28 octobre > Roman Etats-Unis

Tout irait bien dans la vie de Joe Coughlin s’il n’y avait cet enfant. Cet enfant blond en knickerbocker, joueur, craintif, qu’il est le seul à voir. Cet enfant qui n’existe pas, fantôme énigmatique venu du pays de ses fautes. Tout irait bien s’il n’y avait aussi cette tueuse qui, du fond de sa prison, l’informe qu’un contrat est dressé sur sa tête. Depuis ce jour, dix ans auparavant, où sa femme tombée sous les balles de ses ennemis mourut entre ses bras, Coughlin croyait en avoir fini avec cette menace. Ayant quitté la direction opérationnelle de sa famille mafieuse, il s’est reconverti en homme d’affaires avisé, "monsieur bons offices" entre Tampa (Floride) et Cuba, conseiller occulte et précieux de tout ce que la Mafia compte d’éminences. Il n’a que deux faiblesses : l’une connue, son fils qu’il entoure d’un amour inconditionnel ; l’autre qui l’est moins, sa maîtresse, femme du maire de la ville dans le civil. Qui pourrait en vouloir à ce drôle de paroissien, charismatique, élégant, et indispensable à la bonne marche des affaires de tous ? Seulement voilà, dans l’Amérique de 1943 qui oublie la prohibition dans l’ivresse des bombes sur le Pacifique ou l’Europe, cette Amérique qui n’est plus tout à fait celle de Meyer Lansky ou Lucky Luciano, quelque chose a changé, le fond de l’air ou celui des choses et faute de l’avoir vraiment compris, Joe Coughlin devra l’apprendre à ses dépens.

Il y a dans Ce monde disparu, le nouveau roman de Dennis Lehane, tout ce que l’on est censé y trouver : du sang, des crimes, de la passion, une vengeance. Le fond de sauce n’est rien si l’on n’y ajoute la maestria du chef. Lehane nous régale et semble lui-même se régaler dans ce thriller, se jouant avec une souplesse et une élégance étonnantes des codes du genre, repeint aux couleurs d’automne de la mélancolie. Un homme y marche vers son destin faute d’être parvenu tout à fait à oublier l’enfant qu’il fut, l’heure où n’était pas encore fermé le champ des possibles. Le tout sur fond de reconstitution minutieuse des "Havana nights" de l’époque. Il ne manque ici ni un costard croisé, ni une paire de pompes trop pointues, ni une tâche de sang que lave la pluie tropicale de Tampa. Bientôt, l’Amérique passera à autre chose, où le crime sera moins familial qu’industriel. En attendant, Lehane compose une sorte de symphonie pour ces mauvais garçons disparus, ces héros dévoyés, ces liens à jamais défaits. Alors, c’est une tragédie ? Oui, mais celle du temps qui passe. Olivier Mony

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