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A juste distance

Déborah Lévy-Bertherat - Photo Olivier Dion

A juste distance

Agrégée de lettres enseignant à l’Ecole normale supérieure, Déborah Lévy-Bertherat ne s’est autorisée qu’à 36 ans à renouer avec les désirs d’écriture qu’elle manifestait à l’enfance.

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Par Olivier Mony,
Créé le 14.04.2017 à 01h33 ,
Mis à jour le 14.04.2017 à 10h47

C’est un petit livre, juste. Un roman de pas grand-chose qui a l’élégance de laisser ignorer sa principale vertu : son audace. Le beau risque de la simplicité. Quelque chose qui tient debout avec une belle réserve, une économie de moyens qui confine à la dignité et qui pourtant pourrait se casser la figure à chaque page. L’histoire de Sonia et Kahina, que tout oppose (française, juive, aisée et plutôt solitaire d’un côté ; kabyle, musulmane, modeste et entourée de ses enfants, de l’autre) et que vont réunir un même cancer du sein et une nuit passée dans une chambre commune d’un hôpital parisien. Deux femmes en quête de vérité, de l’identité profonde que les circonstances mêmes de leur vie ont contribué à leur dissimuler.

De ce roman, Le châle de Marie Curie, le troisième qu’elle ait signé, Déborah Lévy-Bertherat dit qu’il "lui était caché depuis longtemps". Au fond, il lui ressemble, jusque dans sa façon de ne rien cacher et de ne point trop en dire. De ne prendre ni de grands airs ni son lecteur en otage. Il n’y est question que de juste distance à son sujet, à ses personnages.

Un fruit défendu

Ce souci de distance, qui est la question même du roman, vient peut-être de la diversité des approches de Déborah Lévy-Bertherat face au livre. Le roman sera une longue patience pour la petite fille que les hasards des temps feront naître à Milan, mais qui sera installée à Paris dès l’âge de 10 mois. Très tôt, elle s’imagine écrire des histoires, plagie les livres des bibliothèques "Rose" et "Verte", subit à 13 ans son premier "choc" littéraire avec la lecture de La vie devant soi, avant que la lectrice en elle et finalement le goût de l’étude et de la transmission ne fassent durablement oublier ses velléités d’écriture.

Là voilà à la Sorbonne et bientôt (elle n’a que 21 ans) agrégée de lettres, avant d’enseigner à son tour à des agrégatifs, de terminer sa thèse sur "L’artifice romantique. Byron, Pouchkine, Nerval, Poe, Lermontov, Baudelaire", de passer deux ans à l’université de San Diego (Californie) et à son retour d’être recrutée par l’Ecole normale supérieure où, à ce jour, elle enseigne toujours la littérature comparée. Ce n’est qu’à 36 ans qu’elle s’autorisera à renouer avec ses désirs d’écriture pour une version "jeunesse" (tant il est vrai que la littérature jeunesse demeure son jardin de moins en moins secret, coanimant un séminaire à ce sujet à l’ENS) de ce qui deviendra quelques années plus tard, son premier roman, Les voyages de Daniel Ascher (Rivages, 2013). "Ecrire, avant, pour moi, c’était un fruit défendu, dit-elle. J’ai dû me libérer de cette timidité."

Aujourd’hui, deux livres et quatre ans plus tard, la libération semble en bonne voie, et la lectrice fervente de Sebald, Perec, Toni Morrison ou Duong-Thu-Huong de ne plus vouloir laisser l’admiration parler seule à sa place.

Olivier Mony

 

Déborah Lévy-Bertherat, Le châle de Marie Curie, Rivages, Prix : 16,50 €, 120 p., Sortie : 3 mai, ISBN : 978-2-7436-4003-3

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