. Pour cadrer l'ampleur d'un contrepied digne de son compatriote Erling Haaland, évoquons d'emblée la première nouvelle : l'histoire d'un abracadabrant suicide assisté au-dessus de l'océan Atlantique. Le texte en question s'intitule « Londres », la destination du couple impliqué certes, mais surtout un clin d'œil appuyé aux dignes manières gentiment acides, entre Earl Grey velouté et brandy mortel, de vieilles ladies hitchcockiennes et autrices anglaises que vous reconnaîtrez sans peine. Irrésistible.

La suite n'est que dérives amères et dérapages mensongers, avec ou sans préméditation. En sept textes de longueurs et d'inspirations diverses se déclinent ainsi toutes les tendances du sujet inépuisable autant qu'ancestral de la jalousie, comme annoncé dès le frontispice du recueil. À croire que depuis Edvard Munch et ses onze tableaux sur le thème, la jalousie est un refrain ultra-populaire au royaume de Norvège. De « Déchets » en « Aveux », les situations dégénèrent avec une cadence de métronome, pour une place dans la file d'attente d'un magasin, pour des raisons vénales ou simplement animales, pour la déliquescence du quotidien domestique, pour des névroses aberrantes ou du cartésianisme moche. Même le Whole Lotta Love de Led Zeppelin s'en mêle, en inopportune sonnerie de téléphone, entre les coups de sang sauvages et les indemnités de la haine froide. Et puis il y a Odd Rimmen, écrivain perclus de défiance et de tergiversations qui sans nul doute ont souvent dû effleurer un Jo Nesbø peu enclin pourtant à l'introspection à découvert. Une autre belle raison inédite de nous jeter dans les affres « de la jalousie ».

Mais, avant d'établir ouvertement l'indispensabilité, pour l'appuyer surtout, il nous faut mettre en exergue ce tangible « Phtonos », longue plage de noir ensoleillée par les îles grecques et leurs falaises calcaires où s'agrippent les souvenirs d'escalade et le passé indélébile de l'inspecteur Nikos Balli. Doté de ce nouvel officier, Jo Nesbø barbote avec bonheur au milieu de ses algues de prédilection, polar, enquête, flic cabossé, usurpation gémellaire... Cette pièce maîtresse du livre, soit 150 pages baptisées dans leur version française du nom de la représentation divine de la jalousie dans la mythologie hellénique (plus sobrement minimisées en L'homme jaloux dans toutes les autres langues, jusqu'à cet imprononçable Sjalusimannen en VO), développe à tâtons les règles d'un jeu de miroirs fait de culpabilités parallèles et de connivences douloureuses. Nous plongeons sans réserve dans ses remous limpides, légers, Égée, puisque tout le monde a (devrait avoir) droit à des vacances. C'est de saison. Et nous profitons de celles de Jo Nesbø avec grand plaisir.

Jo Nesbø
De la jalousie Traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier
Gallimard
Tirage: 30 000 ex.
Prix: 19 € ; 544 p.
ISBN: 9782072946868

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